Jazz

Déterrons nos mémoires
« Das Kapital » – un titre déjà pris mais pas en musique – est un trio de joyeux perturbateurs. Edward Perraud, batteur et créateur d’environnements, Hasse Poulsen, guitariste capable de toutes les sonorités de l’acoustique à l’électrique et Daniel Erdmann, saxophoniste ténor dans la lignée de Coltrane évidemment tout en creusant les chemins de toutes les mémoires arrivent à ne faire qu’un tout en restant eux-mêmes. Leur dernier opus a un titre qui pourrait faire penser à la mobilisation des « gilets jaunes » : « Vive la France », pour reprendre quelques airs du répertoire, classique, jazz ou variété et les transformer en du « Das Kapital ». Ils sont loin du divertissement. Proches, plutôt, d’une réflexion à la fois musicale et philosophique pour interroger un monde déjà mort et proposer des alternatives vitales. Continuer la lecture

Polar historique

Berlin, détruite et occupée

« Derniers jours à Berlin » repose sur des documents, des récits qui racontent la vie quotidienne à Berlin des 12 jours qui précèdent la capitulation des enfants soldats engagés dans les troupes nazies et les jours qui suivent sous la domination des troupes soviétiques. Les exactions ne cessent pas avant et après. Harald Gilbers fait agir ses personnages dont l’ex commissaire juif Oppenheimer et sa femme Lisa dans ce monde étrange de la ville détruite en butte à tous les trafics et livrée à tous les espions, le NKVD comme les services secrets américains, l’O.S.S. ancêtre de la CIA. L’intrigue est vraisemblable : les débuts de la course aux armements. Staline comme Truman veulent s’approprier les installations allemandes comme les savants atomistes pour construire la bombe atomique. Les déserteurs russes violent et tuent, l’espion américain est prêt à payer pour récupérer une valise qui transporte des déchets radioactifs sans considérations morales, seul le colonel soviétique croit encore à la sainte Russie stalinienne qui en fait un personnage à part et humain, avec ses faiblesses.
L’ex commissaire mènera l’enquête en compagnie de truands signe de ces temps étranges que l’auteur nous fait visiter. Un vrai polar avec ce qu’il faut de vengeance personnelle et un documentaire sur Berlin avant le partage entre les puissances pas vraiment alliées. Un tour de force.
Nicolas Béniès.
« Derniers jours à Berlin », Harald Gilbers, 10/18

Roman ? Récit ? peut-être Conte moderne ?

Un pas de côté.
Comment définir « Un élément perturbateur », titre du conte signé par Olivier Chantraine ? Un marginal qui ne sait où vivre, mal à l’aise dans le travail d’analyste qu’il effectue pourtant au mieux et ce mieux gêne les dirigeants de l’entreprise dans laquelle il officie sans entrain et par la grâce de son frère, ci-devant ministre des finances ? Ou un malade victime de problèmes psychologiques entraînés par le suicide de son père ? Des questions qui trouveront des débuts de réponse en suivant le curieux et drolatique itinéraire de Serge Horowitz, l’empêcheur de tourner en rond alors que lui a toujours l’impression de tourner sur lui-même.
La première partie est une description presque clinique du travail de bureau, l’open space non compris, avec ses tensions et surtout ses temps morts. Une toile d’araignée de mensonges pour « arriver », se faire « bien voir » – dans tous les sens du terme – qui pollue la vie en société et déteint sur la vie privée sans oublier les inégalités entre femmes et hommes.
Le désintérêt pour ces déguisements conduit Serge Horowitz à une forme de lucidité ironique et humoristique. Ce carnaval fait rire et de bon cœur tout en ouvrant une réflexion sur notre monde tel qu’il ne va pas.
La deuxième partie est plus sur la corruption du monde des affaires, qui porte bien son nom, associé au monde politique pour que le spectacle continue perturbé par les « lanceurs d’alerte, pas toujours reconnus. C’est plus convenu mais tout autant réjouissant.
Il lui faudra se décider à prendre sa vie en mains pour laisser entrer l’oxygène dans sa vie et cette ascension/transfiguration passe par le rejet de ce frère torturé par le désir d’être président de la République. Cet arriviste qui ne recule devant rien pour assouvir sa soif de pouvoir, semble le portrait craché, jeunesse incluse, de notre actuel président. Les références implicites, ombres de celles mises en lumière, donnent un tour étrange de ce conte de nos temps dits modernes.
Nicolas Béniès.
« Un élément perturbateur », Olivier Chantraine, Folio/Gallimard

Le coup de foudre, un coup tordu ?
« Une complication, une calamité, un amour » est un titre qui en dit trop sur le contenu de ce court texte – roman ou nouvelle ne convient pas, il faut retomber sur le conte ? – de 79 pages. Véronique Bizot arrive à transfigurer les mots, les phrases pour les faire sonner comme des poèmes mis au service de l’amour marié, forcément, à la mort. Comment aimer ? Ni avec toi, ni sans toi avait déjà répondu François Truffaut. La quadrature du cercle que cette « union du désespoir et de l’impossible », comme l’avait défini un poète anglais du 17e. Une fois encore se retrouvent ici toutes les facettes du coup de foudre.
Une nouvelle qui, l’air de rien, vous poursuivra. Le sentiment d’avoir partagé un souffle de vie. Avec une dernière question l’amour n’est ce qu’une entourloupe ?
Nicolas Béniès
« Une complication, une calamité, un amour », Véronique Bizot, Actes Sud.