Mémoire de 1999

Du côté de Cuba

Cuba est à la mode bien avant le film de Wim Wenders, Buena Vista Social Club. Le cinéaste fait faire ressentir la profonde décrépitude de La Havane comme la force de la musique. Pour être complet il aurait dû faire appel – cette critique s’adresse surtout à Ry Cooder – aux musiciens d’aujourd’hui, en même temps que les ancêtres, pour indiquer les différences et les convergences de racines et de points de vue.
Quelques parutions récentes permettent de jeter d’autres lumières sur cette culture, sur cette musique-art-de-vivre résultat de la confrontation entre des cultures africaines et européennes, une fusion différente de celle se produisant sur le continent nord-américain, provenant de la même nécessité des colons – ici espagnols – d’exploiter leurs immenses propriétés par la mise en esclavage d’Africains1. Frémeaux et associés (distribué par Night & Day) publie une « Rétrospective officielle des musiques cubaines », réalisée par le centre de développement et de recherche des archives de la musique cubaine, un coffret de 4 CD, avec un livret fort bien documenté qui met l’accent sur l’influence Yorubas comme élément déterminant dans cette alchimie, dans le son notamment. La place essentielle du vaudou est mise en évidence, non pas seulement comme religion mais comme mode de synthèse des différentes cultures africaines pour construire une culture spécifique. De quoi devenir incollable sur la musique afrocubaine, la rumba, le Guaracha, le punto cubain, le cancion et, évidemment, le son. Continuer la lecture

Startijenn (plein d’énergie)

Un folklore breton ouvert sur le monde.

Comment faire vivre la tradition ? Le groupe Startijenn revendique haut et fort ses racines bretonnes en reprenant les musiques populaires et collectives des danses de fêtes, de réunions pour faire exploser le joug quotidien et retrouver la liberté du corps, des corps qui s’entremêlent heureux. Pour que cette musique vive, il est nécessaire de la bousculer, de lui faire goûter à d’autres folklores, à d’autres cultures par glissements successifs vers d’autres rencontres, des nouvelles générations.
Une musique pour danser que ce « Talmur galon – le battement du cœur, une sorte de définition du rythme de notre commune humanité – et une manière de construire une nouvelle culture.
N.B.
« Talm ur galon », Startijenn, production Paker Prod/Coop Breiz Diffusion. Voir pour la tournée www.startijenn.bzh concert de sortie le 20 mai à Plœmeur (56)

PS Si, comme moi, vous n’êtes pas bretonnant, il faut lire les traductions, notamment su poème qui sert de titre à l’album. Résonances avec le son du monde en guerre.

Notre Patrimoine : les cultures créoles

Les années 1930, en France et leur pulsation

Se souvient-on que la culture française s’est alimentée de bien des façons des cultures créoles ? La langue comme le soulignait Aimé Césaire mais, pour le Paris des années 1920-30, la musique avec, notamment, le clarinettiste martiniquais Alexandre Stellio (1885-1939), créateur de la Biguine. S’appeler pour l’état civil Alexandre Fructueux ne pouvait qu’être le prémisse d’une vie orientée vers le don de soi en construisant une musique du bonheur et de la transe.
Le coffret de 4 CD publié par Frémeaux et associés permet de retrouver les filiations des musiques actuelles. L’influence des cultures antillaises a longtemps été sous-estimée dans les affluents du jazz, notamment en France. Pourtant, longtemps « La Cigale » a été le temple de ces musiques. Elle a permis de faire naître un genre particulier qui inondera les années 50 et les débuts de la décennie d’après, les orchestres typiques comme les chanteurs qui utilisent cette veine, comme Dario Moreno par exemple. Aux États-Unis, après la deuxième guerre mondiale, le be-bop fusionnera avec les rythmes afro-cubains.
Stellio est une des grandes voix de la musique antillaise. Quelque chose de son art se retrouve chez Alain Jean-Marie, pianiste étonnant qui ne renie aucune de ses origines, la biguine comme le be-bop.
Stellio a un autre effet. Il fait, encore aujourd’hui, bouger les corps. Danser au son de cette musique éternelle est un des moyens d’écouter le murmure du temps. Il faut se plonger, corps et âme dans ces enregistrements.
Pour faire œuvre de patrimoine, il fallait aussi remettre Stellio dans son époque et rendre compte de sa présence, de son importance. Des témoignages sont donc inclus pour faire revivre le clarinettiste.

NB
« Stellio, l’étoile de la musique créole, 1932-1938 », coffret de 4 CD, Frémeaux et associés.  

L’Institut du Monde Arabe (IMA) propose le tome 5 des Arabofolies

Soulèvements


Les printemps arabes, s’en souvient-on ?, avaient provoqué d’énormes espoirs de par le monde. Enfin les dictateurs étaient tirés de leur lit, obligés de partir ou de rendre des comptes. Enfin, les libertés démocratiques à commencer par les droits des femmes faisaient des pas importants, l’émancipation semblait la donnée principale de tous ces soulèvements.
Les soulèvements depuis n’ont pas cessé. Les femmes se sont mobilisées dans tous les pays du monde pour faire respecter leurs droits et les élargir manière de lutter contre toutes les répressions. El Assad a montré jusqu’à quelles extrémités un dictateur était prêt à aller pour se maintenir au pouvoir. Depuis 2010, les populations syriennes ont subi les assassinats de masse. Continuer la lecture

A l’Institut du Monde Arabe (IMA), les « Arabofolies »

Les musiques comme facteur de « Transmissions »

Du 7 au 16 juin, l’IMA vit une métamorphose. L’Institut sort de sa léthargie à intervalles réguliers pour faire bouger les piliers de ses fondations. Ils prennent l’air, aborde de nouveaux rivages, accueillent de nouveaux visages venus découvrir des horizons trop souvent présentés comme violents alors qu’ils sont sauvages. Loin de toute représentations racistes, les cultures arabes font la preuve de leur vitalité mais de leur inscription dans une histoire qui est aussi celle de l’Europe. Pour le rappeler, c’est Averroès qui fait découvrir Aristote aux européens. La terre européenne – l’origine des noms en témoigne – a été profondément balayée par les armées et philosophes arabes.
L’IMA fête ses 30 ans – déjà ! – et, pour cet acte 2, laisse la place aux folies de la musique arabe qui se veulent à la fois culture savante et populaire. L’influence de ces musiques est sensible sur toutes les autres cultures. Le jazz l’intègre pour retrouver une partie de son histoire, de sa force dans sa capacité à faire bouger les corps et les esprits mais aussi la variété qui puise dans ce vivier toujours renouvelé. Continuer la lecture

Enfance(s) du jazz ? Enfants du jazz ?

Renouveler l’art de la comptine.

Tout le monde, les parents surtout, connaît son lot de chansons pour les enfants. Ces comptines permettent à la fois des références communes à des générations et construire un imaginaire spécifique à chacune d’entre elles. Les paroles sont souvent à double sens. Elles dissimulent la grivoiserie sous des paroles apparemment innocentes et des rendez-vous où les enfants ne sont pas invités.
Le stock a évolué au cours du temps. Les flux sont rares. « Nanan » – titre qui vient de l’expression « c’est du nanan » -, un livre-disque voudrait changer la donne pour introduire les enfants au jazz, plus exactement aux rythmes des jazz.
nananLydie Dupuy, batteure, a composé la musique et mis des paroles sur ces airs qui fleurent bon la musique du temps présent. Elle n’a pas voulu faire dans le « simple » pour permettre l’entrée dans un autre monde, un monde complexe. En contre partie les paroles sont, elles, simples et permettent l’échange entre parents et enfants ou entre les enfants. Le simple et le complexe font bon ménage pour que les oreilles et le cerveau s’habituent à ces musiques.
Le livre a l’intérêt de guider l’écoute. Les illustrations de Perrine Arnaud parlent de la manière dont les enfants vivent des situations traumatisantes, comme l’arrivée d’un petit frère ou d’une petite sœur pour que les paroles s’appuient sur l’image. Continuer la lecture

Merengue !

De Haïti à Paris en passant par la République Dominicaine et New York : Merengue !

Paris, après la seconde guerre mondiale, connaît de nouveau la vogue de ce que la Presse de l’époque appelle la « musique typique ». Typique de quoi ? Typique ! Pour dire que ces musiques, car elles sont multiples, viennent des îles. D’abord de la Martinique et de la Guadeloupe avec la Biguine que l’on danse dans les clubs de Pigalle ou de Montmartre. Vedette incontestée, le clarinettiste Stellio influencera tous les musicien(ne)s lié(e)s à cette culture. Le milieu des années 50 verra apparaître de nouveaux clubs et une danse venant de Haïti – et de Saint-Domingue -, la « meringue », son nom d’origine, deviendra « merengue » sous l’influence des musiciens dominicains. Une danse qui ressemble à la marche d’un personnage oscillant de gauche à droite. Une marche sur le temps que les danseurs accentuent pour se balancer dans le rythme. Une musique de la transe, une musique de la liberté. Continuer la lecture

Il faut danser…

Danse et transe.

3149026010222_600Un souvenir, l’orchestre national de Barbès et son « groove », son enthousiasme aussi et cette musique qui faisait bouger les corps. Son chanteur et joueur de mandole, Aziz Sahmaoui, faisait preuve de cette capacité à inventer une nouvelle fusion entre toutes les cultures. Il avait aussi participé aux derniers groupes de Joe Zawinul intéressé par la capacité des musiques arabes d’être des musiques populaires et par-là même de danse.
Son deuxième album sous son nom, « Mazal », reste fidèle à cette fusion des cultures du Maghreb, du rock et des musiques du temps pour inciter à la rencontre, à la création de références communes s’alimentant à ces terreaux plus partagés qu’il ne le semble à première vue. Que serait notre philosophie sans Averroès qui a permis la redécouverte d’Aristote en proposant une nouvelle lecture ? Pendant longtemps, le monde occidental a lu Aristote avec les lunettes de Averroès, le nom latin de ce philosophe arabe du 9e siècle.
Aziz Sahmaoui est porteur de cette tradition. Il associe dans un même mouvement la dite « University of Gnawa » – Alloune Wad, basse, Hervé Samb, guitare, Abdil Mirghani, percussions et Cheik Diallo, rhodes, kora -, le flamenco (Joselle), Émile Parisien, Michael Nick au violon pour rendre caduque toute idée de discrimination. Une musique de la fraternité qui fait danser et qui met la transe au premier plan pour indiquer les voies d’une musique populaire.
Une musique aussi qui combat toute morosité…
Nicolas Béniès.
« Mazal », Aziz Sahmaoui, World Village/Harmonia Mundi.