Mémoires

La musique française et le jazz.

Daniel Goyone, pianiste et compositeur, a tout d’un illusionniste. Les pièces qu’il propose, comme celles de Morton Feldman – à qui une des compositions est dédiée – se lisent en rupture avec tous les canons de l’enseignement de la musique mais s’écoutent comme des airs à la simplicité déconcertante. « French Keys » est un album de recherche de références spécifiques pour une musique française qui vient de Satie, de Debussy, premier révolutionnaire, Maurice Ravel et Darius Milhaud. L’évocation de la Rumba ou de la Biguine s’inscrit dans cette volonté de créer une mémoire française du jazz faite de rencontres entre tous ces compositeurs – sans oublier John Cage avec qui Feldman a travaillé – et ceux de cette musique sans nom entendue avant et après la première guerre mondiale. Le jazz a marqué de son empreinte toutes les créations de ce 20e siècle. En retour, il a été influencé par les réalisations de ces compositeurs.
Aucune nostalgie ne vient entraver l’énergie des deux protagonistes – Thierry Bonneaux est le vibraphoniste et percussionniste nécessaire – qui savent rompre toutes les amarres tout en laissant le champ libre à toutes les évocations dont celle de Satie, l’initiateur de toutes ces ouvertures vers un ailleurs non prévu. Satie l’aventurier reste un moderne trop couvent passé sous silence.
Le paysage se construit entremêlant toutes les cultures pour faire surgir le malentendu facteur d’ouverture vers d’autres rêves. Cet album est le plus réussi de toutes les productions de Daniel Goyone.
Nicolas Béniès.
« French Keys », Daniel Goyone, Music Box Publishing, InOuïe distribution.

Confrontation

Musiques actuelles

Les influences des jeunes musiciens d’aujourd’hui sont multiples. Pourquoi choisir ? Christophe Imbs, pianiste et compositeur, a décidé d’emmêler toutes les musiques pour faire surgir l’inattendu. Lourdeurs du rock, envolées du jazz, avec ce qu’il faut de force pour marteler la réalité d’un monde qui semble échapper à ses créateurs, d’un monde de mutations climatiques, culturelles, d’un monde qui se connaît plus de repères. Un mélange détonnant qui en laissera plus d’un-e sur le côté pour attendre l’accalmie… qui viendra tout en laissant percer l’angoisse de la barbarie qui se diffuse. Les migrations actuelles laissent percer des rencontres qui devraient permettre l’émergence de nouvelles cultures, une chance pour le jazz comme pour la culture française.
Anne Paceo, batteure, sait se prêter à ce jeu de tremblements pour habiller les compositions du pianiste et la rencontre effectue son travail de transcendance du talent des deux participants sans oublier le contrebassiste Matteo Bortone, arbitre indispensable. Un trio est né à l’alchimie bizarre, mystérieuse et pleine de promesses. Ne vous laissez pas rebuter par un abord criard. Il faut comprendre la révolte qui s’infuse face à tous les déchirements de la société incapable d’appréhender son propre rythme. « For Your Own Good » – le titre de l’album – est une invite. Pour votre propre bien, il faut écouter ce trio.
Nicolas Béniès.
« For Your Own Good », Christophe Imbs, Label Oh !/InOuïe distribution

Du Nord et du Sud

Du côté des Caraïbes

Samy Thiebault, saxophoniste ténor, flûtiste, compositeur renoue avec la mémoire des musiques françaises qui faisaient la part belle aux musiques des îles. Longtemps, Paris a chaviré aux son de la biguine ou des autres danses antillaises. Le jazz s’est aussi nourri de ces affluents. Mémoire pas seulement musicale mais aussi littéraire. Le créole a permis, via notamment Aimé Césaire et la « Négritude » – comme on disait dans les années 1920 – de bousculer la langue française pour lui faire apercevoir d’autres rivages.
« Carribean Stories » est un voyage vers des contrées devenues étrange nommées Calypso, Tanger la noire, Porto Rico, Venezuela… pour déboucher sur la liberté et la poésie. Entouré de Hugo Lippi aux guitares, de Fidel Fourneyron au trombone, de Felipe Cabrera à la contrebasse, d’Arnaud Dolmen à la batterie et de Inoa Sotolongo aux percussions, Samy Thiebault part de John Coltrane – A Love Supreme » au début de « Poesia sin fin » – pour partir vers toutes les dérives permises par ces rythmes qui collent aux pieds et aux jambes pour les faire bouger. Ces musiques populaires sont des musiques de la danse et de la transe. Bougez !
Nicolas Béniès
« Carribean Stories », Samy Thiebault, Thelonious Records distribué par l’Autre distribution.

Des cadeaux à (se) faire pour vos fêtes et pas forcément pour les Fêtes !

Aretha Franklin, Intégrale 1956-1962

« Re » – son diminutif – nous quittée cette année en plein mois d’août (le 16 exactement), elle qui n’a jamais voulu passer inaperçue, un comble. Frémeaux et associés a publié ce début d’anthologie reprenant un premier enregistrement de gospels réalisés dans l’Eglise de son père, le révérend C.L. Franklin, « Songs of Faith ». Elle a, alors, 14 ans et son père n’hésite pas à l’exploiter. Elle subit l’influence de la compagne du révérend, Clara Ward.
Suivront trois albums réalisés chez Columbia sous l’égide de John Hammond qui l’avait « découverte ». Albums jazz, avec le pianiste Ray Bryant puis avec un mini orchestre dont les participants sont restés inconnus. Elle n’est pas encore la « Re » qu’on connaît. Il faudra attendre son passage chez « Atlantic » sous l’égide de Ahmed Ertegun et Jerry Wexler, le producteur et découvreur de talents, pour qu’elle devienne « The Queen of Soul ».
Elle chante les standards du jazz plus à l’aise qu’on ne l’a dit mais pas encore dans la force de tous ses moyens. Quelque chose de Dinah Washington dans la manière d’aborder les thèmes sans le swing qui caractérise Dinah. Elle fait partie intégrante des mondes du gospel plus que du jazz. Mais ce passage lui permet de faire ses classes. Intéressant d’entendre sa personnalité s’affirmer notamment dans tous les thèmes liés plus ou moins au blues et au rock.
Un coffret de deux CD pour faire connaissance avec Aretha Franklin. Ce n’est pas le meilleur de sa production assurément, seulement les années d’apprentissage.
Nicolas Béniès
« The Indispensable Aretha Franklin, Intégrale 1956-1962 », présenté par Bruno Blum, Frémeaux et associés.

Pour Kurt Weil, des chansons éternelles.
Qui ne connaît « Mack the Knife », « Moritat » dans la version allemande ? Au moins la version de Louis Armstrong, de Ella Fitzgerald à Berlin en 1961, de Sonny Rollins – dans l’album « Saxophone Colossus » – et beaucoup d’autres. « L’opéra de Quat’ sous » fut un grand succès, Bertold Brecht était le responsable des dialogues de ce « Théâtre musical » comme aimait l’appeler Weil. Le Berlin des années 1920 brille des feux de la contestation mais aussi d’une volonté de lier l’art et la rue comme le fait le jazz. A l’instar du Bauhaus, Kurt Weil ne craint pas de dissoudre la tradition classique dans la musique populaire. Une révolution.
En 1935, comme la plupart des Juifs, il émigrera aux Etats-Unis pour se lancer dans une carrière de compositeur de Broadway. Il fera équipe avec Ira Gershwin, le frère de George, auteur des textes et participant d’une poésie populaire tout en ironie, humour teintés souvent de contestation de l’american way of life.
Cette anthologie en forme d’un coffret de trois CD restreint son champ aux musiciens et musiciennes de jazz qui subliment les compositions de Kurt Weil. Ce sera pour une prochaine fois pour les reprises de Boris Vian, les interprétations de Catherine Sauvage ou la renaissance du théâtre berlinois des années 20.
Telle que, l’anthologie permet de confronter différentes manières de recréer la musique de ce compositeur qui n’avait renié aucune de ses convictions, choix de vie. A un journaliste qui lui posait la question de son identité, il avait répondu : « Irving Berlin – l’un des grands compositeurs de Broadway, l’un des premiers – était un Juif d’origine russe, je suis un Juif d’origine allemande. »
La place de ce compositeur, né en 1900 et mort en 1950 est essentielle. La révolution fait partie intégrante de son ADN.
Nicolas Béniès
« Kurt Weill’s songs », coffret de trois CD choisis et présentés par Teca Calazans et Philippe Lesage, Frémeaux et associés.

Le coin du polar.

Histoires napolitaines

Naples, sale et attirante, pleine de nostalgie, d’histoires étranges inscrites dans un passé jamais dépassé, ville qui ne se rassasie pas de son passé fasciste. Les traces architecturales – le bâtiment de La Poste notamment – présentes et niées tout à la fois ne se voient pas comme lieux de mémoire. Le nom même de Mussolini n’est jamais prononcé mais il reste comme une ombre, celle de ses réalisations et des références inscrites dans le sol.
« Le Noël du commissaire Ricciardi » est celui de l’année 1931. Neuf ans que le fascisme exerce sa loi tout en respectant les traditions surtout religieuses. La Crèche de Noël en fait partie. A quoi correspond-elle ? Quelles sont les légendes autour de chacun des personnages ? Le rôle de Joseph, figure paternelle sans avoir lui-même procréé ? Maurizio de Giovanni raconte ces mythes pour comprendre le meurtre d’un douanier fasciste qui fait son beurre sur la population de pêcheurs et de sa femme, tous les deux égorgés chez eux, dans leur bel appartement. Une plongée dans la psychologie collective et une leçon d’histoire religieuse pour comprendre les ressorts des assassinats. Sans oublier Naples, Noël, « une émotion » écrira l’auteur qui ne dédaigne pas les apartés poétiques ni le contexte politique.
Nicolas Béniès.
« Le Noël du commissaire Ricciardi », Maurizio de Giovanni traduit par Odile Rousseau, Rivages/Noir

Londres 1381
Paul Doherty poursuit les aventures et les enquêtes de Frère Athelstan dans « Pèlerinage mortel » qui se situe à l’été 1381 après la Grande Révolte qui a ensanglanté Londres. La révolte des Hommes Justes a été balayée et la paix armée du Roi est impitoyable pour les pauvres.
Frère Athelstan qui a protégé ses ouailles assiste à une multiplication de meurtres par étranglement sans que les victimes ne donnent de signes de résistance. Il faudra toute la sagacité du Frère pour faire la lumière sur ces mystères qui ont quelque chose à voir avec la politique, la guerre et la diplomatie. L’auteur s’appuie ici sur une réalité historique. Dans ces années une nouvelle donnée surgit : des tueurs professionnels affublés d’un statut de diplomates… A découvrir.
Nicolas Béniès.
« Pèlerinage mortel », Paul Doherty, traduit par Christiane Poussier et Nelly Markovic, 10/18

Portrait de femme
« La face cachée de Ruth Malone » est une quasi enquête sociologique des Etats-Unis du milieu des années 1960. Ruth, 26 ans, mère célibataire de deux enfants, voudrait être reconnue. Comme arme, elle possède son physique et l’art de se maquiller, pas seulement son corps mais aussi son esprit. Mal dans sa peau artificielle, elle est ivre tous les soirs en changeant de partenaire. Elle a quitté son mari qui reste souvent à l’épier. Elle habite un petit appartement dans le Queens, un quartier de New York.
Un mauvais jour ses enfants disparaissent. Ils ont été assassinés. Elle est soupçonnée et emprisonnée. Seul un journaliste amoureux d’elle croît encore à son innocence.
Emma Flint a saisi tous les clichés, tous les préjugés d’une époque qui ne voit les femmes que pute ou mère et refuse une mère célibataire incapable, de ce fait, d’élever ses enfants. La face cachée de Ruth c’est d’être une mère aimante malgré et contre le monde. Une plongée dans un univers pas si éloignée du nôtre. Une grande réussite.
Nicolas Béniès
« La face cachée de Ruth Malone », Emma Flint, traduit par Hélène Amalric, 10/18

Rencontres (3)

Quand le jazz rencontre les rebetiko, pour la danse et la transe.

Les musiques populaires, musiques de danse sont aussi représentatives de la culture d’un pays. Sous l’intitulé « Reinas del Mediterraneo », ARBF – Anti RuBber brAIN FactOrY – et Yoram Rosilio, bassiste et direction musicale de l’ensemble, proposent de faire renaître les rebetiko, chants de révolte de la Grèce des débuts du 20e siècle, chants aussi de forçats, de prisonniers qui restent présents sous des formes diverses dans la Grèce d’aujourd’hui.
Il fallait conserver la force des chants, leur message contestataire, espoir et désespoir mêlés, paradis artificiels et mondes réels opposés entre acceptation et résistance tout en les faisant entrer dans le 21e siècle. Se séparer du bouzouki apparaissait comme une nécessité, remplacé par Les saxophones – 2 ténors et 1 alto -, la guitare et la basse pour permettre à la chanteuse, Xantoula Dakovanou de s’élancer vers le passé pour écrire cette musique au présent.
Il ne faut pas hésiter à danser !
Nicolas Béniès
« Reinas del Mediterraneo, GRÈCE vol 1 », LFDS Records.

Rencontres (1)

Le jazz, la musique de chambre et le Brésil.

Quand une violoncelliste, Audrey Podrini, rencontre un percussionniste/batteur brésilien, Zaza Desiderio, il se passe de drôles de choses et, souvent de « Belles choses » dont il faudrait se souvenir, plus tard, une fois la musique évaporée. Violoncelle et percussions avaient besoin d’autres instruments pour exprimer leur synthèse des cultures qu’ils portent. L’appel a été entendu : le piano adjoint d’un moog, Camille Thouvenot, entre classique et Bill Evans, est venu apporter sa propre touche comme la clarinette, Vincent Perrier, situé dans ce même espace tout en faisant appel à la musique Klezmer, pour former un quartet qui donne du corps aux compositions dont les références font des vagues sur une mer renouvelée.
La voix du violoncelle – un instrument à la tessiture humaine – surnage, pour parler de nous, pour forcer les portes de cette étrange laide beauté qui inonde le monde et ne laisse d’autres possibilités que la fraternité et la sororité. Sinon c’est la barbarie.
Se souvenir des belles choses, le nom de ce quartet, « La & Ca » – la-bas et ici en brésilien -, le titre de cet album, est un moyen de combattre la laideur des futurs dictateurs qui encombrent la planète. La-bas et ici !
Nicolas Béniès.
« La & Ca », Se souvenir des belles choses, Inouïe Distribution.
PS : On se souvient que « Se souvenir des belles choses » est aussi le titre d’un film.

Rencontres (2)

L’Afrique, l’Égypte et la Belgique

Stéphane Galland est un batteur connu et reconnu. Il a beaucoup travaillé sur la musique des tambours, sur leurs voix et leurs secrets. Il a voulu plonger dans le passé à la fois de l’Afrique et de l’Égypte ancienne pour creuser « The mystery of Kem ». Kem, Noir, est le nom porté par le continent africain.
Il a voulu la rencontre entre les rites anciens et le jazz pour forger une forme de la modernité. Collage/fusion pour faire bouger les corps tout en envoyant des messages au cerveau. Il s’est entouré pour réaliser ce projet de jeunes musiciens belges qu’il a fait répéter pour les laisser s’approprier ces codes, ces manières d’être avant la musique. Au fur et à mesure de l’écoute, du déroulement de cet album-concept, le mystère s’épaissit. Si la référence à l’Afrique apparaît clairement dans les premières compositions – la flûte de Ravi Kulur y est pour beaucoup -, elle se fait moins présente ensuite pour laisser place au jazz, un jazz recomposé comme il se doit. La batterie, omniprésente, synthétise toutes les cultures de l’Afrique comme de l’Égypte, de la musique contemporaine comme celle de Coltrane ou d’Albert Ayler. Sylvain Deboisieux, ténor saxophone, Bram De Looze, piano et Federico Stocchi, bassiste savent se mouvoir dans cet univers étrange construit par le batteur.
Malgré quelques baisses d’énergie, « Kem » vous fera naviguer entre présent et passé pour se souvenir de toutes les cultures qui participent à la définition de notre humanité. Une rencontre vitale.
Nicolas Béniès
« Kem », Stéphane Galland, Out Note/Outhere

Jazz. Edward Perraud, batteur, renoue avec le concept d’album.

Partir vers d’autres mondes.

Un trio bête sur le papier, piano/contrebasse/batterie, classique. Un doute dés l’intitulé du leader, plus exactement du rêveur de la musique de départ, Edward Perraud. Le batteur a voulu former ce trio avec Paul Lay, pianiste qui n’en finit pas de faire la démonstration de son univers particulier en multipliant toutes les expériences et Bruno Chevillon qui sait tout des jazz, a tout retenu des modernités successives de cette musique et capable de faire référence sans jamais copier à tous les contrebassistes qui l’ont précédé à commencer par… Charles Mingus.
« Espaces », ce pluriel interroge. La lune et celui qui a marché dessus pour la première fois détruisant le rêve d’un satellite habité par nos fantasmes, les intervalles qui forment la musique, un autre monde à construire, la terre se détruisant… ? Le tout vraisemblablement et plus encore si vous faites confiance à votre imagination pour laisser libre vos émotions. Elles prennent tous les espaces pour habiter des compositions devenues collectives du trio qui ne se veut rien se refuser. La batterie, cet instrument du jazz, connaît tous les méandres des mémoires qui la constituent tout en sachant regarder vers l’avenir, vers le soleil qui brille d’un éclat inquiétant.
Edward Perraud a choisi ses compagnons de voyage pour explorer des terres tellement proches qu’elles en deviennent lointaines, pour visiter ces contrées d’une inquiétante familiarité. Il a voulu un album-concept comme obligeait la technologie nouvelle du 33 tours face au 78 tours. Le concept est changeant suivant que vous écoutez le CD ou le LP. Une expérience qu’il faut faire pour appréhender cette construction due à l’enchaînement spécifique des thèmes. Les photos du livret – signées Perraud – prennent aussi des significations mouvantes.
Signalons que « Melancholia » est en référence directe avec l’album « Money Jungle » qui réunissait Duke Ellington, Charles Mingus et Max Roach. Le trio nous mène de « Elevation » à « Singularity » pour dire que, pour se construire, il est nécessaire de passer par plusieurs étapes. La succession des compositions est pensée pour donner un sens supplémentaire à chacune, une manière de transcender chaque thème pour lui donner une autre dimension… dans l’espace.
Une facette inédite de Edward Perraud, un trio soudé.
Nicolas Béniès
« Espaces », Edward Perraud, Label Bleu, distribué par l’Autre Distribution

Jazz. Reggie Washington, contrebassiste, renoue avec l’acoustique

La modernité des classiques

Cet album, nous dit Reggie Washington, vient de loin, 2012 en l’occurrence. Il a été reporté à cause de la mort du guitariste Jef Lee Johnson et de l’urgence, pour le bassiste, de rendre hommage à son ami. Ce fut fait en deux albums.
« Vintage New Acoustic » arrive, malgré tout, à son heure. La débauche d’électronique suscite un retour vers l’acoustique. Sans doute pour lutter aussi contre notre environnement de robotisation et de « blockchain » qui pressure l’humain et ses émotions. La nouvelle acoustique va de pair avec le maintien du « groove », de ce balancement spécifique qui incite à la danse sans se séparer du swing, les pulsations du cœur. « Vintage » dans l’utilisation de compositions qui affleurent le hard bop – une superbe recréation à la basse électrique et à la contrebasse de Reggie -, le modal tourné vers le quintet de Miles Davis du milieu des années 1960 ou le Coltrane de « Afro Blue » (signée Mongo Santamaria) sans oublier l’orgue Hammond B3 ou les Beattles pour « Eleanor Rigby » que Washington transforme par le biais de deux contrebasses, en re-recording bien évidemment.
Bobby Sparks, piano, fender rhodes, synthétiseurs, Hammond B3, sait planter tous les décors, faire glisser les thèmes connus vers un inconnu déployant toutes ses fantaisies, Fabrice Alleman, ténor et soprano saxophone, tout en respectant ce qu’il doit à ses aînés – Coltrane, Shorter et Ayler – réalise une synthèse pour donner ce qu’il faut de modernité aux arrangements du bassiste et E.J. Strickland est un maître du temps pour dynamiter de l’intérieur la nostalgie et faire surgir un nouvel espace temps… pour rêver et danser sur le volcan proche de l’éruption qu’est devenu notre planète. Comme le dit le thème écrit par Reggie Washington qui ouvre et ferme l’album, « Always Moving » !
Un album nécessaire.
Nicolas Béniès.
« Vintage New Acoustic », Reggie Washington, Jammin’ Color.