La déconfiture

Retrouver la mémoire
Les fêtes, les anniversaires collectifs – le Débarquement, la Libération – font partie d’une panoplie mémorielle qui tend à forger des souvenirs en ignorant trop souvent le travail, vital, de mémoire. Le Débarquement, exemple emblématique, est souvent réduit à sa version normande en laissant de côté celui d’Italie. Tombés aussi dans l’oubli les engagés sénégalais ainsi que la légion étrangère, ces régiments de sans papiers devenus les défenseurs de la France, surtout de sa devise liberté, égalité, fraternité. Continuer la lecture

La drôle de guerre en BD, la force des dessins

>Retrouver la mémoire

la date d’anniversaire de la Libération est fêtée et agite souvent le passé pour le décomposer et le recomposer à la mode du présent. La forme des commémorations indique cette réécriture continuelle de l’Histoire qui permet l’oubli d’une partie de la réalité d’alors.
Notre mémoire collective est à trous. Il est souvent nécessaire de combler les failles. Les historien.ne.s sont essentiel.le.s mais pas seulement. La BD particulièrement est un outil qui permet de diffuser les émotions du moment et faire partager le quotidien de ceux et celles impliquées dans l’Histoire. Les dessins font œuvre de mémoire et nous avons souvent besoin de la retrouver. Elle facilite ce travail. Continuer la lecture

Histoire des expressions françaises

Trésors et méandres de la langue française

« C’est du pipeau ! » titre Stéphane Gendron pour nous inviter à un voyage dans les expressions françaises à partir du « jargon de la musique et des musiciens » comme l’indique le sous titre de ce faux-vrai dictionnaire. Le pipeau est « une flûte champêtre à 6 trous en bois ou en roseau qui, au Moyen-Âge, se nommaient pipes ou pipets » nous dit-il pour ensuite nous balader dans l’histoire des différentes expressions. Ainsi « c’est du pipeau », apparue dans les dernières décennies du 20e siècle provient de « ne pas se laisser prendre aux pipeaux de quelqu’un » issue d’un piège à oiseaux nommé pipeau, une sorte de faux nid. Continuer la lecture

Une littérature oubliée

Renouveau de la littérature yiddish ?

Benjamin Schlevin (1913-1981), né Szejnman à Brest-Litovsk (en Biélorussie), arrive à Paris en 1934, un Paris marqué par les manifestations de l’extrême droite le 6 février 1934 – qu’il racontera dans son roman – et les réactions de la gauche en train de s’unir dans un contexte de montée du fascisme et du nazisme.
Fasciné par le petit peuple de Belleville qui ressemble dans ces années là, celles de l’entre deux guerres, d’un shtetl multicolore de yiddish aux accents différents, il décide de raconter ce Paris étrange, de ces Juifs venus d’une Europe de l’est en ébullition. Le refus de la guerre d’abord comme la recherche d’un avenir moins sombre obligent à l’exil. Ils arrivent tous « gar di nor » – gare du nord -, pris en charge par les Anciens, petits patrons, en quête de main d’œuvre à exploiter dans leurs ateliers pour nourrir une faible accumulation du Capital. Le quartier du Marais est d’abord leur lieu de chute pour ensuite arriver dans les hauteurs de Paris, à Belleville. Ils partiront ensuite installer leurs ateliers de confection prés des grands boulevard, au « Sentier ». Un Paris disparu englouti dans les transformations de la ville et de l’industrie. Il en reste quelques traces mais trop éparses pour rester des lieux de mémoire. La littérature donne à voir ce monde devenu fantomatique. Continuer la lecture

(Re)découverte d’un écrivain majeur

Faut-il encore et toujours parler de la Shoah ? in

La littérature, la poésie peuvent elles mieux faire ressentir la perte d’humanité imposée par les nazis à toutes les populations juives d’Europe ? Jiří Weil (1900-1959) a vécu à Prague cette période de déportation, de peurs, d’angoisses, de profonde solitude, d’un temps aussi de solidarité. « Vivre avec une étoile est une description quasi clinique d’un homme pourchassé , nié en tant qu’homme qui ne peut que faire preuve d’obéissance servile pour éviter le départ dans un convoi qui ne mène qu’à la mort. Son sort dépend en partie des instances de la Communauté (juive mais l’adjectif n’est pas employé) qui lui trouve un travail, dans un cimetière, tout en dressant des listes de ceux celles qui doivent partir, avec leurs trésors, sans épargner les femmes et les enfants.. Enfermé dans sa terreur, il se blottit dans sa mansarde, quasi à ciel ouvert, souffrant de la faim, attendant l’inéluctable. D’être humain, il en est devenu un fantôme. Il devra à une erreur de cette administration tatillonne de ne pas partir avec les autres porteurs du même nom que lui, liste dressée par les responsables de la Communauté. Continuer la lecture

Portraits d’émigrants, de lieux disparus pour une histoire et une littérature trop longtemps oubliées

Littérature Yiddish oubliée et… retrouvée

« Les Juifs de Belleville » s’impose comme une référence à plus d’un titre. D’abord par la langue, le Yiddish. Isaac Basileis Singer en est le représentant le plus connu. On a oublié, qu’à Paris, les émigrés juifs d’Europe de l’Est avaient exporté leurs traditions et publiaient journaux et livres et s’étaient réfugiés à Belleville. Benjamin Schlevin -né Szejnman en 1913 en Biélorussie – a publié 17 ouvrages en yiddish qui en fait un auteur inconnu de tous les publics.
Un Paris disparu revit, ce Paris des ateliers de confection où la main d’œuvre est surexploitée pour vendre à bas prix. Une saga historique et social qui donne à voir le quotidien de cette population en train d’essayer de survivre. Deux figures serviront de fil conducteur, deux amis au point de départ arrivés comme tous les autres « gar di nor » et qui suivront deux trajectoires opposées. L‘un, Béni veut « arriver » en amassant pour accumuler, l’autre, Jacquou, défend les opprimés et crée des structures culturelles ou d’assistance dans le contexte de la crise des années 30. La Shoah marquera la fin de cette histoire. Jacquou survivra pour témoigner. Un grand livre à découvrir.
Nicolas Béniès
« Les Juifs de Belleville », Benjamin Schlevin, traduit par Batia Baum et Joseph Strasburger, postface et appareil critique de Denis Eckert, L’Échappée, collection « Paris perdu »

Martial Solal pianiste de jazz (Alger 23/08/1927 – Chatou 12/12/2024)

L’improvisation comme méthode de création

Comment devient-on musicien de jazz ? Par colère sans doute. C’est elle qui est la meilleure conseillère lorsqu’elle se transforme en brûlure de la révolte. L’adolescent Martial Solal à Alger subit les conséquences des lois antisémites du régime du Maréchal Pétain : l’entrée de son lycée lui est refusée. Un monde se ferme. Il est seul et se sent seul. La violence de ce rejet – même s’il en parle très peu – restera comme une marque indélébile. Peut-être est-ce dans cet événement de la grande histoire qu’il faut chercher les ressorts d’une volonté inaltérable de devenir un pianiste hors-norme. Pour obliger les autres à le regarder, le considérer. Le personnage pourrait, en d’autres circonstances plus terribles encore, être dessiné par Jiri Weil qui dans « Vivre avec une étoile » (10/18) décrit l’abandon de soi et la lente prise de conscience de la lutte collective pour redevenir soi-même d’un Juif à Prague pendant cette même période. Lueurs d’un avenir commun pour refuser la loi des nazis, l’avilissement. Continuer la lecture

« La première guerre d’Algérie », les racines.

Deux histoires parallèles et pourtant commune

Si on vous interroge sur la colonisation française en Algérie, 1830-1852, la période retenue par Alain Ruscio, les réponses habituelles tournent autour de Bugeaud, général puis maréchal, député, Abd el-Kader – l’émir, image de la résistance – et l’implantation de colons par une politique de massacre des populations autochtones. L’auteur a voulu retracer dans cette enquête historique serrée, au sous titre explicite « une histoire de conquête et de résistance », la bonne conscience des colonisateurs, à commencer par Victor Hugo, qui sont armés du progrès et de la civilisation sans connaître l’histoire et la culture des populations qu’ils veulent asservir. Sans prendre en compte la capacité de lutte des populations qui commençaient à construire un Etat. Une histoire oubliée ! Continuer la lecture

A Pierre Salama, mon ami

Pierre Salama nous a quitté en ce début du mois d’août, deux jours avant son 82éme anniversaire et laisse un grand vide. Ce n’est pas qu’il n’avait pas prévenu. Mais lorsque l’espoir disparaît, il reste l’espérance qui reposait sur une croyance : je le croyais éternel, en l’espèce plus éternel que moi.
Je lui dédie cet article qui porte sur le jazz (et non pas la musique brésilienne) qui veut insister sur la différence entre souvenir et mémoire tout en cherchant à comprendre pourquoi le souvenir peut s’inscrire dans la mémoire collective.
De Pierre, j’ai un tas de souvenirs qui naviguent dans mon cerveau mais pour faire le point sur ses apports il faudra un travail de mémoire…
Nicolas

Au-delà des commémorations du 80e anniversaire du débarquement, le souvenir et la mémoire.
L’exemple du jazz.

Les commémorations donnent lieu à un processus bien connu : se servir du passé pour le décomposer et le recomposer au service du présent pour justifier des politiques. Il faut éviter ces travers pour appréhender, dans l’histoire, la place du souvenir et de la mémoire. Le jazz, musique de la danse, de la libération est aussi musique de la Libération. Dans quasiment tous les pays d’Europe, le jazz est la musique de référence. Continuer la lecture

Polar, Faire vivre toutes les mémoires


Série cracovienne

Maryla Szymiczkowa poursuit Sofia Turbotynska dans sa découverte d’elle-même, de son environnement dans sa ville de Cracovie en cette fin du 19e – partie de l’empire austro-hongrois – à travers des enquêtes à la mode Agatha Christie, inspirée des grands romanciers polonais. Après « Mme Mohr a disparu » consacré à la petite bourgeoisie et à ses modes de vie et ses préjugés, « Le rideau déchiré » – un titre de Hitchcock – s’attache à un début de prise de conscience de Sofia sur la réalité du bourbier qu’est la ville via des plongées dans le quartier juif et les récits de prostituées.
Le point de départ, le meurtre de sa femme de chambre, Karolina. Sofia enquête. Les soupçons se portent sur un jeune révolté que la police tue sans autre forme de procès qui ne l’empêche pas de poursuivre pour faire surgir un pacte de corruption, avec l’aide du procureur.
Plus enlevé que le précédent, apuré sans doute de quelques références qui avaient tendance à alourdir le style, l’intrigue elle-même gagne en profondeur. Sofia commence à se séparer de son milieu pour appréhender un monde qu’elle ne connaissait pas et se livre à ses yeux étonnés. Continuer la lecture