Denez apprend à naviguer sur une mer de larmes déchaînée

Le présent aux risques du passé.

« Ur Mor a Zaeloù », une mer de larmes, tel est le monde ? Oui si les êtres humains se donnent la possibilité de voguer sur cette mer, de retrouver le passé jamais dépassé mais inclus dans notre présent pour chanter les amours perdues, les joies retrouvées et la vie telle qu’elle ne va pas pour se révolter contre un ordre du monde fait de rejets et d’exclusion. Rappeler la famine de Kiev, les épidémies c’est dire que les plaies du passé peuvent resurgir en apparaissant comme neuves. Continuer la lecture

Black Lives Matter, un slogan ? Une lutte pour la vie

Se battre pour la dignité, la liberté, la vie par la musique, la danse, la transe.
« Black Lives Matter », les vies noires comptent, a exprimé une révolte profonde contre la peur, l’angoisse des Africains-Américains particulièrement dans le Sud des États-Unis mais pas seulement. Nos sociétés dites développées font pousser hautes les racines des racismes et des exclusions. Ta-Nehisi Coates avait mis par écrit sa colère contre la forme de la société américaine dans « Le procès de l’Amérique » et dans, plus déchirant encore, « Une colère noire », sous titré « lettre à mon fils » – traduction française chez « autrement » – dans laquelle il expliquait comment et à quelles conditions survivre.
Réunir un collectif d’artistes sous le nom générique de « Black Lives, From Generation to Generation » ne pouvait naître que dans la tête d’une femme qui connaît l’importance des musiques issues de l’Afrique, de ces musiques noires sous toutes ses formes et quelle que soit la couleur de peau des musicien.ne.s. Stéfany Calembert, productrice du double album qui réunit 20 groupes, fut celle là pour son label « Jammin’ colors ». Un voyage dans toutes ces cultures qui se donnent ici rendez-vous pour dire leur volonté de dignité, de liberté de création, leur place essentielle dans les structurations esthétiques et sociales de toutes les sociétés du monde. Une force vitale émane de ces enregistrements, la force vitale humaine qui casse tous les codes pour s’affirmer et affirmer leur place. La danse, le corps qui bouge qui montre sa sensualité, sa sexualité fait exploser tous les silences. La musique crie, revendique pour s’inscrire dans la lutte collective contre tous les racismes, toutes les exclusions.
« Black Lives Generation to Generation », se veut transmission de toutes les mémoires pour construire des échanges entre les générations, pour ne rien oublier, manière de construire les mémoires du futur.
Il fallait bien que ce projet n’en reste pas à la seule trace enregistrée mais se traduise par des performances et par la fusion avec le public. A la grande joie de Stéfany et à la notre des concerts sont prévus, les dates font partie de l’affiche qui annonce ces prestations. Ne les ratez pas.

Nicolas Béniès
« Black Lives Generation to Generation », un coffret de deux CD, Jammin’ colors.

Polar De Naples à nulle part et partout en passant par Chicago lieu d’exil des Japonais-Américains


Visions de morts et d’amour

Retrouver le commissaire Ricciardi et Naples qui s’apprête à fêter les 10 ans de la marche sur Rome et l’arrivée au pouvoir du Duce, de Mussolini – le 29 octobre 1922 – est un plaisir presque coupable. Le polar se fait poésie pour conter l’amour qui traverse les océans sous la forme d’un boxeur célèbre et célébré, d’un crime crapuleux au nom d’un amour égaré dans les plis de la folie et du commissaire lui-même incapable de répondre à l’être aimée, secoué par les souvenirs de sa mère et de sa propre maladie, héréditaire comme il se doit. Continuer la lecture

Polar : Un nouvel Arlidge

Une adolescence à Southampton

M.J. Arlidge en une série qui met en scène Helen Grace, cheffe d’une escouade de la police de Southampton. La solidarité de son équipe a été mise à mal. Helen a été accusée à tort et sort juste de 9 mois de prison. Les traces sont sensibles. Faisant office de commissaire, elle est confrontée à une série de meurtres apparemment sans lien entre eux.
L’enquête se transforme vite en un portrait d’adolescentes en butte, à cause de son père alcoolique, au harcèlement de ses camarades. C’est aussi une immersion dans cette classe moyenne déclassée qui ne sait plus quelle est sa place dans cette société fortement marquée par les effets des politiques néo libérales, de baisse des dépenses sociale.
« A la folie, pas du tout » – le titre original « Love me not » est plus explicite – fait exploser les secrets de famille qui semble toucher toutes les familles, celle d’Helen ne fait pas exception. Une découpe au scalpel de cette société totalement bouleversée par les coups de massue de Thatcher d’abord et des gouvernements qui ont suivi. Continuer la lecture

Polar very british

Une adolescence à Southampton

M.J. Arlidge en une série qui met en scène Helen Grace, cheffe d’une escouade de la police de Southampton. La solidarité de son équipe a été mise à mal. Helen a été accusée à tort et sort juste de 9 mois de prison. Les traces sont sensibles. Faisant office de commissaire, elle est confrontée à une série de meurtres apparemment sans lien entre eux.
L’enquête se transforme vite en un portrait d’adolescentes en butte, à cause de son père alcoolique, au harcèlement de ses camarades. C’est aussi une immersion dans cette classe moyenne déclassée qui ne sait plus quelle est sa place dans cette société fortement marquée par les effets des politiques néo libérales, de baisse des dépenses sociale.
« A la folie, pas du tout » – le titre original « Love me not » est plus explicite – fait exploser les secrets de famille qui semble toucher toutes les familles, celle d’Helen ne fait pas exception. Une découpe au scalpel de cette société totalement bouleversée par les coups de massue de Thatcher d’abord et des gouvernements qui ont suivi.
La paranoïa tient sa place comme la vengeance – même si les cibles ne sont pas les bonnes – qui provoquent le besoin de reconnaissance. « Aimez-moi » sinon « suppliez-moi » pourrait raisonner le fonctionnement de la société.
Des personnages attachants qui évitent tout manichéisme.
Nicolas Béniès
« A la folie, pas du tout », M.J. Arlidge, traduit par Séverine Quelet, 10/18

Un curieux polar en forme de documentaire

Le tour de France vu par un auteur mexicain
« Mort contre la montre » permet de s’insinuer dans les coulisses d’une compétition vedette du cyslisme mondial, le tour de France, un calvaire, un chemin de croix pour tous les coureurs des leaders jusqu’au dernier du peloton. Jorge Zepeda Patterson met en scène un franco-colombien né à Medellin, d’un père militaire français et d’une mère colombienne – Marc Moreau – qui trouve son salut dans le cyclisme en devenant « gregario », celui qui se sacrifie pour faire gagner le leader. L’éternel oublié, celui qui ne portera jamais le maillot jaune.
Pour ce tour des incidents se multiplient : chute massive du peloton mais surtout des assassinats. Qui veut détruire les équipes adverses pour gagner ? L’ex caporal Moreau est sollicité, par la police, pour mener l’enquête. A chaque étape, à partir de la septième, il fait le compte des suspects et du classement général, manière de maintenir l’intérêt et suivre la routine des coureurs, massage, repose, entraînement, fatigue et volonté de poursuivre.
L’astuce de l’auteur, est de transformer le cycliste en une marchandise manipulée dans tous les sens et par tout le personnel du tour. La fin est une manière de faire résonner la seule chose qui compte : gagner et gagner à tout prix. Personne ne peut en sortir indemne. La camaraderie existe, la solidarité aussi qui volent en éclat devant le trophée, le Graal, le maillot jaune. L’apparence d’une ode au sport se transforme en critique du sport de compétition par une simple phrase dans l’épilogue. En même temps, il rend hommage aux soutiers, à ceux qui représentent l’âme de ce tour de France, à leur rage, à leur colère, à leur envie de poser le pied sur le podium.
Nicolas Béniès
« Mort contre la montre », Jorge Zepeda Patterson, traduit par Claude Bleton, Babel Noir/Actes Sud

Jazz (3)

Retrouver le monde
Construire une musique de relations entre les paysages intérieurs aussi divers que les âges de la vie de chaque individu et les nécessités de conserver les paysages extérieurs pour retrouver une sagesse utopique via tous les chemins de traverse possibles. Claude Tchamitchian, contrebasse et compositions, a voulu, via 5 poèmes, renouer les fils des mémoires perdues, pour entendre le murmure du temps.
« Ways out » est un mélange de reconnaissance de la fragile beauté du monde et de colères contre les destructions de notre environnement, nous dit-il. La musique sait transcender toutes les intentions et se poser comme la représentation du monde. Le quintet sait donner vie à ces compositions en leur insufflant leur propre univers. Daniel Erdmann, saxophones, sait évoquer toutes les sonorités passées mariées à sa propre sensibilité, Régis Huby, violon, manie les sons pour faire éclater tous les recoins cachés, Rémi Charmasson, guitare, laisse passer toutes les références au rock et à Jimi Hendrix et Christophe Marguet, batteur, fait chanter les peaux pour retrouver le goût de la nature.
Une musique à rêver pour changer de mode de vie.
Nicolas Béniès
« Ways out », Claude Tchamitchian quintet, Label Emouvance/Distribution Absilone

Jazz Disques de l’été (suite)


Un trio étrange mais pas étranger

Ôtrium – Oh quel trio – se compose d’un trompettiste, Quentin Ghomari, d’un contrebassiste, Yoni Zelnik et d’un batteur, Antoine Paganotti, trio rare s’il en fut. L’écoute réciproque est fondamentale pour réussir ce tour de force. La fluidité du propos ne pouvait supporter la présence d’un piano, instrument roi dans tous les domaines qui aurait envahi tout l’espace.
Le trio réunit Ornette Coleman, son goût pour les mélodies simples, sortes de comptines charriant toutes les mémoires du jazz, de Charlie Parker notamment, la sonorité de Miles Davis et des compositions originales en un format qui ne l’est pas moins. Chaque instrument exprime tour à tour le rythme et la mélodie comme le proposait Ornette Coleman. Une manière de se situer dans le monde d’aujourd’hui pour combattre son absence d’humanité. Une musique joyeuse, ironique, contemplative qui fait plaisir à vivre
Un trio à écouter loin de toutes les contraintes d’emploi du temps.
Nicolas Béniès
« Ôtrium », Quentin Ghomari, Neu Klang

Réunion

Wolfgang Haffner, batteur, a rêvé – comme nous – d’un mini big band composé de musiciens qu’il connaît et qu’il aime. Randy Brecker, trompette – une sonorité, de l’imagination liée à tous ses héritages, au souvenir de Michaël -, Bill Evans, saxophoniste et un peu pianiste ici, Nils Landgren, trombone et un peu vocaliste, Christopher Dell, vibraphone, Simon Oslender, claviers et piano et Thomas Stieger, basse forment le « Dream Band » haffnérien, un peu aérien tout en restant très proche de la terre du swing pour faire danser, pour conserver toutes les racines et les faire prospérer. La participation du public est essentielle pour faire prendre corps à cette musique qui nous emporte.
Un double album nécessaire pour dépasser les nuages noirs qui s’amoncellent, la beauté d’une réunion de talents qui décident de jouer – dans tous les sens du terme – ensemble en échangeant des idées, des rythmes, des souvenirs et d’autre chose encore pour réaliser cette fusion qui nous ravit. Rêvons, rêvons, il nous en restera toujours quelque chose du côté de l’essentiel.
Nicolas Béniès
« Dream Band, Live in concert », Wolfgang Haffner, ACT

Voyage immobile

La pandémie s’est traduite par une immobilité difficile à supporter. Pour tout le monde mais plus encore pour les musiciens qui ont besoin, surtout pour le jazz, du public pour créer et se dépasser, pour visiter d’autres cultures et s’en inspirer pour construire leur monde. Le Mezcal Jazz Unit, un quartet, Christophe Azéma, saxophone baryton et soprano, Jean Marie Frederic, guitares, Emmanuel de Gouvello, Fretless basse, Daniel Solia, batterie, a voulu combattre le spleen en organisant un voyage chez leurs amis invisibles. « Traveling Band », l’orchestre voyage, est le résultat de ces rencontres réelles et imaginaires. L’esprit s’évade vers d’autres lieux, d’autres chocs, d’autres univers et le quartet nous y entraîne. Il n’oublie pas la pulsation du jazz qui reste dominante en incluant d’autres traditions, méditerranéenne, européenne en particulier, sans oublier l’Afrique et l’Asie, une manière de faire le tour du monde sans bouger. La danse est la condition d’une fusion réussie et c’est le cas.
Musique du rythme et de la démesure.
Nicolas Béniès
« Traveling Band », Mezcal Jazz Unit, Mezcal Productions

Du jazz en livres…

Comment devient-on un génie ?

John Coltrane, saxophoniste ténor et soprano, a révolutionné les mondes du jazz et au-delà. C’est le dernier génie en date du jazz. Il représente la quintessence de ces années 60, années de révolte, de colère, de barbarie et d’espoirs. Il fait entendre dans son jeu incandescent, dans le « son » qu’il réussit à trouver à force de travail, cet ensemble. Qu’il sait aussi dépasser pour rester notre contemporain. Toutes ses interrogations restent les nôtres.
Jusqu’à présent, aucun livre n’avait su lui rendre toutes ses dimensions. A la fois musicales, spirituelles, humaines et biographiques tout en insistant sur l’essentiel qui se dérobe, le génie. Lewis Porter l’a fait et Vincent Cotro l’a traduit tout en apportant sa propre touche à ce portrait d’un homme dans son temps projeté hors du temps, construisant un espace temps singulier en voulant se perdre dans la musique sans jamais vraiment y réussir. Il dira, je sais toujours où je vais. L’auditeur arrive à en douter quelque fois, tellement il est pris dans ce tourbillon. Il doute de ce qu’il entend. L’intérêt de ce livre est là aussi. Mettre sur le papier la musique de Coltrane. Tout le monde ne lit pas la musique, je le sais bien mais la reproduction de ces partitions permet de comprendre la méthode mise en œuvre. Car méthode il y a. Continuer la lecture

Jazz : d’un vent du désert aux Indiens,, le jazz reste une musique de contestation


Quand le vent du désert vient à nous.

Le Sirocco est parfois tellement fort, tellement imprévisible qu’il passe la Méditerranée pour envahir jusqu’au Nord et l’Ouest de la France déposant des pellicules jaunâtres sur les voitures et les immeubles. Un vent qui ne respecte rien même pas les frontières.
Pour ce nouvel album, « Sirocco », Hubert Dupont, bassiste de son état, s’en inspire. Entouré de Christophe Monniot aux saxophones et instruments électroniques et de Théo Fisher, beatmaker, live electro – pour recopier ce qui figure sur la pochette, il faut l’entendre pour le comprendre – venu du hip hop. Transgresser les genres est une nécessité pour créer des ambiances originales. Cette musique transporte autant de grains que le vent du sud. Elle veut faire danser et s’entend comme une chorégraphie mentale qui laisse chacun.e libre de l’imaginer. Continuer la lecture