Pour alimenter la discussion démocratique sur le monde tel qu’il est et tel qu’il devrait changer

Nouveau rapport du club de Rome

« Earth for All, la terre pour tous » affirme la nécessité de construire d’autres mondes que celui du dit néo-libéralisme. Un monde condamné. « L’avenir de l’humanité, concluent les autrices et auteurs, dépendra de la réduction drastique des inégalités socio-économiques et d’une répartition équitable des richesses et du pouvoir. » La récente mobilisation des paysans en Europe a montré la nécessaire corrélation entre les solutions sociales, alimentaires et les mesures écologiques. Pour sauver le vivant, il est vital de proposer un changement de société, de ses paradigmes, de ses bases même.Ils et elles construisent deux scénarios : « Trop peu, trop tard », une catastrophe annoncée, un chemin emprunté par les gouvernements en Europe ou « Les pas de géant », seule manière de sortir des crises actuelles. Un appel à l’action – et à la dépense publique – pour offrir une chance aux générations futures. Il faut dire que le choix proposé n’en est pas vraiment un. Le premier scénario est en forme de catastrophe qui devrait être rejeté. Sans doute les projections seront contestées quelque fois à juste raison mais l’ensemble emporte l’adhésion. Il faut refuser les « vérités alternatives pour discuter des enjeux qui se résument dans la naissance d’un autre monde.
Nicolas Béniès
« Earth for All », Nouveau=u rapport du Club de Rome, Actes Sud

Une synthèse nécessaire

« Quand l’Occident s’empare du monde (15e – 21e siècle) » permet à Maurice Godelier d’offrir une vaste fresque de l’histoire de l’humanité et de revoir l’histoire de la modernisation en intégrant les dimensions actuelles comme « la disparition du mode de production socialiste » et les victoires du monde musulman contre l’Occident. Le tout est un manuel d’histoire nécessaire qui peut servir de base à tous les débats pour construire une autre société. La plongée dans l’histoire des civilisations permet de comprendre celui dans lequel nous essayons de vivre. Le développement du mode de production capitaliste, son élargissement, sa domination a été de pair avec l’occidentalisation considéré pendant longtemps comme synonyme de progrès. Les modes de production originaux ont été détruits par les modalités de fonctionnement du capitalisme que ce soit par le colonialisme, l’impérialisme ou par des formes plus perverses comme la financiarisation, ne laissant d’autre chois que celui du capitalisme. Depuis la chute du mur de Berlin, toute alternative a disparu emportant dans son sillage le marxisme tout entier et la possibilité même d’un autre mode de production. Pourtant, les crises actuelles posent la question d’une autre société pour permettre à l’avenir d’exister…
Une écriture fluide pour mettre en lumière le mouvement contradictoire de la construction du capitalisme souvent assimilé à l’Occident. Le sous titre, « Peut-on alors se moderniser sans s’occidentaliser ? » indique la dimension des questions traitées.
NB
« Quand l’Occident s’empare du monde (XVe – XXIe siècle », Maurice Godelier, CNRS Éditions

Retour de l’État dans l’analyse économique
Wolfgang Streek, sociologue de l’économie, propose, dans « Entre globalisme et démocratie », une grille de lecture pour sortir du néolibéralisme. La pandémie a fait la démonstration de la nécessité de (re)mettre l’État au centre de l’analyse pour traiter les crises multiples auxquelles sont confrontées les pays et le monde. L’économie est de nouveau politique pour traiter ce qu’il appelle « la crise du capitalisme démocratique ». Se manifestent une pléiade de scénarios gros des dangers visibles dont la montée de l’extrême-droite. Une leçon avec ce qu’il faut d’évidences et d’interrogations, ensemble qui aurait gagné à plus de concision. A la décharge de l’auteur, une grande partie avait été écrite avant la pandémie. L’intérêt renouvelé est de poser une nouvelle fois la question de la démocratie et des services publics. S’interroger sur les formes de l’État et du capitalisme est absolument à l’ordre du jour. Il permet de donner un contenu à la fois théorique et pratique au « désir d’Etat », pour reprendre le titre d’un article du monde qui notait les évolutions des écologistes notamment voulant donner un contenu différent à l’État.
NB
« Entre globalisme et démocratie. L’économie politique à l’âge du néolibéralisme finissant », Wolfgang Streek, traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Gallimard

La poésie vitale pour la science

Dieu (la technique) contre la vie (l’écologie)

Aurélien Barreau, astrophysicien, pourfend « L’hypothèse K. », titre de son essai, « le crabe » – karkinos en grec -, le cancer de la technique qui diffuse, par la science, des cellules malignes qui gangrènent toute la société en ignorant les conséquences sur tout le vivant de la crise écologique. K aussi comme Kafka, riant du système bureaucratique qui conduit à se considérer comme Dieu alors qu’il s’agit de vivre. L’auteur oublie un « k » sous jacent, le capitalisme dans sa notation en économie. Il prône le recours à la poésie pour interroger la science, pour éviter de s’enfoncer dans les solutions techniques en recourant à l’imagination pour trouver d’autres réponses, d’autres voies. Drôle, stimulant, nécessaire face à tous les « Chat GPT », incapables de poétique, qui nous entraîne dans la répétition du passé.
« L’hypothèse k. La science face à la catastrophe écologique », Aurélien Barreau, Grasset.

Le polar dans ses modes

Polar politique
« Les morts de Beauraing » est en prise avec les réalités déformées qui nous servent d’environnement. Un attentat a eu lieu dans cette agglomération bruxelloise. Il a visé la communauté catholique et le banc des accusé.e.s est rempli de jeunes belges attirés par le djihad. Un choc. Yves Demeulemeester et Leopold Verbist, associés dans une petite agence de presse, décident d’enquêter. Et la vision simpliste d’un ministre de l’intérieur perd de sa netteté. Se mêlent à eux, une militaire d’active, Ingrid Mertens, qui veut venger la mort de son fils adoptif pour faire imploser toutes les données et faire jaillir d’autres pistes, d’autres intérêts de groupes qui n’ont aucun respect pour la vie humaine et veulent servir Dieu, le grand diviseur de notre temps. Les responsables ne sont pas là où tout le monde regarde. Continuer la lecture

Vider vos poches (3), Noir c’est Noir


Un auteur disparu, Ed Lacy

Leonard Zinberg (1911-1968) a publié sous son nom quatre romans et plusieurs nouvelles. Juif marié à une Noire et père adoptif d’une enfant Noir, il allait aggraver son cas en devenant Communiste et en faisant de son entourage les personnages principaux de ses romans. Il allait bien sur être rattrapé par le maccarthysme, « la chasse aux sorcières » des années d’après la seconde guerre mondiale qui allait se traduire par une profonde remise en cause des libertés démocratiques. On voit que la rhétorique de Trump a quelques antécédents. Blacklisté, comme beaucoup d’autres, Leonard ne devra son salut d’écrivain qu’aux romans noirs, sous le nom notamment de Ed Lacy.
Toutes ces informations sont extraites de la préface de Roger Martin qui permet de faire connaissance avec l’auteur, sacrifié – il n’est pas le seul – sur l’autel de la série noire dirigée par Marcel Duhamel qui cherchait à vendre pour assurer la survie de la collection tout en respectant le format des 120 pages, sacrifiant souvent les réflexions politiques des personnages comme la psychologie des personnages. Continuer la lecture

Polar portugais un brin chinois

Coïncidences ?
« Château de cartes » mettait en scène le journaliste portugais Marcelo Silva qui dressait un tableau de la corruption existante dans les élites de son pays. Exilé volontaire à Berlin, il a le mal du pays et revient à Lisbonne. Il n’est plus journaliste, il n’est plus rien et va se trouver au cœur de toutes les intrigues, aucun gangster, policier, politicien ne croît aux coïncidences. « La Grande Pagode », références évidentes aux luttes politiques et économiques que se livrent la mafia chinoise et le gouvernement chinois sur le sol portugais pour consolider leurs positions. Au moment où Marcelo débarque, la ministre chargée de la signature du traité avec le gouvernement chinois qui doit sauver les finances est mouillée dans un chantage du chef de la mafia chinoise et doit démissionner. Son chauffeur a été tué et on ne sait par qui.
Son amour, une journaliste a écrit un livre interdit de lecteur, le fils de la ministre est amoureux de la journaliste et dépend un peu trop de sa mère… toutes les intrigues se nouent au nez et à la barbe de Marcelo qui n’y comprend goutte. Nous non plus mais on le suit. D’autant qu’il nous fait visiter Lisbonne, qu’il nous régale des plats traditionnels et des sites importants pour faire aimer sa ville. Presque en dehors de lui, il dévoile des lambeaux d’un pays en train de se laisser dévorer par des appétits contradictoires. Les assassinats viennent ponctuer ces histoires, racontées avec la drôlerie et l’humour de quelqu’un qui ne se sent pas concerné, du moins pas totalement. Il se laisse envahir par ses souvenirs, ses émotions qui l’empêchent d’avoir une vision rationnelle du contexte.
Rafraîchissant par sa construction faite de rencontres aléatoires mais cohérentes, ce polar qui ne dit pas son nom décrit une société prise en étau par des forces extérieures liées à un système de corruption internes dans un Portugal réel et fictif tout à la fois. Le drame se noue dans les rencontres, le journaliste servant de réceptacle sans jouer véritablement un rôle actif. Miguel Szymanski fait preuve d’une grande perversité en livrant son héros aux forces obscures et mystérieuses du hasard et des coïncidences tout en permettant d’apercevoir le contexte. Du grand art, même si, parfois, il cède un peu trop à la tentation de s’arrêter dans cette ville qu’il aime.
Nicolas Béniès
« La Grande Pagode », Miguel Szymanski, traduit par Daniel Matias, Éditions Agullo.

Crise de légitimité

Crise de régime.

Une crise de régime, vue par toute la presse étrangère mais ignorée par le Président, qui devrait conduire à la mise en œuvre d’une VIe République pour répondre à l’épuisement des ressources de la Ve. Crise de régime qui intervient dans un contexte de crise politique profonde qui touche toutes les institutions. Macron, en 2017, en a été le révélateur. Son élection est due fondamentalement à l’écroulement et du Parti socialiste de Hollande et du PR de Sarkozy, lui-même poursuivi par les affaires et incapable de rejouer un rôle politique. L’écroulement des députés de droite n’en est que la dernière réplique en date. En résulte un fort taux d’abstention qui ne cesse de progresser laissant une énorme place à l’extrême droite ainsi que par la montée en puissance des théories complotistes alimentées par les « vérités alternatives » trumpistes mais aussi du ministre de l’intérieur français qui n’en est pas à une menace près. Les libertés publiques s’en trouvent menacées.
Le président de la République enfermé dans ses bunkers, l’un idéologique, l’autre formé par ses conseillers ne voit pas la réalité. Il est enfoncé dans l’idéologie libérale qui lui fait croire à la nécessité de diminuer les impôts, les cotisations sociales pour baisser le coût du travail et améliorer la compétitivité en baissant le prix de vente tout en augmentant les profits dans un monde hypermondialisé. La pandémie, la guerre de Poutine ont changé la donne. Les Etats sont intervenus massivement et en France plus que partout ailleurs en Europe pour éviter les faillites et une perte de pouvoir d’achat trop importante des salariés en finançant le chômage partiel tout en aggravant les inégalités en laissant les précaires, particulièrement immigrés, sans soutien. Le gouvernement de Biden a bien compris cette nouvelle donne qui passe par la remise en cause de l’hypermondialisation. Une politique protectionniste lui a succédé qui vise à réindustrialiser en tenant compte des nécessités des réponses à la crise climatique. Les subventions accordées à toutes les entreprises voulant investir aux Etats-Unis sont liées à des contreparties liées à la défense de l’environnement. Des entreprises européennes s’interrogent pour savoir si elles ne vont pas s’installer aux Etats-Unis. Macron, lui, n’a pas tiré le bilan de ces années, ne s’est pas interrogé sur le nouveau rôle de l’Etat qui détruisait les bases mêmes des constructions néo-classiques des économistes officiels. Continuer la lecture

De la Corée à l’Afrique du Sud morceaux d’histoire

Polar coréen

Mettre en scène dans un costume de Sherlock Holmes – le fameux trench-coat – quatre femmes d’âge divers, mères de famille, dont une fille mère, dans un quartier de Séoul, avec, comme quartier général la supérette Gwangseon tenue par l’une d’elles est une gageure. Ce n’est pas la seule. Faire rire, sourire des références des romans policiers britanniques – Conan Doyle, Agatha Christie en particulier – tout en menant une enquête policière sur un tueur de femmes est l’autre pari tenu par Jeon Gunwoo. « La section des enquêtrices mères au foyer » comme elles se nomment fait preuve d’un sens de l’observation et de déduction tout en accumulant les gaffes et les erreurs. Continuer la lecture

Des nouvelles de Nesbo et la suite des aventures d’espion vues par Semenov

Des histoires au coin du feu
Le temps de cet automne ne dit rien sur l’hiver qui vient. Une saison propice aux contes, aux histoires qu’on se raconte pour se rapprocher d’un feu qui s’éteint. « De la jalousie », de Jo Nesbo, fait partie de cette panoplie. Des nouvelles qui se veulent révélatrices de notre monde, de nos comportements assez semblables finalement malgré les frontières. Continuer la lecture

Un essai de Joana Desplat-Roger,  « Le jazz en respect. Essai sur une déroute philosophique ».

Le jazz et la philosophie, le jazz comme question jamais traitée
Le jazz est une musique ni sérieuse ni légère, ni savante ni populaire. Elle se refuse à toute caractérisation facile. La philosophie et le jazz sont restés étranger l’une à l’autre. Peut-on, dans la littérature existante, trouver des soubassements théoriques qui permettent d’appréhender le jazz ? Joana Desplat-Roger s’y essaie dans ce condensé de sa thèse qu’elle a intitulée « Le jazz en respect. Essai sur une déroute philosophique ». Un titre qu’elle explique : le jazz tient en respect la philosophie. La philosophie, les philosophes se sont tenus loin du jazz, ne sachant comment l’aborder. Sartre et sa métaphore de la banane, Derrida et son refus de considérer le jazz tout en l’aimant… bref le jazz organise une sortie de route, un empêchement faute de trouver les concepts adéquats pour le définir et le situer dans une théorie de l’esthétique. Continuer la lecture

Philosophes en action

Vision du monde poutinienne

« Dans la tête de Vladimir Poutine » est une tentative intéressante de Michel Eltchaninoff d’éclairer la vision du monde de Poutine, son idéologie, sa conception du monde. Pourquoi envahir l’Ukraine et mener une guerre barbare d’annexion pure et simple d’une nation en train de se constituer après la disparition de l’URSS ? Poutine considère l’Ukraine comme un territoire russe et les troupes d’envahisseurs s’attendaient à être reçues comme des sauveurs. Les gradés avaient même emporté leurs uniformes de parade.
Le philosophe grand russe Ivan Ilyine serait le fournisseur d’idées et d’idéologie, ici dans le sens d’une vision fausse de la réalité mais qui permettrait à Poutine de justifier son pouvoir autocratique aux yeux même de ses populations. Le pouvoir ne peut pas se limiter à la seule répression, il a besoin de se légitimer. Ilyine est un admirateur de Franco et de Salazar, une dictature qui a voulu forger des solidarités d’un autre âge. Le philosophe met en cause l’Occident dans la séparation entre la Fédération de Russie et l’Ukraine. La haine de l’Occident est désormais le credo de Poutine qui fait de l’OTAN le Satan des temps modernes.
L’édition de poche est quasiment une nouvelle version qui tient compte de la guerre pour livrer une image saisissante d’un monarque des temps modernes enfermé dans sa forteresse, poursuivie par la peur de la pandémie lisant et relisant des auteurs qui viennent alimenter sa vision d’un monde éclaté qu’il ne comprend pas. Dans le même temps, il se fait le fossoyeur, et le trou est profond, de toute la mémoire de l’URSS. Il ne sauvegarde que Staline pour son côté héritier des tsars. le monde qui bascule alimente toutes les tentatives de sauvegarder à tout prix y compris le prix du sang, des mondes anciens, de faire resurgir des passés dépassés.
Une thèse stimulante, redonnant toute sa place aux idéologies. Sans vision du monde, il n’est pas de pouvoir ni de propagande.
Nicolas Béniès
« Dans la tête de Vladimir Poutine », Michel Eltchaninoff, Babel/Actes Sud