« Sunny » Murray, batteur.

Mort d’un révolutionnaire

Qui aurait pu penser à le voir – une tête à la « Sonny » Liston – dans les années 1960, aux côtés de Albert Ayler, qu’il vivrait jusqu’à cet âge de 81 ans ? Certain-e-s donnent l’impression d’être éternel-le-s, lui non. Le battement sauvage de la batterie donnait l’impression de courir entre les premiers temps du jazz où cette révolte s’exprimait et la modernité d’un temps qui appelait la révolution, le changement brutal. Le tout s’exprimait dans cet instrument créé par le jazz et pour le jazz, un instrument révélateur de toutes les transformations de cette musique à travers le siècle. Des premiers temps où le jazz ne s’appelait pas encore jazz mais ragtime, jusqu’à la révolution totale, puissante du Free-Jazz, la batterie s’est métamorphosée. Continuer la lecture

Le Jazz là où ne l’attend pas

Une fusion porteuse d’avenir.

Rez Abbasi a déjà une longue carrière. Voir son site ou Wikioedia

Rez Abbasi est guitariste et joueur de sitar. Ses origines indiennes expliquent cette dualité. Dans son nouvel album, « Unfiltered Universe », il réussit le tour de force de fusionner ses cultures indiennes et le jazz, via l’influence revendiquée de Pat Metheny. Il a abandonné le sitar pour cet album qui lorgne résolument vers le jazz, loin des « musiques du monde », de cet assemblage qui se veut vendeur et ne réussit qu’à aseptiser toutes les musiques pour en faire un produit de consommation courante.
Rez Abbasi revendique toutes ses traditions, toutes ses mémoires pour les bousculer, les rendre vivantes capable d’inventer un présent. En compagnie de Vijay Iyer, pianiste essentiel de notre temps et de Rudresh Mahanthappa au saxophone alto avec lesquels il partage une formation commune, ils ne craignent de renverser les codes, d’aller vers l’inconnu. Ils ont des repères, dans le jazz, dans les musiques indiennes mais ils ont décidé de franchir toutes les barrières, notamment celles du collage pour proposer une sorte de dialectique de cultures, une sorte de choc pour construire une autre musique.
Il faut les entendre avec attention. Se retrouvent tout autant le jazz des années 1960-70, le son du sitar revisité, la rage lumineuse des grand-e-s du jazz, de tout le jazz – la batterie de Dan Weiss en témoigne comme la contrebasse Johannes Weidenmueller -, les métriques des musiques de ce pays à la culture immense et même, via le violoncelle de Elizabeth Mikhael, un soupçon de musiques dites classiques pour faire surgir des compositions originales de la plume du guitariste.
Nicolas Béniès
« Unfiltered Universe », Rez Abbasi, Whirlwind Recordings.

UIA de Caen, JAZZ

Bonjour,

Lundi 27 novembre 2017, premier cours sur le jazz de cette année. Il se situe dans la lignée de celui de l’an dernier.
Rappel : l’an dernier nous avions commencé l’histoire de la batterie, des premiers temps enregistrés – en commençant en 1914 par le premier solo de batterie enregistré par « Buddy » Gilmore dans l’orchestre de Jim Europe. Je l’avais fait précéder par un batteur de ragtime pour faire entendre la différence. La constitution de la batterie est un « work in progress », un mouvement comme le jazz lui même dont elle est issue et qu’elle représente. Instrument de cette mémoire en mouvement, la batterie incarne le jazz.
Les deux grands batteurs de la Nouvelle Orléans étaient au premier plan,

« Baby »Dodds, à la batterie, Lil Hardin au piano

« Baby » Dodds et Zutty Singleton sans oublier les Minor Hall et beaucoup d’autres. Je ne crois pas vous avoir fait entendre Tommy Benford qui joue dans les groupes de Jelly Roll Morton mais je ne l’oublie pas.
J’ai aussi attiré votre attention sur le batteur de l’ODJB, Tony Spargo comme il se fera appeler qui joue entre 2/2 et 4/2. Il participe de la création du « cha da ba ».
Je vous ai fait aussi entendre les batteurs laissés de côté parce qu’ils sont Blancs ou classés comme « Dixieland » comme Ray Bauduc

Un set de batterie actuel

L’invention de la cymbale « Charleston » ou « Hi-Hat » allait changer la donne surtout pour les grands orchestres. il semble bien que l’inventeur fut Vic Berton. L’orchestre de Fletcher Henderson allait trouver dans cette nouveauté, la souplesse dont il avait besoin. Le batteur Walter Johnson fut le titulaire du poste dans la fin des années 20. Il remplaçait « Kaiser » Marshall que certains voient comme l’inventeur de la cymbale en question.

Ce rappel étant fait, cette année nous allons élargir le champ en passant au panoramique.
en remontant à 1917, année clé pour la guerre et pour le jazz. sur la base demon livre, « Le souffle de la révolte » à paraître début 2018.
Pour décrire le contexte de ces folles années 20 et appréhender la place spécifique, première du jazz.
Mais de quel jazz parle-t-on ? Les minstrels en font-ils partie ? « Le chanteur de jazz » – « The jazz singer » – est-il un film sur le jazz ? Présenté, en 1927, comme premier film parlant, il semblerait plutôt qu’il soit le dernier film muet… Quelle appréciation ?
Qu’entendent les surréalistes pour éprouver des émotions tellement profondes qu’elles changent de leur vie ? le jazz, dans ces années là, est un facteur essentiel d’entrée dans la modernité.

Quelques interrogations nécessaires au centre de notre propos.

A lundi.

Nicolas.

PS Voir aussi le « résumé  » de l’UIA Coutances.

Université populaire jazz, Côte à Côte

Bonjour,

Cette année donc comme annoncé dans le livret et lors de la première session, nous allons naviguer de la Côte Ouest vers la Côte Est. Il nous faudra sans doute un voyage d’au moins deux ans. Un voyage au long cours donc avec des étapes non prévues à l’avance. Ne pas craindre donc de faire des détours, des escales bizarres, d’improviser pour découvrir la musique, les musiques de ces villes américaines.

Ce 8 novembre 2017 pour la séance inaugurale – u peu gâchée par des problèmes de parking – nous avons commencé par rendre un hommage à « Fats » Domino. Antoine Dominique Domino Jr est né le 26 février 1928 à La Nouvelle-Orléans et mort le 24 octobre 2017 à Harvey (Louisiane) soit dans sa 90e année. Pas mal pour ce survivant de Katrina (2005). Durant l’ouragan, son club avait été détruit et les sauveteurs l’avaient retrouvé flottant dans l’eau. Les plaisanteries furent nombreuses sur son embonpoint qui lui avait permis de flotter même si cette version ne résiste pas à l’analyse. Même si il réussissait sur scène à pousser son piano avec son ventre proéminent tout en continuant à jouer. Le boogie woogie était, bien sur, son rythme de base avec une once – un peu plus peut être – d’afrocubanisme et tous les rythmes dont ce port regorge. Il faut dire qu’il bénéficiait du soutien d’un autre grand musiciens de la Nouvelle Orléans, trompettiste, Dave Bartholomew, né le 24 décembre 1920. Ci contre représenté en 1977. Ils sont à l’origine d’un son particulier qui deviendra celui de la Nouvelle-Orléans, enfin en partie et celui des débuts du rock, avant que le rock soit le rock.. Dave a multiplié les collaborations et les genres musicaux. C’est un des grands arrangeurs représentatifs de la Nouvelle-Orléans des années 50. Fats comme lui ont su surfer sur le rock sans abandonner leur singularité, enfin pas toujours.

Trois extraits de cette œuvre datant des premiers temps.
« The Fat man » (1949), titre d’un feuilleton radiophonique basé sur une nouvelle de Dashiell Hammett, un succès immédiat; « Mardi Gras in New Orleans »(10 novembre 1952) et « Hey La-Bas » (1950) le tout sur le label Imperial.



Continuer la lecture

Compléments ou prolégomènes du « souffle de la révolte » à paraître

A la fin du 19e début du 20e, les partitions représentent l’essentiel des revenus des compositeurs. Il faudra attendre 1917 et le 78 tours pour que se vende la musique enregistrée.

Le ragtime est le premier nom du jazz. Tout est ragtime avant les années 1920 pour qualifier la musique syncopée. La syncope, venue d’Afrique, est un élément clé de différenciation entre la musique dite classique et le futur jazz. On l’entend bien chez Scott Joplin. A l’époque, il faut dire que les compositeurs font éditer leurs partitions qu’ils vendent via les maisons d’édition que, souvent, ils créent. Ce sera le cas pour W.C. Handy, trompettiste et premier éditeur de blues.
Su le côté droit deux photos de Scott Joplin que l’on trouve partout – là c’est la pochette d’un album « Jazz Anthology » -, compositeur d’opéras dont les partitions ont été retrouvées tardivement, dans les années 1970. Pour les amateur-e-s de coïncidences, Scott Joplin meurt le 11 avril 1917 en même temps que paraît le premier disque de jazz, de l’Original Dixieland Jass (sic) Band enregistré, ce 78 tours, le 26 février 1917. La date de parution, initialement prévue en mars fut retardée en avril.

« The Entertainer », de et par Scott Joplin

Thomas « Fats » Waller, le plus grand des pianistes « stride » dont le fondateur fut James P. Johnson. Le « stride » est le style particulier des pianistes de Harlem, de New York de manière générale. Les premiers enregistrements de James P. Johnson datent de 1921. Sa composition la plus célèbre, « Carolina Shout », a été reprise par Waller. « Fats » Waller fut aussi le professeur de « Count » Basie.
Reproduite ci-contre la couverture du livre que Alyn Shipton, producteur à la BBC, a consacré à Fats Waller. Le titre, « The Cherful little Earful » pourrait se traduire par le bon vivant un peu critique et c’est pas mal vu. L’aspect débonnaire de Thomas cache une critique de cette société raciste. Il la tourne en dérision et arrive, comme tout bon humoriste à faire rire. L’angoisse n’est jamais absente de ce rire.

Carolina Shout de et par James P. Johnson, enregistrement de 1921

« Handful of Keys » de et par Fats Waller (1929)

A suivre

Nicolas Béniès.

Avant première du « Souffle de la révolte » à paraître en octobre 2017, pour fêter le centenaire de la révolution russe, du premier disque de jazz et l’arrivée de James Europe en France

Iconographie pour illustrer mon livre à paraître en octobre « Le souffle de la révolte », C&F éditions, qui ne la reprendra peut-être pas…

Deux affiches, l’une de Fats Waller, l’autre de Lucky Millinder chef d’un orchestre qui aura son heure de gloire. Il avait osé engager Dizzy Gillespie. Ilsera connu aussi grâce à sa chanteuse/guitariste Sister Rosetta Tharpe avant qu’elle ne se tourne vers le gospel…


L’affiche de Fats est la présentation d’un de ses disques pour RCA Victor, avec son orchestre. Fats, il ne faut pas l’oublier, a conduit aussi un grand orchestre. la mode des Big Bands ne connaît pas de frontière. C’est vrai qu’il a plutôt enregistrer dans les années 1934 et suivantes avec son « rhythm », un quintet à la remarquable permanence, « Slick » Jones à la batterie, Gene « Honeybar » Sedric, sax, cl, Herman Autrey à la trompette.
Pour « Lucky » – chanceux – Millinder, c’est l’annonce d’un concert à l’Apollo theater, haut lieux de rencontres avec le public noir de Harlem. L’Apollo existe toujours mais il a perdu son statut. Suivant la légende, c’est là que Ella, Sassy ont fait, comme beaucoup d’autres, leur premier pas. Continuer la lecture

Le centenaire du premier disque de jazz, 1917 une année clé dans l’histoire du monde et du jazz.

Rendez-vous à Coutances le jeudi 25 mai, aux Unelles, 18h30

Bonjour,

Cette année, l’horaire n’est pas au top – comme on dit à la télé, je sais il ne faudrait pas l’utiliser – et le jour non plus même s’il s’agit d’Ascension. Une ascension vers la mémoire du jazz, la mémoire du 20e siècle. Le jazz s’inscrit dans l’histoire du 20e, il en rythme les ruptures.
Il s’inscrit aussi dans la naissance du 20e siècle. La guerre, la Première Grande Boucherie Mondiale, marque la fin du 19e siècle qui avait duré de 1750 à 1914, un long 19e de naissance et de développement du capitalisme industriel. La première révolution industrielle, la machine à vapeur, avait révolutionné le travail et les emplois. Le partage du monde entre les grandes puissances industrielles, la Grande-Bretagne d’abord, la France ensuite, via le colonialisme allait dessiner une nouvelle planète et construire de nouvelles idéologies, la Nation lié à un récit linéaire de l’Histoire et le racisme comme l’antisémitisme. Continuer la lecture

U. P. Jazz des 3 et 10 mai 2017

Bonjour,

Terminer l’année – la notre, celle de l’UP, pour le reste cette année 2017 semble interminable et si je peux me permettre ce n’est pas fini… – en beauté est toujours difficile. Surtout sur la côte ouest où le soleil fait semblant de briller où le pont de San Francisco attire tous les regards – souvenez vous d’un James Bond avec un Roger Moore vieillissant et un superbe « Requin » – ou sur Hollywood Boulevard à la recherche des stars perdus qui, souvent, ont laissé des traces, des mains par exemple. Ou partir dans le ghetto noir de Watts en compagnie de Walter Mosley et de Charles Mingus, contrebassiste, pianiste et compositeur avant qu’il n’émigre à New York. Ces contrées sont très fréquentées. Noirs et Blancs se partagent « La Scène ». C’est le titre d’un polar de Clarence Levi Cooper, un quartier de drogués et de dealer de New York mais qui peut se transposer à Los Angeles dans ce milieu des années 50.
Pour ces deux dernières, bien placées dans l’entre deux tours, je vous propose un spécial saxophone ténor. Continuer la lecture

Jazz. Queens ?

La comtesse aux pieds nus

Rhoda Scott, née le 4 juillet 1938, organiste, s’est fait remarquer – et toute la presse s’en fait l’écho – en jouant pieds nus. Plus agréable pour elle, sans doute. Le reste, son jeu, sa capacité de création, a été oublié. Elle a constitué son « Lady Quartet » : Sophie Alour, au saxo ténor, Lisa Cat-Berro au saxo alto et Julie Saury à la batterie, une manière de faire reconnaître la place des femmes toute l’année et pas seulement le 8 mars. Elle ne s’est pas arrêtée là, pour cet album au titre revendicatif, « We free Queens » – référence à un album de Roland Kirk, « We free Kings » – et aux invitées prestigieuses, Géraldine Laurent au saxo alto et Anne Paceo à la batterie. Un homme a trouvé grâce, Julien Alour, trompettiste… Une musique classique noire, de la grande, avec ce qu’il faut d’ancrage dans notre présent. Pour danser…
NB
« We free Queens », Rhoda Scott Lady Quartet, Sunset Records/L’autre distribution.

UIA Jazz, lundi 6 mars 2017, dernière… pour cette année.

Bonjour,

La batterie subit des transformations durant la période dite « Swing », celle des Big Bands – mais aussi des petits ensembles appelés « combos ».
Dans les deux premières sessions pour cette année scolaire, nous avosn découvert l’invention de cet instrument. Une batterie est assemblage de plusieurs types de tambours venant des fanfares. Grosse caisse, caisse claire – provenant des tambours militaires – et d’autres caisses venues s’ajouter à la première. Le tout joué par un seul individu pour des raisons d’économie. les différentes origines culturelles permettent de comprendre le choc de titans des cultures existantes sur le sol américain. La synthèse est une musique noire. Elle est réalisée par les esclaves libérés, après la guerre de sécession porteurs de cette musique.
Les premiers grands batteurs se servent de cet instrument comme des tambours pour construire une musique qui ne craint pas d’utiliser tous les accessoires de la rue des grandes villes. « Baby » Dodds, « Zutty » Singleton ont été les plus importants. Une définition du jazz en émane, liée à l’urbanisation, aux ghettos.Comme nous l’avons entendu lors de notre première session.
Cette définition du jazz ne va plus suffire. L’invention de la cymbale Charleston, jouée au pied changera et la batterie et le jazz. L’espace temps se transformait. Comme le cinéma parlant se traduisait par la re-naissance de cet art spécifique du 20e siècle. La batterie indiquait que le jazz s’outrepassait tout en conservant la mémoire du passé. Ce fut notre deuxième session par le biais des batteurs des grands orchestres? Jo Jones, Gene Krupa mais aussi Chick Webb et d’autres sans oublier les oubliés…
Pour cette session, troisième et dernière pour cette année, nous resterons dans ces années 30, cette « swing Era », période dans laquelle le jazz deviendra musique populaire avec tous les avatars de la répétition d’une musique qui marche, qui se vend.
Comment évolue la batterie ? Pour l’entendre, nous allons nous tourner vers ces petits groupes qui prolifèrent et qui, malgré ne nombre de séances d’enregistrement, arrivent à être créatifs.
Gene Krupa participe au trio, quartet de Benny Goodman, Jo Jones aux groupes de Teddy Wilson et Billie Holiday, Sidney Catlett avec « Chu » Berry et Roy Eldridge…
Nous nous arrêteront d’abord sur un batteur un peu ignoré parce qu’il est caché par le génie du chef d’orchestre, « Sonny » Greer chez « Duke » Ellington.

Sonny Greer, Duke, 18 janvier 1938, Drummer’s Delight


(à suivre)

Nicolas