Colères ouvrières et lutte pour la dignité
Pascal Dessaint, auteur de romans « noirs », a voulu comprendre une image récente de deux cadres d’Air France qui, lors d’une occupation des salarié.e.s du siège de l’entreprise avait perdu leur chemise restée dans les bureaux. Image commentée forcément défavorablement, fustigeant comme il se doit la violence sauvage de ces contestataires. Etait-ce, se demanda l’auteur, la première fois que ces débordements de colère désespérée contre la morgue patronale de droit divin avaient lieu ?
Remontée de la mémoire conservée dans des journaux comme l’Illustration une image – encore une mais un dessin cette fois – d’une défenestration d’un cadre des « Houillères & Fonderies de l’Aveyron » – dont le siège est à Paris -, Jules Watrin dans le contexte d’une grève des puits pour exiger à la fois une augmentation des salaires et du respect. La colère gronde devant l’intransigeance de la Compagnie qui ne veut pas céder, ce 26 janvier – il fait froid – 1886. La foule des grévistes veut la démission de Watrin, jugé responsable de toutes les misères. La direction réelle est hors d’atteinte des grévistes et sait envoyer au front ses pions pour se faire massacrer et, ensuite, s’en servir comme d’une arme contre les grévistes.
Zola vient de publier « Germinal ». Il est immédiatement accusé d’avoir fourni de « grain à moudre » intellectuel aux hordes anarchistes ouvrières. Comme le fera remarquer un journaliste du « Cri du peuple », les mineurs – femmes et hommes – n’ont guère le temps de lire… Continuer la lecture
Archives de catégorie : Histoire
D’un tueur, cas de psychanalyste, à l’histoire sociale, deux formes du polar
La solitude du tueur de fond.
« L’agent seventeen », un titre qui ne laisse pas planer de doute sur le héros, ou plus exactement sur le personnage central qui ne nous laissera rien ignorer de ses doutes, de ses questionnements divers concernant tous les aspects de sa vie qu’elle soit professionnelle ou privée. A proprement parler, il envahit toutes les pages. Le thème est connu depuis Freud : tuer le père pour exister. Ici, 17 doit tuer 16 sur ordre de son supérieur à la CIA. Pourquoi ce meurtre ? Le tueur à gage s’interroge, nous pas tellement. On voit venir le coup. Pourtant là n’est pas l’intérêt de cette chronique violente. Il se trouve dans les glissements, dans les clins d’œil, dans les fausses références mais aussi dans les héros des films et romans d’espionnage, à commencer par Jason Bourne citée par l’auteur plus que James Bond. Continuer la lecture
Mémoire de 1999, du côté du blues
Le blues dans tous ses états…
Quelle place occupe le blues – il faudrait utiliser le pluriel – dans l’histoire de la communauté africaine-américaine ? Quelles fonctions a-t-il joué ? Robert Springer, poursuivant ses analyses sociologiques commencées avec Le blues authentique (1985, Filipacchi) se penche sur Les fonctions sociales du blues, aux éditions Parenthèses dans la collection Eupalinos. Il part des fonctions les plus évidentes, les plus visibles pour arriver aux fonctions essentielles et cachées. Pour conclure sur la fonction unificatrice de la communauté que le bluesman suscite simplement en racontant ses histoires qui donne l’impression d’être individuelles. Par l’intermédiaire des relations hommes/femmes, il diffuse l’image des relations Blancs/Noirs. Sans sous estimer le «machisme » des mondes du blues, une réalité par trop présente. Comme le disait Zora Neale Hurston dont l’autobiographie, Des pas dans la poussière (Éditions de l’Aube) vient de paraître en français, la femme noire est la «mule » de l’homme noir… Continuer la lecture
Les polars plongent dans l’histoire : la France de 1974, Cracovie à la fin du 19e, Ratisbonne en 1662
1974, une année noire
La mémoire de ce temps se trouve ravivée par Xavier Boissel qui place ses personnages dans ce moment qui, politiquement, de transition. Pompidou avait déjà largement rompu les amarres avec les « services spéciaux » du gaullisme, le SAC – Service Action Civique, pas mal comme intitulé pour des basses œuvres – notamment. Il leur avait coupé les subventions. Il fallait bien qu’il trouve d’autres sources de financement en s’acoquinant avec les anciens de l’OAS – ils s’étaient pourtant combattus – et la pègre. L’hypothèse, crédible, formulée par l’auteur pour trouver de l’argent, le trafic de drogue. Continuer la lecture
Polars. Robin des bois et préservation des œuvres d’art sur fond de meurtres et de confinement
Arsène Lupin pas mort et Américain
Jeff Lindsay, le créateur de ce personnage singulier, « Dexter », tueur et policier, a décidé de changer de registre. Riley Wolfe est un voleur, tueur occasionnel et spécialiste du déguisement. Une personnalité bizarre, réellement sans définition sinon celle du moment et du personnage qu’il incarne, sans mémoire et sans émotions. Un être venu d’ailleurs. Pour cette première aventure, « Riley tente l’impossible » – un commencement qui ressemble à une fin – il se donne le défi de voler le diamant le plus cher du monde et le mieux gardé par les gardiens de la Révolution et par le FBI. Il réussit au prix d’un stratagème inédit et fondamentalement répréhensible moralement. Le personnage n’en est pas conscient uniquement préoccupé du but tandis que l’auteur y est sensible. Continuer la lecture
Videz vos poches (1)
Histoire
Une expérience politique
Alya Aglan propose dans « La France à l’envers », une lecture du Régime de Vichy comme une expérience originale coupée des racines de la révolution de 1789. Il parle de « duel de légitimité » vécue par les populations dans les territoires. Stimulant
« La France à l’envers. La guerre de Vichy (1940-1945) Folio Histoire
Les pays arabes et le pétrole
Philippe Pétriat écrit les relations étranges des États arabes et le pétrole en se servant de sources arabes pour analyser la place de l’or noir. « Aux pays de l’or noir » permet aussi de comprendre les enjeux de l’après pétrole pour ces pays. Sa thèse s’élargit à une sorte d’histoire de l’énergie.
« Aux pays de l’or noir. Une histoire arabe du pétrole », Folio/Histoire
Les gilets jaunes, révolte populaire ?
Gérard Vindt ne répond pas directement à cette question dans son « Histoire des révoltes populaires » mais il donne des clés de compréhension des différentes formes de soulèvement face aux Autorités constituées, à la formation de l’État. La révolte est aussi un des moyens de régler des conflits. Un instrument d’analyse.
« Histoire des révoltes populaires, Repères/La Découverte.
Histoire de la propagande
David Colon part des pionniers, pour l’époque moderne, qu’il situe en 1906 aux formes actuelles liées aux réseaux sociaux et à Internet. En général, ce sont les entreprises qui expérimentent de nouvelles formules pour gangrener la politique, la vie publique pour conformer les relations sociales. Pour décrypter notre vie de tous les jours sans succomber au « Story telling » ou aux théoriciens du « nudge ».
« Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain », Champs/Flammarion
Encore sur la Commune.
0our une introduction
Autant d’ouvrages se partageaient-ils les étals des libraires lors du centième anniversaire de cette « révolution impromptue » pour reprendre le titre du livre que lui a consacré Roger Martelli ? Une cascade de livres de tout acabit qu’il ne sera pas possible de lire… Seul le Président de la République ne s’y est pas aventuré préférant la commémoration de Napoléon, modèle moins révolutionnaire.
La synthèse proposée par Martelli, « Commune 1871. La révolution impromptue » permet de retracer les évènements dans le contexte de la guerre perdue par Napoléon III. La troisième partie, « Histoire et mémoire » est un essai pour appréhender la place du passé et éviter les « guerres de mémoire ».
L’anthologie établie par Alice de Charentenay et Jordi Brahamcha-Marin, « La Commune des écrivains » illustre la présentation de Martelli. En trois temps, « La Commune au jour le jour », « Raconter la Commune, regards rétrospectifs » et « Les leçons de la Commune ». Des textes peu connus : Rimbaud traumatisé par l’espoir et la répression, Verlaine, Aragon en hommage à Rimbaud sans parler de Brecht. Le mouvement ouvrier international trouve là une de ses fondations.
« Commune 1871. La révolution impromptue », Roger Martelli, Les éditions Arcane 17 ; « La Commune des écrivains. Paris 1871 : vivre et écrire l’insurrection », anthologie établie par Alice de Chantenay et Jordi Brahamcha-Marin, Folio classique.
Lorsque les espoirs disparaissent, il reste l’espérance
Pour alimenter notre réflexion sur notre passé, notre présent et, peut-être notre futur. De la fête d’indépendance en Algérie – 1962 – aux printemps arabes aux déceptions politiques et philosophiques. Continuer la lecture
Polar historique, le temps de l’affaire Dreyfus
1898, la République contestée
Lyon, sa police, ses bizarres héros, ses assassins, ses espions et les désirs d’une démocratie vivante forment la trame de ce roman. Gwenaël Bulteau raconte plusieurs histoires qui trouvent leur origine dans la guerre de 1870, La Commune – celle de Lyon a eu une existence encore plus éphémère que celle de Paris – et dans l’affaire Dreyfus qui secoue la France. Cette année là, Zola publie dans l’Aurore « J’accuse » qui provoque des émeutes. La police, comme l’armée est anti dreyfusarde dans sa grande majorité. « La République des faibles » est un titre volontairement ambigu. Il peut faire référence à la faiblesse de cette République aux mains de la hiérarchie militaire antisémite, des faibles laissés à l’abandon qui ne participent pas à la vie publique et aux faiblesses générales de cette société incapable de se comprendre.
C’est dans cette ambiance que le commissaire Soubielle est chargé de plusieurs enquêtes. Le meurtre d’un policier, la disparition d’enfants et d’autres encore qui viennent se raccrocher dont une femme qui n’a pas conscience de sa maternité. Cerise sur le gâteau déjà bien consistant, il va être père et hésite entre la joie et le rejet.
Bulteau peint des portraits de flics qui permettent de s’immiscer dans ces temps lointains. Il les présente dans toutes leurs facettes pour non seulement dresser le portrait d’une époque mais aussi de contribuer à l’histoire de la police.
Une réussite, historique et policière.
Nicolas Béniès
« La République des faibles », Gwenaël Bulteau, 10/18
Un grand auteur russe : Julian Semenov
Roman d’espionnage historique
Julian Semenov (1931-1993) est un écrivain célèbre en URSS. Sans doute moins dans la Fédération de Russie en raison des réécritures de l’histoire poutiniennes. Il fait œuvre à la fois de romancier et d’historien. « La taupe rouge » a été le premier édité. « Des diamants pour le prolétariat », qui se déroule en 1921 – l’URSS est toute neuve -, semble être le premier opus d’une série qui couvrira toute l’histoire de cette formation politique et sociale via l’espionnage. En avril 1921, la Tchéka charge un jeune agent, Maxime Issaïev – héros récurrent – de récupérer des diamants des possédants pour financer la jeune République des Soviets. Il infiltre le milieu des trafiquants, croise des tueurs, des voleurs tout autant que les révolutionnaires. Continuer la lecture