Martial Solal pianiste de jazz (Alger 23/08/1927 – Chatou 12/12/2024)

L’improvisation comme méthode de création

Comment devient-on musicien de jazz ? Par colère sans doute. C’est elle qui est la meilleure conseillère lorsqu’elle se transforme en brûlure de la révolte. L’adolescent Martial Solal à Alger subit les conséquences des lois antisémites du régime du Maréchal Pétain : l’entrée de son lycée lui est refusée. Un monde se ferme. Il est seul et se sent seul. La violence de ce rejet – même s’il en parle très peu – restera comme une marque indélébile. Peut-être est-ce dans cet événement de la grande histoire qu’il faut chercher les ressorts d’une volonté inaltérable de devenir un pianiste hors-norme. Pour obliger les autres à le regarder, le considérer. Le personnage pourrait, en d’autres circonstances plus terribles encore, être dessiné par Jiri Weil qui dans « Vivre avec une étoile » (10/18) décrit l’abandon de soi et la lente prise de conscience de la lutte collective pour redevenir soi-même d’un Juif à Prague pendant cette même période. Lueurs d’un avenir commun pour refuser la loi des nazis, l’avilissement. Continuer la lecture

Trump, image de la contre révolution mondiale

Révolution(s) et contre révolution(s)

Les sociétés capitalistes développées bouillonnent. L’inédit devient habituel. Ce qui signifie que le monde est en train de changer, de se révolutionner. Un monde devrait disparaître, son modèle d’accumulation est obsolète. Les crises capitalistes indiquent la nécessité d’une révolution interne au système pour faire naître un nouveau régime d’accumulation, de nouvelles modalités de création des richesses, ce qui suppose de rompre avec celui né dans les années 1980 appelé régime d’accumulation à dominante financière. Des forces sociales réactionnaires, les privilégiés – les ultra riches – de cette société qui a vu les inégalités s’approfondir, s’opposent à tout changement fondamental, prenant le risque, par cette mentalité de colons, d’explosions sociales et sociétales. Dans leur recherche de légitimation des pouvoirs en place, ils ne craignent pas de faire appel aux dogmes religieux les plus éculés. Continuer la lecture

BD documentaire

Une histoire comme il faut les aimer

Fred Leclerc décide, alors qu’il est au chômage, de suivre les traces de Samuel Paty : devenir prof pour apporter la connaissance aux enfants. Il décide de postuler au poste de prof d’arts plastiques dans les écoles primaires parisiennes – un poste qui n’existe nul part ailleurs. Sans aucune formation, il est jeté devant des élèves qui ne savent pas se discipliner. Les bulles donnent à voir le désarroi, les nuits sans sommeil, la dépression… dus à la décomposition du rêve mais aussi des réactions sympathiques de ces jeunes élèves qui ne comprennent pas pourquoi le prof démissionne. Continuer la lecture

Trois essais qui interrogent notre monde

La fin de l’Histoire et les spectres.

Après la chute du mur de Berlin en novembre 1989, les théorisations de Fukuyama sur la fin de l’Histoire, le capitalisme accédant à l’éternité toute contestation éteinte. « Spectres de Marx » est la réponse de Jacques Derrida mélangeant Shakespeare (Hamlet), Freud (l’interprétation des rêves), comme beaucoup d’autres pour faire surgie ces spectres qui continuent de hanter notre monde. Heureusement. Cette réédition nécessaire est complétée par un questionnaire d’Etienne Balibar qui tente d’éclairer les zones d’ombre.
Il nous faudra revenir sur cette période qui a vu naître la(contre) révolution dite néo libérale – Thatcher et Reagan en ont été les premiers serviteurs – et rendu plus spectrale encore les spectres de Marx sans entamer sa place centrale d’analyste fondamental de la société capitaliste.
NB
« Spectres de Marx », JacquesDerrida, Editions du Seuil

Recréer du collectif.
Franck Fischbach, dans la lignée de l’école de Francfort, propose le « Faire ensemble », titre de son essai, en rompant avec le capitalisme qui a franchi toutes ses limites et s’agite dans une succession de crises. Position critique qui le conduit, à partir de Hegel, à proposer une « reconstruction sociale » qui pourrait passer par le retour de la lutte des classes et la construction d’un projet collectif, coopératif. Pas toujours convainquant mais stimulant. Il passe un peu vite sur les pères fondateurs de cette « école » qui n’en était pas vraiment une pour s’attacher aux contemporains particulièrement Axel Honneth qui, dans « La réification », « Petit traité de théorie critique », insiste sur les raisons sociales de la chosification en oubliant l’économie, les formes de l’accumulation du capital. Fishbach suit la même voie tout en voulant démontrer que le capitalisme – la forme actuelle ? – tue toute possibilité de solidarité. Le « comment » reste mla grande question dans les guerres qui se développent de manière qui semblent irrationnelle parce qu’elles répondent à d’autres paradigmes que ceux d’hier.
NB
« Faire ensemble », F. Fischbach, Editions du Seuil

Comment construire la Paix ?
Le monde est entré dans des zones de tempêtes, dans des guerres qui durent. Est-il possible de « maîtriser les conflits » ? Oui répond Edouard Jourdain en construisant « les communs », par le collectif et en sortant de la marchandisation qui ne permet de satisfaire les besoins fondamentaux des populations. Il voudrait, comme l’indique le sous titre, contribuer « à une théorie politique de l’anticipation et de la conjuration des guerres ». Le chemin sera long…
NB
« Maîtriser les conflits par les communs », E Jourdain, Frémeaux et associés

« La première guerre d’Algérie », les racines.

Deux histoires parallèles et pourtant commune

Si on vous interroge sur la colonisation française en Algérie, 1830-1852, la période retenue par Alain Ruscio, les réponses habituelles tournent autour de Bugeaud, général puis maréchal, député, Abd el-Kader – l’émir, image de la résistance – et l’implantation de colons par une politique de massacre des populations autochtones. L’auteur a voulu retracer dans cette enquête historique serrée, au sous titre explicite « une histoire de conquête et de résistance », la bonne conscience des colonisateurs, à commencer par Victor Hugo, qui sont armés du progrès et de la civilisation sans connaître l’histoire et la culture des populations qu’ils veulent asservir. Sans prendre en compte la capacité de lutte des populations qui commençaient à construire un Etat. Une histoire oubliée ! Continuer la lecture

Des cadeaux à (se) faire


Une femme aux prises avec les deux grandes affaires de la vie : la guerre et l’amour fou

Le journal de Monique Barbey, née en Suisse, « Il n’y a qu’une façon d’aimer » est un grand livre d’une femme qui aime, comme il le faut, à la folie qui en souffre mais qui lui donne une joie, un bonheur sans partage. Elle raconte aussi la vie d’une femme d’un milieu fermé, protestant partagé entre le recours à Dieu, à la folie des hommes et au coup de foudre réciproque. Ce journal ne cache rien pas seulement des affres de l’amour fou, de la lâcheté du général Koenig, qui ne veut pas rompre ses liens précédents, mais aussi de l’antisémitisme de ce milieu incapable de comprendre le génocide des Juifs pendant cette guerre. Elle raconte aussi le vie d’une femme mariée contre son gré et qui se noie dans toutes ses obligations. Il faudra qu’elle attende sa retraite pour devenir comédienne et écrivaine. Ce journal fait la démonstration qu’elle a eu tord d’attendre. A offrir sans modération.
« Il n’y a qu’une façon d’aimer », M. Barbey, Le Condottière

Femmes oubliées

Marie-Paule Berranger nous invite dans les mondes de « 33 femmes surréalistes », une anthologie bien titrée « L’araignée pendue à un cil ». Une manière de féter les 100 ans du surréalisme en donnant à entendre leurs voix. Essentiel et nécessaire.
Poésie/Gallimard

Un polar historique, le milieu des années soixante en Belgique

« On a tiré sur Aragon » est une enquête étrange sur les raisons d’un coup de fusil qui a ciblé le poète en train de réviser « Les communistes », une somme qui se voulait à la gloire des militants. Pourquoi cet attentat ? Un privé qui fut proche du PC est chargé d’élucider le mystère. François Weerts fait œuvre d’historien retraçant le climat de cette époque terra incognita pour les générations d’aujourd’hui. Le Parti communiste joue un rôle central dans la vie politique française. La déstalinisation le touche de plein fouet. Il n’a pas encore digéré le « rapport Kroutchev ». Une excellente façon, même partielle, de s’introduire dans cette période de notre histoire. D’autant que l’auteur nous entraîne aussi sur le champ des affrontements littéraires. Un polar dans lequel le lecteur s’installe.
« On a tiré sur Aragon », François Weerts, Rouergue/noir

Science fiction ?

Jacek Duraj est un des grands auteurs polonais de science fiction, successeur de Lem. Face à l’effacement de la vie humaine – qui pourrait bien nous menacer -, des humains téléchargent leur esprit dans des robots et même , faute de temps, dans des robots industriels facteurs de scènes cocasses et drolatiques. Leurs pensées, leur volonté est de faire survivre uns société en essayant de l’organiser. « La vieillesse de l’Axolotl », sous titré « Hardware Dreams » les rêves d’une machine informatique pose la question de savoir si l’Intelligence artificielle – si elle existe – est capable de rêver qu’elle possède un esprit humain ou est-ce l’humain qui se rêve en machine habitant un corps d’emprunt ? Pour épaissir le mystère et provoquer des sensations étranges une page sur deux est consacré aux aventures de ces humains sans corps, l’oméga de Teilhard de Chardin en une nouvelle dimension, l’autre un dessin, une photo, des explications plus ou moins scientifiques, plus ou moins imaginées… A vous de jouer, avec les illustrations, avec les références diverses dont les emprunts au mangas… pour finir sur une interrogation comment perpétuer une civilisation ?

« La vieillesse de L’Axolotl », Jacek Duraj, traduit par Caroline Raszka-Dewez, Editions Rivages

Des nouvelles de John Edgar Wideman

« Qu’on me cherche et je ne serai plus », John Edgar Wideman participe d’une prière partagée par beaucoup d’Africains Américains dont il décrit la vie quotidienne sous forme de flashs qui son autant d’éléments d’une autobiographie qui ne dit pas son nom. Les histoires, un peu éclatées en une première lecture dues à la forme de nouvelles, prennent, après coup, la consistance d’une construction de vies dans un ghetto et dans le rejet d’une grande partie de la société. Le jazz, le blues, le gospel sont des ingrédients nécessaires à l’écriture de l’auteur. Il désespère – que dirait-il aujourd’hui après la victoire de Trump et ses nominations guignolesques et graves pour l’avenir de la démocratie – des Etats-Unis. Il rèussit son coup : nous faire réagir aux inégalités profondes, racistes, de la société américaine. A sa manière naïve et rouée il sait nous entraîner dans son monde.
« Qu’on me cherche et je ne serai plus », John Edgar Wideman, Traduit par Catherine Richard-Mas, Gallimard

Deux BD sur l’école

« Bienvenue à la SEGPA » présente les élèves qui sont considérés comme mis au ban de l’institution. Antoine Zito rend aux enseignant.e.s et aux élèves capables de se dépasser. Réjouissant.
« Derrière le portail » est, au sens fort du terme, un livre pédagogique qui montre à la fois la réalité du harcèlement et la manière d’y répondre. Emy Bill réussit un tour de force.
Editions Leduc

« LA REVUE NÈGRE », 1925

SCANDALEUSE JOSEPHINE BAKER !

Les années 20 ! « Roaring twenties », rugissantes, folles ! La guerre barbare veut se faire oublier. La « der des ders », pensait-on. Les surréalistes tiennent le haut du pavé. André Breton permet de redécouvrir Rimbaud ! Il fallait une égérie, ce fut une jeune femme, venue par hasard avec la « Revue Nègre », Joséphine Baker qui les incarna. Dans l’orchestre, un clarinettiste/saxophoniste soprano – déjà remarqué par Ernest Ansermet en 1919 dans l’orchestre de Will Marion Cook – Sidney Bechet. Il eût, à Pigalle, un échange de coups de feu avec son batteur et se retrouva en prison où il se fit ses cheveux blancs. Joséphine provoqua le scandale. Le Parlement autrichien délibérera en 1926 pour décider si elle pouvait se produire ! Le terme de « Music Hall » pour les lieux de ces revues et celui de « dancing » pour les cabarets sont nés à cette époque. Cette musique de la transe, du corps, de la liberté était adoptée par toute l’avant-garde culturelle.

Université populaire jazz, 2024 2025

Bonjour
Une nouvelle année (scolaire, la seule qui compte) ,commence. Les séances reprennent.

Nous quittons New York, les Etats-Unis pour atterrir à Paris, une des capitales du jazz. Paris sera une ville ouverte à toutes les influences, à toutes les rencontres culturelles, à tous les brassages, à tous les dialogues, toutes les confrontations jusqu’aux décisions dramatiques d’un ministre de l’intérieur – Charles Pasqua – pour lutter contre l’immigration forcément illégale. Paris aura perdu son statut et son aura.
Le jazz s’est alimenté de toutes les autres cultures, musiques, notamment africaines – Paris était le chaudron de toutes les musiques africaines – pour trouver de nouvelles voies, pour alimenter le champ des possibles.
Le jazz en France fait souvent figure d’oublié. A juste raison Martial Solal notre dans son autobiographie, « Mon siècle de jazz », qu’un musicien américain, « même un second couteau », était plus considéré que les musiciens français.

Juste un rappel – voir « Le souffle de la liberté » – que le jazz via James Europe, débarque fin 1917 début 1918 en France et qu’il a su conquérir le public français. Dans les années 1920 il fera partie intégrante de ces fausses-vraies années folles. Il participera du développement de la libération des corps, de celui des femmes en particulier, via des danses étranges, comme le charleston ou le boston et, plus encore, le lindy hop découvert dans le film Helzapoppin’.

Joséphine Baker deviendra à Paris une star avec la revue nègre au Casino de Paris défendu par tous les surréalistes – sauf André Breton – conduit par Michel Leiris et Blaise Cendrars

Cette histoire je vous l’ai déjà racontée.

L’après deuxième guerre mondiale fera oubliée l’histoire du jazz en France pendant et avant la guerre. Oubli de Michel Warlop, violoniste, compositeur, arrangeur, chef d’orchestre et génie de la musique. Vous trouverez l’essentiel dans « Le souffle de la liberté » et dans l’article publié sur ce site en hommage à mon ami Pierre Salama. Oubli du label Swing, oubli des musiciens d’avant la guerre englouti par Glenn Miller.

Pour cette année, nous nous situerons dans l’après guerre pour visiter les fantômes qui hantent des lieux, les clubs de jazz devenus eux aussi fantomatiques. Des fantômes venus d’ailleurs, comme Don Byas, saxophoniste ténor qui jouera le rôle de passeur vers le be-bop auprès des musiciens européens comme Tete Montoliù, pianiste catalan. Jean-Louis Chautemps racontait que la sonorité de Don Byas était extraordinaire. Il projetait le son, à renverser des montagnes.

Je vous propose ce voyage.

La première session aura lieu le mercredi 6 novembre à 18H, comme d’habitude, au Café Mancel, dans l’enceinte du château. Les travaux ont bien avancé et l’entrée est praticable.

Nicolas

Émissions de radio

Je réalise une série d’émissions sur le jazz sur les antennes de Radio toucaen. Possible de les écouter sur le net en faisant radio-toucaen.fr

Trois types d’émissions sont proposées

Les nouveautés, ‘Nouvelles nouveautés en jazz » – le périmètre du « jazz » n’est très bien déterminé, il est possible de se permettre quelques aperçus d’un ailleurs pas plus défini que le jazz… Je laisse aussi une place aux musicien.ne.s dont on parle peu sinon pas du tout et qui essaient de construire une musique et que, pour cette raison, il faut écouter. Les rencontres sont possibles.

L’histoire du jazz à travers ses instruments, « Jazz Késako », cette année le vibraphone – avec un peu de xylophone et de marimba. Une histoire étrange qui nait aux alentours de 1930 avec un inventeur, Lionel Hampton.

Enfin, les anniversaires mais aussi tous ces mois qui sont meurtriers et voient la disparition des incarnations de la musique art de vivre. J’ai commencé avec les 85 ans de Blue Note

A vous retrouver

NICOLAS

Le piano contre l’ennui

Martial Solal dans tous ses états et éclats (de rire, de colère…)

Allégrement, Martial Solal, pianiste, compositeur, chef d’orchestre, va vers son centième anniversaire – il est né à Alger en 1927. Centenaire ! Un choc ! Pour lui sans doute, pour nous aussi. Martial est présent à chaque moment de la vie du jazz en France comme aux États-Unis, depuis plus de 75 ans. Un bail. Il a dû se demander – jusque là il avait refusé de l’écrire – quelle signification peut avoir une « autobiographie ? Le signe de la disparition prochaine ? La reconnaissance publique sinon du public ? L’abandon du piano pour l’ordinateur ? Est-ce le début d’une future production littéraire comme a pu le faire André Hodeir avec plus ou moins de bonheur ? Signer une autobiographie ouvre la boîte de Pandore des questions.
Une lecture préalable est recommandée, permettant de tracer quelques jalons sur sa vie, ses réalisations et, surtout son rapport amoureux, passionné au piano, « Ma vie sur un tabouret » (Actes Sud, entretiens menés par Franck Médioni, 2008), qui fut présenté , par l’éditeur, comme une « autobiographie » . Une fausse-vraie ou vraie-fausse qui fait du « je » un jeu – sans vraiment jeux de mots – entre Martial Solal et Franck Médioni. Miroir de la biographie d’un être vivant interrogé.
Légitimement, on peut se demander s’il était raisonnable de doubler cette vie sur un tabouret d’une autre manière de se raconter. Continuer la lecture