Coïncidences ?
« Château de cartes » mettait en scène le journaliste portugais Marcelo Silva qui dressait un tableau de la corruption existante dans les élites de son pays. Exilé volontaire à Berlin, il a le mal du pays et revient à Lisbonne. Il n’est plus journaliste, il n’est plus rien et va se trouver au cœur de toutes les intrigues, aucun gangster, policier, politicien ne croît aux coïncidences. « La Grande Pagode », références évidentes aux luttes politiques et économiques que se livrent la mafia chinoise et le gouvernement chinois sur le sol portugais pour consolider leurs positions. Au moment où Marcelo débarque, la ministre chargée de la signature du traité avec le gouvernement chinois qui doit sauver les finances est mouillée dans un chantage du chef de la mafia chinoise et doit démissionner. Son chauffeur a été tué et on ne sait par qui.
Son amour, une journaliste a écrit un livre interdit de lecteur, le fils de la ministre est amoureux de la journaliste et dépend un peu trop de sa mère… toutes les intrigues se nouent au nez et à la barbe de Marcelo qui n’y comprend goutte. Nous non plus mais on le suit. D’autant qu’il nous fait visiter Lisbonne, qu’il nous régale des plats traditionnels et des sites importants pour faire aimer sa ville. Presque en dehors de lui, il dévoile des lambeaux d’un pays en train de se laisser dévorer par des appétits contradictoires. Les assassinats viennent ponctuer ces histoires, racontées avec la drôlerie et l’humour de quelqu’un qui ne se sent pas concerné, du moins pas totalement. Il se laisse envahir par ses souvenirs, ses émotions qui l’empêchent d’avoir une vision rationnelle du contexte.
Rafraîchissant par sa construction faite de rencontres aléatoires mais cohérentes, ce polar qui ne dit pas son nom décrit une société prise en étau par des forces extérieures liées à un système de corruption internes dans un Portugal réel et fictif tout à la fois. Le drame se noue dans les rencontres, le journaliste servant de réceptacle sans jouer véritablement un rôle actif. Miguel Szymanski fait preuve d’une grande perversité en livrant son héros aux forces obscures et mystérieuses du hasard et des coïncidences tout en permettant d’apercevoir le contexte. Du grand art, même si, parfois, il cède un peu trop à la tentation de s’arrêter dans cette ville qu’il aime.
Nicolas Béniès
« La Grande Pagode », Miguel Szymanski, traduit par Daniel Matias, Éditions Agullo.
Archives de catégorie : polar
D’un tueur, cas de psychanalyste, à l’histoire sociale, deux formes du polar
La solitude du tueur de fond.
« L’agent seventeen », un titre qui ne laisse pas planer de doute sur le héros, ou plus exactement sur le personnage central qui ne nous laissera rien ignorer de ses doutes, de ses questionnements divers concernant tous les aspects de sa vie qu’elle soit professionnelle ou privée. A proprement parler, il envahit toutes les pages. Le thème est connu depuis Freud : tuer le père pour exister. Ici, 17 doit tuer 16 sur ordre de son supérieur à la CIA. Pourquoi ce meurtre ? Le tueur à gage s’interroge, nous pas tellement. On voit venir le coup. Pourtant là n’est pas l’intérêt de cette chronique violente. Il se trouve dans les glissements, dans les clins d’œil, dans les fausses références mais aussi dans les héros des films et romans d’espionnage, à commencer par Jason Bourne citée par l’auteur plus que James Bond. Continuer la lecture
Polar, quand le polar se fait Histoire, du 16e siècle à 1962, de la Provence à Marseille
Plongée dans les guerres de religion en Provence
Le prétexte de cette plongée : le trésor que Charles-Quint aurait laissé dans l’Église d’Aix, enterré sous les dalles. Pour le découvrir, il faut décrypter deux quatrains – dont un en français en forme de rébus – objet de toutes les recherches et des rivalités. Catherine de Médicis fera appel à Nostradamus pour trouver les clés de compréhension. Jean d’Aillon mettra en scène son personnage principal, Yohan de Vernègues, fil conducteur de l’enquête, qui louvoiera entre moines assassins envoyés par l’Inquisition, les croyants catholiques et reformés rivalisant de violences pour imposer leur loi et leur pouvoir au-delà même de leur religion. Richelieu, en bon centralisateur, y mettra un terme. Sans compter les intrigues internes à la Cour du Royaume de France et la cohorte de jeunes et jolies demoiselles au service de la Reine Catherine. Un mélange explosif et meurtrier. Continuer la lecture
De la Corée à l’Afrique du Sud morceaux d’histoire
Polar coréen
Mettre en scène dans un costume de Sherlock Holmes – le fameux trench-coat – quatre femmes d’âge divers, mères de famille, dont une fille mère, dans un quartier de Séoul, avec, comme quartier général la supérette Gwangseon tenue par l’une d’elles est une gageure. Ce n’est pas la seule. Faire rire, sourire des références des romans policiers britanniques – Conan Doyle, Agatha Christie en particulier – tout en menant une enquête policière sur un tueur de femmes est l’autre pari tenu par Jeon Gunwoo. « La section des enquêtrices mères au foyer » comme elles se nomment fait preuve d’un sens de l’observation et de déduction tout en accumulant les gaffes et les erreurs. Continuer la lecture
Des nouvelles de Nesbo et la suite des aventures d’espion vues par Semenov
Des histoires au coin du feu
Le temps de cet automne ne dit rien sur l’hiver qui vient. Une saison propice aux contes, aux histoires qu’on se raconte pour se rapprocher d’un feu qui s’éteint. « De la jalousie », de Jo Nesbo, fait partie de cette panoplie. Des nouvelles qui se veulent révélatrices de notre monde, de nos comportements assez semblables finalement malgré les frontières. Continuer la lecture
Polar De Naples à nulle part et partout en passant par Chicago lieu d’exil des Japonais-Américains
Visions de morts et d’amour
Retrouver le commissaire Ricciardi et Naples qui s’apprête à fêter les 10 ans de la marche sur Rome et l’arrivée au pouvoir du Duce, de Mussolini – le 29 octobre 1922 – est un plaisir presque coupable. Le polar se fait poésie pour conter l’amour qui traverse les océans sous la forme d’un boxeur célèbre et célébré, d’un crime crapuleux au nom d’un amour égaré dans les plis de la folie et du commissaire lui-même incapable de répondre à l’être aimée, secoué par les souvenirs de sa mère et de sa propre maladie, héréditaire comme il se doit. Continuer la lecture
Polar : Un nouvel Arlidge
M.J. Arlidge en une série qui met en scène Helen Grace, cheffe d’une escouade de la police de Southampton. La solidarité de son équipe a été mise à mal. Helen a été accusée à tort et sort juste de 9 mois de prison. Les traces sont sensibles. Faisant office de commissaire, elle est confrontée à une série de meurtres apparemment sans lien entre eux.
L’enquête se transforme vite en un portrait d’adolescentes en butte, à cause de son père alcoolique, au harcèlement de ses camarades. C’est aussi une immersion dans cette classe moyenne déclassée qui ne sait plus quelle est sa place dans cette société fortement marquée par les effets des politiques néo libérales, de baisse des dépenses sociale.
« A la folie, pas du tout » – le titre original « Love me not » est plus explicite – fait exploser les secrets de famille qui semble toucher toutes les familles, celle d’Helen ne fait pas exception. Une découpe au scalpel de cette société totalement bouleversée par les coups de massue de Thatcher d’abord et des gouvernements qui ont suivi. Continuer la lecture
Polar very british
Une adolescence à Southampton
M.J. Arlidge en une série qui met en scène Helen Grace, cheffe d’une escouade de la police de Southampton. La solidarité de son équipe a été mise à mal. Helen a été accusée à tort et sort juste de 9 mois de prison. Les traces sont sensibles. Faisant office de commissaire, elle est confrontée à une série de meurtres apparemment sans lien entre eux.
L’enquête se transforme vite en un portrait d’adolescentes en butte, à cause de son père alcoolique, au harcèlement de ses camarades. C’est aussi une immersion dans cette classe moyenne déclassée qui ne sait plus quelle est sa place dans cette société fortement marquée par les effets des politiques néo libérales, de baisse des dépenses sociale.
« A la folie, pas du tout » – le titre original « Love me not » est plus explicite – fait exploser les secrets de famille qui semble toucher toutes les familles, celle d’Helen ne fait pas exception. Une découpe au scalpel de cette société totalement bouleversée par les coups de massue de Thatcher d’abord et des gouvernements qui ont suivi.
La paranoïa tient sa place comme la vengeance – même si les cibles ne sont pas les bonnes – qui provoquent le besoin de reconnaissance. « Aimez-moi » sinon « suppliez-moi » pourrait raisonner le fonctionnement de la société.
Des personnages attachants qui évitent tout manichéisme.
Nicolas Béniès
« A la folie, pas du tout », M.J. Arlidge, traduit par Séverine Quelet, 10/18
Un curieux polar en forme de documentaire
Le tour de France vu par un auteur mexicain
« Mort contre la montre » permet de s’insinuer dans les coulisses d’une compétition vedette du cyslisme mondial, le tour de France, un calvaire, un chemin de croix pour tous les coureurs des leaders jusqu’au dernier du peloton. Jorge Zepeda Patterson met en scène un franco-colombien né à Medellin, d’un père militaire français et d’une mère colombienne – Marc Moreau – qui trouve son salut dans le cyclisme en devenant « gregario », celui qui se sacrifie pour faire gagner le leader. L’éternel oublié, celui qui ne portera jamais le maillot jaune.
Pour ce tour des incidents se multiplient : chute massive du peloton mais surtout des assassinats. Qui veut détruire les équipes adverses pour gagner ? L’ex caporal Moreau est sollicité, par la police, pour mener l’enquête. A chaque étape, à partir de la septième, il fait le compte des suspects et du classement général, manière de maintenir l’intérêt et suivre la routine des coureurs, massage, repose, entraînement, fatigue et volonté de poursuivre.
L’astuce de l’auteur, est de transformer le cycliste en une marchandise manipulée dans tous les sens et par tout le personnel du tour. La fin est une manière de faire résonner la seule chose qui compte : gagner et gagner à tout prix. Personne ne peut en sortir indemne. La camaraderie existe, la solidarité aussi qui volent en éclat devant le trophée, le Graal, le maillot jaune. L’apparence d’une ode au sport se transforme en critique du sport de compétition par une simple phrase dans l’épilogue. En même temps, il rend hommage aux soutiers, à ceux qui représentent l’âme de ce tour de France, à leur rage, à leur colère, à leur envie de poser le pied sur le podium.
Nicolas Béniès
« Mort contre la montre », Jorge Zepeda Patterson, traduit par Claude Bleton, Babel Noir/Actes Sud
Histoire et culture des États-Unis.
Une nouvelle biographie de Miles Davis et ce n’est jamais trop. Miles a vécu dans sa chair le racisme et ses conséquences. Adulé à Paris, il ne perce pas à New York et se drogue. Le drame des musicien.ne.s de jazz – un terme contesté aux États-Unis mais valorisant en Europe, comme il le notait lui-même. Il s’agir de Great Black Music bien entendu.
Jerome Charyn pense qu’il était temps, pour terminer ses aventures, d’installer Isaac Sidel à la Maison Blanche. Que peut faire un ancien flic et ancien maire de New York – Charyn ne s’éloigne pas trop de la réalité – à la Maison Blanche ? Pas grand chose. Depuis, Trump a conduit une sorte de putsch, de coup d’État comme, pour l’instant, une tentative avortée mais une tentative. Charyn n’a pas osé écrire qu’un Président pouvait sauter dans sa voiture pour prendre la tête des manifestants à l’assaut du Capitole et empoigner par un agent de la sécurité pour l’empêcher de commettre ce crime. Trump a testé, un autre ou lui-même pourrait le réaliser. Il a beaucoup fait pour discréditer tout le système de la démocratie américaine sans parler de ses nominations à la Cour Suprême. Lire Charyn, c’est pénétrer dans certaines arcanes de ce monde étrange. Continuer la lecture