Luttes féministes

BD
« Ne nous libérez pas, on s’en charge »

« La belle de mai » ne fait pas référence à mai 68, mais à la grève des cigarettières de la manufacture des tabacs, dépendante de l’État, à Marseille en 1887. Une lutte ouvrière et féministe, les revendications sont explicites. Le dessin, signé Élodie Durand, suit, dans le mouvement des corps, la prise de conscience collective dans le combat ainsi que la fierté d’être debout, de sortir de invisibilité pour être autre chose qu’une marchandise ou une épouse. L’histoire d’amour, enveloppée dans la fumée continuelle des cigarettes, sorte d’halo nécessaire pour dire que le travail suit pas à pas chacune de ces ouvrières au-delà de l’usine.
Une grève victorieuse, pour cette raison peut-être, oubliée. Mathilde Ramadier, pour le texte, met en scène cette « Fabrique de révolutions », sous titre de la saga. Émerge le parfum de fête qui va de pair avec la découverte du collectif, le moment où le « nous » remplace le « je » pour créer un autre monde. Le slogan « Ne nous libérez pas, on s’en charge » de ces combattantes résume bien la nécessité du féminisme.
Nicolas Béniès
« La belle de mai. Fabrique de révolutions », Mathilde Ramadier et Elodie Durand, Futuropolis

Polar : la sage-femme enquête


Metz, 1812

Victoire Montfort, sage-femme, continue son travail pour révéler les difficultés des femmes en butte à la fois aux archaïsmes et aux pouvoirs des vieilles qui se veulent savantes sous prétexte de leur âge tout en se lançant dans des enquêtes en compagnie ou contre son mari le le commissaire . Une enquête aux résonances actuelles. Comment répandre des « fake news avant les réseaux sociaux » ? En diffusant un mensonge porté par plusieurs personnes obligeant le commissaire à considérer comme suspect un innocent du crime commis sur un auxiliaire du juge pour faire éclater un trafic de contrebande dans le contexte du blocus du commerce avec la Grande-Bretagne décidé par Napoléon. Continuer la lecture

Féminismes, Madeleine Pelletier, Dulcie September

Redécouvrir Madeleine Pelletier

Christine Bard, spécialiste de l’histoire des féminismes, présente les « Mémoires d’une féministe intégrale », comme aimait se présenter Madeleine Pelletier (1874-1939), première femme médecin aux asiles d’aliénés. Socialiste puis communiste, elle rejoint l’extrême-gauche et la franc maçonnerie pour, partout, mener le combat féministe qui passe, pour elle, par la « virilisation des femmes ». Ses mémoires, éparses, dépendantes du temps qu’elle peut soustraire, permettent de retracer un parcours. Pour ne pas oublier Madeleine Pelletier.
« Mémoires d’une féministe intégrale », Madeleine Pelletier, Edition critique de C. Bard, Folio.
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Polars historiques, 1360, 326 les années 1960 ou plus tard…


Le Royaume de France en 1360

Les livres d’Histoire ont longtemps parlé de la « guerre de 100 ans », manière d’écrire a posteriori pour des guerres continuelles de formation des royaumes, de dessin des frontières et de la création d’États centralisés que seront les monarchies absolues. En 1360, la désorganisation est totale. Les luttes internes, les intrigues, les alliances se nouent et se dénouent à la vitesse des tempêtes. L’absence d’armées officielles ouvre grand les portes aux mercenaires qui, faute d’engagements, se livrent à des destructions organisées ou sauvages au détriment de l’ensemble des populations. Continuer la lecture

Polars historiques, 1871, 1905 et Lyon 1786

Melting pot littéraire
« Geronimo et moi » est un bon titre d’appel mais ne résume en rien l’ambition de l’auteur, Lilian Bathelot qui, dans un même mouvement et à travers l’écriture du journal de Francine Vay dessine une fresque de la fin du 19e siècle. Une petite paysanne, éduquée par les Sœurs, se fait violer par son patron, apprend à accepter son sort jusqu’à rencontrer une libraire qui milite pour la reconnaissance des droits des femmes. Lectures, conférences et elle devient journaliste pour le « Cri du peuple » dirigé par Vallès avant et pendant la Commune. Elle voudrait publier son enquête sur le trafic de femmes dans la Capitale mettant en cause des notables, protégés par Thiers à la tête des Versaillais et des Prussiens pour réprimer dans le sang les révolutionnaires trop près du ciel. Francine croise Louise Michel dont elle fait un portrait laudatif.
Que pouvait-il advenir à la suite de la semaine sanglante qui porte bien son nom ? La fuite est une fuite vers les États-Unis comme beaucoup de membres de l’AIT, l’Association Internationale des Travailleurs, la Première Internationale, avant et après cette période à l’origine du syndicalisme américain d’abord clandestin. Dans la formation de ce mouvement ouvrier, les frontières n’existent pas entre la lutte syndicale et politique. Ce sera à la Deuxième Internationale de le faire…
A partir de cet exil, les deux récits s’entremêlent. Un exercice de mémoire de Francine et sa réalité de « pionnière » dans un chariot comme on le voit dans tous les westerns jusqu’à sa rencontre avec Geronimo qui lui fait prendre une nouvelle nationalité, celle des Apaches puis des Navajos pour vivre en accord avec ses principes. Continuer la lecture

La Régence saisie par Law

Histoire économique et monétaire romancée

L’idée de ce roman, « La monnaie magique », provient de l’air d’un temps qui s’éloigne avec l’augmentation des taux de l’intérêt. Dans la période qui suit 2015, en réponse à la crise systémique de 2007/2008 et à la déflation, la baisse drastique des taux de l’intérêt – des taux d’intérêt négatif, une grande première dans l’histoire du capitalisme – a pu laisser croire à des financements miraculeux. La création monétaire a alimenté à la fois les Etats et la spéculation sur les marchés financiers sans pour autant se traduire par la hausse des investissements productifs. L’endettement s’est généralisé permettant des énormes profits.
Sylvain Bersinger, économiste, membre d’un cabinet de conseil, a voulu comprendre le système mis en place par Law, au moment de la Régence de Philippe d’Orléans, après la mort de Louis XIV en 1715. Comme nous, il a lu « Le Bossu » de Paul Féval – « si tu ne viens pas à Lagardère… » – qui se déroule, pour l’essentiel, rue Quincampoix, haut lieu de la folie spéculative à Paris. Il a donc repris le personnage du Bossu pour offrir un interlocuteur à Law pour expliquer le système qu’il met en place qui associe la monnaie de papier et des actions sur la compagnie de la Louisiane – une colonie – censée générer des profits futurs. La croyance fait le reste. Le futur et la croyance sont les deux fontaines des marchés financiers. Continuer la lecture

Portrait de l’auteur en habits d’historien des idéologies


Science économique ? Vous avez dit « science » ?

« Portrait du pauvre en habit de vaurien » se voulait le premier opus d’un programme de recherche de Michel Husson portant sur les dispositifs de légitimation de la pauvreté (au 19e) puis du chômage aux siècles suivants « en soulignant les similitudes et les inflexions », comme il l’écrivait en 2021. Il s’agit donc de rendre compte de la manière dont l’économie politique traite les questions de « surnuméraire » – pauvre ou chômeur -, en explicitant les soubassements idéologiques pour comprendre les types de réponse proposés.
Le résumé est facile et bien connu : si les pauvres sont pauvres, les chômeurs chômeurs c’est de leur faute, de leur responsabilité individuelle. La politique de l’État doit donc les forcer à travailler en diminuant toutes les dépenses sociales, l’assistanat. Ainsi la politique économique de Macron ne vise pas seulement à diminuer les dépenses publiques mais répond à des considérants idéologiques plus profonds. Continuer la lecture

Revoir l’histoire du blues et du jazz par les femmes

Ma Rainey mère du blues et du jazz

Les femmes, éternelles oubliées de toutes les histoires, pillées au-delà de toutes les raisons, poussent toutes les ombres pour se situer sur le devant de la scène, juste revanche de siècles d’oppressions et de dénis. Soudain le paysage change, prend d’autres dimensions. Il sort du plan et même du 3D pour figurer de nouvelles couleurs. Une partie du patrimoine culturel se redécouvre pour restructurer nos manières de voir et d’entendre. L’époque en manque pas de piquants et d’énormes remises en cause.
« Ma » Rainey a longtemps été occultée dans toutes les histoires du jazz et du blues. Elle n’était belle que sur scène dans son génie de faire vivre le blues, ces morceaux de vie des populations africaines-américaines. Elle a fait partie, au début du 20e siècle, des « vaudevilles », des spectacles itinérants mêlant cirque, spectacles de danses et… le blues qu’elle a propulsé au rang d’art à part entière avant même le grand succès en 1920 rencontré par « Mamie » Smith ou l’arrivée, dans toute sa splendeur de l’impératrice Bessie Smith, une amie proche qu’elle a influencée. Elle a, la première, donné sa chance à Louis Armstrong qui enregistrera aussi avec Bessie Smith comme un jeune homme timide qu’il était alors, deuxième trompette dans les groupes de King Oliver.
Il fallait un livre, en français, pour redonner à « Ma » Rainey – parce qu’il y a un « Pa » Rainey – toute sa place. « Ma Rainey, le blues est une femme » signé Frédéric Adrian, journaliste à « Soul Bag » – une revue essentielle – veut tenir ce rôle. Il prend la suite du film de 2020 « Ma Rainey’s Black Bottom », et avant de Angela Davis qui lui a redonné vie.
Difficile pourtant de retracer une vie constituée pour l’essentiel de tournées dans le Sud sinon pour faire la démonstration essentielle : sa popularité et ses créations de blues devenus grâce à elle, des airs de répertoire. L’auteur la décrit dans ses habits de scène, essayant de cerner via les articles de journaux de l’époque, sa présence, son génie.
Comme toutes les femmes du blues et du jazz qui lui succéderont, elle sera féministe et bisexuelle une solidarité nécessaire dans ce monde d’hommes étalant leurs prérogatives et leur domination.
Il reste des traces de son passage via les enregistrements qu’elle effectuera souvent avec des musiciens de jazz notamment le grand tromboniste, grande voix du blues lui aussi, Charlie Green. Tous ne sont pas de très grande qualité mais ils permettent de pénétrer dans ce monde où règne « Ma » Rainey ouvrant la porte et les fenêtres à des recherches sur l’histoire de ces musiques. Le fantôme de « Ma » Rainey n’a pas fini d’arpenter nos mémoires.
Nicolas Béniès
« Ma Rainey, le blues est une femme », Frédéric Adrian, Éditions Ampelos.

Polar, Faire vivre toutes les mémoires


Série cracovienne

Maryla Szymiczkowa poursuit Sofia Turbotynska dans sa découverte d’elle-même, de son environnement dans sa ville de Cracovie en cette fin du 19e – partie de l’empire austro-hongrois – à travers des enquêtes à la mode Agatha Christie, inspirée des grands romanciers polonais. Après « Mme Mohr a disparu » consacré à la petite bourgeoisie et à ses modes de vie et ses préjugés, « Le rideau déchiré » – un titre de Hitchcock – s’attache à un début de prise de conscience de Sofia sur la réalité du bourbier qu’est la ville via des plongées dans le quartier juif et les récits de prostituées.
Le point de départ, le meurtre de sa femme de chambre, Karolina. Sofia enquête. Les soupçons se portent sur un jeune révolté que la police tue sans autre forme de procès qui ne l’empêche pas de poursuivre pour faire surgir un pacte de corruption, avec l’aide du procureur.
Plus enlevé que le précédent, apuré sans doute de quelques références qui avaient tendance à alourdir le style, l’intrigue elle-même gagne en profondeur. Sofia commence à se séparer de son milieu pour appréhender un monde qu’elle ne connaissait pas et se livre à ses yeux étonnés. Continuer la lecture

James Lee Burke raconte une adolescence dans le Texas du début des années 1950

Histoire et mémoire mêlées en une fiction réelle

James Lee Burke fait une nouvelle fois la preuve qu’il est un des grands écrivains du Sud des États-Unis, un Faulkner contaminé par le polar pour faire éclater la réalité du monde. « Les jaloux » pose un adolescent, Aaron Holland Broussard, dans l’environnement du boom du pétrole – le film « Geant » avec James Dean et Rock Hudson le décrit aussi – qui a généré d’énormes fortunes, de la mafia toute puissante, la surexploitation des Mexicains et une police qui semble impuissante comme un racisme endémique. Les souvenirs des deux guerres sont encore présents pour le père du jeune homme qui noie sa mélancolie dans l’alcool alors que la mère se réfugie dans une dépression endémique. Continuer la lecture