Romanciers saisis par la réalité

Fiction de la réalité ou réalité de la fiction ?

La mode est d’affirmer, pour un film surtout quelque fois pour un roman d’accoler la formule « tiré d’un fait réel » comme si cette mention délivrait un certificat d’honnêteté. La plupart du temps, ces réalisations ne restent pas, je dirai presque par définition, dans l’actualité. L’art se refuse à un tel compromis qui remet en cause directement la part de l’imagination, du rêve.

Il arrive pourtant que des personnages « réels » – les guillemets s’expliquent par l’interrogation qui est la nôtre face à leur comportement, Chirac était-il plus « réel » que sa marionnette ? – accèdent au statut enviable de personnages de fiction. C’est le cas pour deux récits qui viennent d’être simultanément réédités dans la collection de poche d’Actes Sud, Babel, « Anatomie d’un instant » de Javier Cercas sur le coup d’État avorté en Espagne le 23 février 1981 et « Chroniques de la révolution égyptienne » de Alaa El Aswany, auteur de l’immortel « Immeuble Yacoubian ». Continuer la lecture

DICTIONNAIRE

K comme Krach financier.

Un krach financier se traduit par un effondrement du cours des titres sur les marchés financiers. Les titres sont l’expression d’une opération financière d’une grande entreprise ou d’un État. Ils sont aussi divers qu’il existe de marchés financiers, réglementés ou non. Ce processus s’est appelé « titrisation ». Ces innovations financières sont liées aux banques qui les mettent sur les marchés en les garantissant. Cet aval est une opération dite « hors bilan » puisqu’elle ne se traduit pas par une rentrée ou une sortie d’argent. En cas de faillite de l’opérateur, la banque se trouve obligée d’inscrire dans ses comptes ces titres à la valeur dépréciée. Elle affiche donc des pertes et se trouve en butte au manque de confiance des autres opérateurs financiers ou des autres banques qui craignent qu’elle ne fasse faillite. Les prêts se tarissent, le système de compensation est gelé. Les banques qui possèdent des liquidités ne prêtent plus à celles qui en ont besoin, au jour le jour. La faillite est au bout. Pour l’éviter, les banques centrales ont toute baissé leur taux d’intérêt – directeur ou d’escompte – pour permettre le refinancement à bas prix des banques. Pour prendre la place du système de compensation défaillant et, ainsi, éviter la faillite à court terme. Sans régler aucune des contradictions mais en les reportant dans le temps. Continuer la lecture

Emile Savitry, peintre, photographe et amateur de jazz…

Un film maudit, un photographe redécouvert.

Ce livre là est à plusieurs entrées. Un film, de Carné et Prévert, « La fleur de l’âge », commencé en 1936, terminé en 1947, jamais vu dont les bobines ont disparu avec comme sujet les maisons de redressement, celle de Belle-Île en l’occurrence. Un sujet social par excellence qui avait suscité la colère et la révolte de Jacques Prévert. Il a fallu attendre un siècle, dans les années 1970, pour que ces « maisons » soient supprimées. Carole Aurouet raconte cette saga avec ce qu’il faut d’empathie avec le sujet et une érudition qui tient de l’enquête policière.

C’est aussi la redécouverte d’un photographe et peintre, Émile Savitry. Il ne reste de ce film que ses photos. Elles donnent envie d’en savoir plus sur ce personnage qui avait fait découvrir Louis Armstrong à Django Reinhardt…

« Émile Savitry. Un récit photographique », présenté par Carole Aurouet suivi d’un portrait de Savitry, « Savitry est peintre » de Sophie Malexis, Gallimard.

Patrick Modiano se dessine

Dix romans pour une œuvre.

Patrick Modiano qui dit détester les hommages et reculer devant les métaphores – pour qualifier un bleu il ne trouve que l’adjectif bleu – a construit son propre hommage en proposant dix romans « réunis pour la première fois forment un seul ouvrage et ils sont l’épine dorsale des autres qui ne figurent pas dans ce volume » écrit-il dans sa présentation. Ce « Quarto » ouvre donc des clés de compréhension de l’œuvre de cet écrivain étrange loin des modes. Il s’ouvre sur une sorte d’album de famille ou d’autobiographie qui fait écho à « Livret de famille » tout en épaississant le mystère plutôt que de dévoiler les ressorts cachés de cette recherche effrénée des traces du passé, d’un passé volontiers recomposé. La couleur sépia de ces photos en noir et blanc ajoute des ombres au flou des souvenirs qui eux-mêmes supposent une part d’oubli pour retracer des destins qui auraient pu être différents. Modiano fait revivre des personnages issus des mondes « réels » tout en les transposant dans un brouillard mémoriel. Les morts vivent sur le dos des vivants avait écrit Cercas, ici les disparus recommencent leur vie pour démontrer l’étendue du champ des possibles. Le fatum n’existe pas. Si la possibilité existait de recommencer sa vie, il faudrait la réaliser différemment pour faire d’autres expériences.

Pour dire que ces romans ne sont pas un travail de mémoire, mais une reconstruction, l’ouverture vers le hasard qui transforme des vies inscrites dans un contexte historique qui oblige à des choix contraints. Le flou qui habite cette œuvre est celui de nos histoires. Avec ce volume, Modiano nous invite à le relire, à le réévaluer et à suivre ses personnages pour entrer dans son univers.

Nicolas Béniès.

« Romans », Patrick Modiano, Quarto/Gallimard, 1087 p.

 

Un témoignage inestimable sur la guerre d’Algérie.

Un enfant du 20e siècle.

Né en 1915, avoir vécu 1936 puis devenir instituteur dans le bled algérien en 1940 pour ensuite enseigner à Bougie et avoir vécu la guerre d’Algérie en France est un parcours personnel qui rejoint l’Histoire. Gaston Revel a conservé ses carnets, sa correspondance et ses photographies mis à la disposition du public et présentés par Alexis Sempé, professeur d’Histoire. « Un instituteur communiste en Algérie » est sans doute un titre trop modeste qui ne dit pas l’importance du contenu. Pourtant, c’est bien d’enseignement et d’engagement pour la laïcité, pour la défense des droits qu’il s’agit. Instituteur et communiste, c’était être placé au premier rang pour comprendre « les événements » comme on disait à l’époque. Un témoignage inestimable sur l’école, la République, la nécessité de l’engagement et du combat.

N.B.

« Un instituteur communiste en Algérie. L’engagement et le combat (1936 – 1965) », présentation et notes par Alexis Sempé, préface de Jacques Cantier, La Louve Éditions.

Libéralisme et libéraux

 

Le libéralisme à l’aune de sa pratique

Il est deux manières principales de critiquer des théories. Soit par une critique interne pour faire la démonstration du manque de logique entre les hypothèses et les conclusions ou démontrer que les hypothèses contiennent déjà les conclusions, soit par une critique externe pour confronter théorie et réalités et mettre l’accent sur les contradictions entre théorie et pratique. Dominique Losurdo – traduit par Bernard Chamayou – a emprunté cette dernière voie. Le résultat est à la fois une leçon d’histoire sur les États-Unis, sur l’esclavage cette contradiction violente des libéraux d’avec leur théorie – , une synthèse de ces théories libérales – sur le terrain politique et accessoirement sur le terrain économique – et deux réflexions qui terminent l’ouvrage sur « Conscience de soi, fausse conscience, conflits de la communauté des hommes libres » pour poursuivre un débat commencé notamment avec George Luckas dans « Histoire et conscience de classe » (traduction française aux Éditions de Minuit) et « Espace sacré et espace profane dans l’histoire du libéralisme ». Une thèse qui ouvre des espaces à notre réflexion.

N.B.

« Contre-histoire du libéralisme », Dominique Losurdo, La Découverte.

 

Lorsque l’économie se livre en livres

EconomieDe la critique du libéralisme à de nouvelles propositions.

1) La crise en questions

Philippe Askenazy et Daniel Cohen récidivent. Sous leur direction, Albin Michel avait publié, en 2008, « 27 questions d’économie contemporaine » – qui, soit dit en passant, parlait peu de la crise systémique qui s’était déclenché, sans les prévenir, le 9 août 2007 – pour brosser un tableau des manques de cette dite science sociale, suivi, en 2010, des « 16 nouvelles questions d’économie contemporaine » qui abordait les causes de la crise financière et celle de l’Etat providence tout en proposant des pistes nouvelles pour l’assurance vieillesse ou la fiscalité. Pistes contestables dont certaines se retrouvent dans la vulgate gouvernementale, séparées de leur environnement théorique. Elles deviennent des « tartes à la crème » – comme le partage de l’espérance de vie entre travail contraint et travail non contraint, expression d’un recul idéologique profond portant sur la réduction du temps de travail – qui ôtent toute saveur au débat théorique sur la nécessité de ces propositions. Le gouvernement actuel rend un bien mauvais service à la cause de la science économique et à la gauche toute entière. Continuer la lecture

Le coin du polar, juin 2013

Poker en ligne, arnaques et corruption.

Ce titre du monde (des 16 et 17 juin 2013), « Les sites de poker en ligne lancent un SOS à l’État » est une excellente introduction à cette deuxième enquête de la spécialiste du recouvrement, Ava Lee. Le début de l’article est une forme d’explication de l’intrigue de ce roman de Ian Hamilton, « Trois ans après la légalisation (…) le marché français est (…) en train de décliner. » Avant lui, le marché de Las Vegas connaissait aussi des problèmes de financement. Continuer la lecture

Le jazz en 1954 – 1961

Le champ des possibles s’ouvre.

 

Les histoires du jazz, qui ont besoin d’une chronologie, habillent le milieu des années 50 – à partir de 1948 pour être précis et du nonet de Miles Davis – des couleurs de la côte Ouest des États-Unis et parlent du « Jazz West Coast » ou « Cool » pour signifier un jazz plus cd« travaillé », plus arrangé, plus composé. Considéré pendant un temps comme un « jazz blanc » par les amateurs de jazz en France sous l’influence de Boris Vian suivant les traces de Hugues Panassié, ce jazz a repris de l’importance en fonction même des interrogations actuelles sur l’avenir de cette musique qui n’a pas de nom. Continuer la lecture

Mémoire vivante de la radio et de la chanson.

trénetTrénet et Barbara, l’ancien et la nouvelle

Dans ce milieu des années 1950 Charles Trénet a récupéré sa place dans la chanson française. Il compose, en 1957, « Le jardin extraordinaire », titre de ce 11e album de ses aventures qui couvre – mal, dans le 12e on aura droit à sa prestation sur la scène d’un grand music hall – les années 1955-57. Un jardin qui restera dans toutes les mémoires à l’instar des autres grands succès du « fou chantant », surnom qu’il avait gagné dans ces années 1937.. Pourtant, « Gangsters et documentaires », de cette même année, est aussi un petit chef d’œuvre… Continuer la lecture