Des cadeaux à (se) faire


Une femme aux prises avec les deux grandes affaires de la vie : la guerre et l’amour fou

Le journal de Monique Barbey, née en Suisse, « Il n’y a qu’une façon d’aimer » est un grand livre d’une femme qui aime, comme il le faut, à la folie qui en souffre mais qui lui donne une joie, un bonheur sans partage. Elle raconte aussi la vie d’une femme d’un milieu fermé, protestant partagé entre le recours à Dieu, à la folie des hommes et au coup de foudre réciproque. Ce journal ne cache rien pas seulement des affres de l’amour fou, de la lâcheté du général Koenig, qui ne veut pas rompre ses liens précédents, mais aussi de l’antisémitisme de ce milieu incapable de comprendre le génocide des Juifs pendant cette guerre. Elle raconte aussi le vie d’une femme mariée contre son gré et qui se noie dans toutes ses obligations. Il faudra qu’elle attende sa retraite pour devenir comédienne et écrivaine. Ce journal fait la démonstration qu’elle a eu tord d’attendre. A offrir sans modération.
« Il n’y a qu’une façon d’aimer », M. Barbey, Le Condottière

Femmes oubliées

Marie-Paule Berranger nous invite dans les mondes de « 33 femmes surréalistes », une anthologie bien titrée « L’araignée pendue à un cil ». Une manière de féter les 100 ans du surréalisme en donnant à entendre leurs voix. Essentiel et nécessaire.
Poésie/Gallimard

Un polar historique, le milieu des années soixante en Belgique

« On a tiré sur Aragon » est une enquête étrange sur les raisons d’un coup de fusil qui a ciblé le poète en train de réviser « Les communistes », une somme qui se voulait à la gloire des militants. Pourquoi cet attentat ? Un privé qui fut proche du PC est chargé d’élucider le mystère. François Weerts fait œuvre d’historien retraçant le climat de cette époque terra incognita pour les générations d’aujourd’hui. Le Parti communiste joue un rôle central dans la vie politique française. La déstalinisation le touche de plein fouet. Il n’a pas encore digéré le « rapport Kroutchev ». Une excellente façon, même partielle, de s’introduire dans cette période de notre histoire. D’autant que l’auteur nous entraîne aussi sur le champ des affrontements littéraires. Un polar dans lequel le lecteur s’installe.
« On a tiré sur Aragon », François Weerts, Rouergue/noir

Science fiction ?

Jacek Duraj est un des grands auteurs polonais de science fiction, successeur de Lem. Face à l’effacement de la vie humaine – qui pourrait bien nous menacer -, des humains téléchargent leur esprit dans des robots et même , faute de temps, dans des robots industriels facteurs de scènes cocasses et drolatiques. Leurs pensées, leur volonté est de faire survivre uns société en essayant de l’organiser. « La vieillesse de l’Axolotl », sous titré « Hardware Dreams » les rêves d’une machine informatique pose la question de savoir si l’Intelligence artificielle – si elle existe – est capable de rêver qu’elle possède un esprit humain ou est-ce l’humain qui se rêve en machine habitant un corps d’emprunt ? Pour épaissir le mystère et provoquer des sensations étranges une page sur deux est consacré aux aventures de ces humains sans corps, l’oméga de Teilhard de Chardin en une nouvelle dimension, l’autre un dessin, une photo, des explications plus ou moins scientifiques, plus ou moins imaginées… A vous de jouer, avec les illustrations, avec les références diverses dont les emprunts au mangas… pour finir sur une interrogation comment perpétuer une civilisation ?

« La vieillesse de L’Axolotl », Jacek Duraj, traduit par Caroline Raszka-Dewez, Editions Rivages

Des nouvelles de John Edgar Wideman

« Qu’on me cherche et je ne serai plus », John Edgar Wideman participe d’une prière partagée par beaucoup d’Africains Américains dont il décrit la vie quotidienne sous forme de flashs qui son autant d’éléments d’une autobiographie qui ne dit pas son nom. Les histoires, un peu éclatées en une première lecture dues à la forme de nouvelles, prennent, après coup, la consistance d’une construction de vies dans un ghetto et dans le rejet d’une grande partie de la société. Le jazz, le blues, le gospel sont des ingrédients nécessaires à l’écriture de l’auteur. Il désespère – que dirait-il aujourd’hui après la victoire de Trump et ses nominations guignolesques et graves pour l’avenir de la démocratie – des Etats-Unis. Il rèussit son coup : nous faire réagir aux inégalités profondes, racistes, de la société américaine. A sa manière naïve et rouée il sait nous entraîner dans son monde.
« Qu’on me cherche et je ne serai plus », John Edgar Wideman, Traduit par Catherine Richard-Mas, Gallimard

Deux BD sur l’école

« Bienvenue à la SEGPA » présente les élèves qui sont considérés comme mis au ban de l’institution. Antoine Zito rend aux enseignant.e.s et aux élèves capables de se dépasser. Réjouissant.
« Derrière le portail » est, au sens fort du terme, un livre pédagogique qui montre à la fois la réalité du harcèlement et la manière d’y répondre. Emy Bill réussit un tour de force.
Editions Leduc

A Pierre Salama, mon ami

Pierre Salama nous a quitté en ce début du mois d’août, deux jours avant son 82éme anniversaire et laisse un grand vide. Ce n’est pas qu’il n’avait pas prévenu. Mais lorsque l’espoir disparaît, il reste l’espérance qui reposait sur une croyance : je le croyais éternel, en l’espèce plus éternel que moi.
Je lui dédie cet article qui porte sur le jazz (et non pas la musique brésilienne) qui veut insister sur la différence entre souvenir et mémoire tout en cherchant à comprendre pourquoi le souvenir peut s’inscrire dans la mémoire collective.
De Pierre, j’ai un tas de souvenirs qui naviguent dans mon cerveau mais pour faire le point sur ses apports il faudra un travail de mémoire…
Nicolas

Au-delà des commémorations du 80e anniversaire du débarquement, le souvenir et la mémoire.
L’exemple du jazz.

Les commémorations donnent lieu à un processus bien connu : se servir du passé pour le décomposer et le recomposer au service du présent pour justifier des politiques. Il faut éviter ces travers pour appréhender, dans l’histoire, la place du souvenir et de la mémoire. Le jazz, musique de la danse, de la libération est aussi musique de la Libération. Dans quasiment tous les pays d’Europe, le jazz est la musique de référence. Continuer la lecture

Une face cachée de la Libération, le racisme. Le récit de Louis Guilloux.

Mémoire oubliée

Les libérateurs américains acclamés distribuant chocolat, chewing-gum et autres cadeaux arrivent avec leurs préjugés. Beaucoup de témoins ont voulu oublier les pendaisons de jeunes soldats Noirs dont les corps s’affichaient devant des bâtiments administratifs. Le souvenir ne les retiendra pas. Ils sont tombés dans les oubliettes de l’Histoire. Le travail de mémoire est là encore essentiel.
Pendant tout la période qui suit le débarquement, il y aura beaucoup de temps d’attente que ce soit en Basse-Normandie ou, un peu plus tard, en Bretagne. Confinés, ces jeunes gens – il ne faut pas oublier que la grande majorité d’entre eux sortent de l’adolescence, que la guerre est leur première expérience – cherchent à se distraire, s’alcoolisent et commettent des actes répréhensibles, violences, bagarres, viols. Les réactions de l’armée comme des populations ne seront pas les mêmes suivant la couleur de la peau. Continuer la lecture

Mémoire de 1999 (suite)

Le Duke, centième ! Action !

Edward Kennedy Ellington dit le Duke pour ses habits bien coupés aurait eu 100 ans le 29 avril. Il a été fêté aux États-Unis. C’est une reconnaissance. DownBeat, la première revue de jazz américaine lui a consacré sa couverture. C’est logique. Il avait construit un univers prenant place dans cette mosaïque appelée jazz. Le mystère Ellington demeure 25 ans après sa mort, en 1974 donc. Il avait réussi à marier des sons pour rendre des couleurs inédites et qui le sont restées. Wynton Marsalis, à la tête de l’orchestre du Lincoln Jazz Center – les albums sont disponibles chez Columbia, distribué par Sony Music – a beau multiplier les hommages et à jouer les partitions comme le Duke – et Billy Strayhorn son alter ego, qu’il ne faut jamais oublier – les avait écrites, il y manque ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi – pour citer Jankélévitch – qui fait l’essentiel. Boris Vian en était un des visiteurs de ce monde merveilleux. Dans « l’Écume des Jours », Chloé – le personnage – provient directement de l’univers ellingtonien et des grandes compositions des années 40. Ces jours de juin se fêtera le 40éme anniversaire de sa mort. Fayard en profit pour rééditer/éditer ses œuvres complètes. Trois volumes parus à ce jour, dont Les chroniques de jazz… Continuer la lecture

Mémoire de 1999

Du côté de Cuba

Cuba est à la mode bien avant le film de Wim Wenders, Buena Vista Social Club. Le cinéaste fait faire ressentir la profonde décrépitude de La Havane comme la force de la musique. Pour être complet il aurait dû faire appel – cette critique s’adresse surtout à Ry Cooder – aux musiciens d’aujourd’hui, en même temps que les ancêtres, pour indiquer les différences et les convergences de racines et de points de vue.
Quelques parutions récentes permettent de jeter d’autres lumières sur cette culture, sur cette musique-art-de-vivre résultat de la confrontation entre des cultures africaines et européennes, une fusion différente de celle se produisant sur le continent nord-américain, provenant de la même nécessité des colons – ici espagnols – d’exploiter leurs immenses propriétés par la mise en esclavage d’Africains1. Frémeaux et associés (distribué par Night & Day) publie une « Rétrospective officielle des musiques cubaines », réalisée par le centre de développement et de recherche des archives de la musique cubaine, un coffret de 4 CD, avec un livret fort bien documenté qui met l’accent sur l’influence Yorubas comme élément déterminant dans cette alchimie, dans le son notamment. La place essentielle du vaudou est mise en évidence, non pas seulement comme religion mais comme mode de synthèse des différentes cultures africaines pour construire une culture spécifique. De quoi devenir incollable sur la musique afrocubaine, la rumba, le Guaracha, le punto cubain, le cancion et, évidemment, le son. Continuer la lecture

Un essai de Joana Desplat-Roger,  « Le jazz en respect. Essai sur une déroute philosophique ».

Le jazz et la philosophie, le jazz comme question jamais traitée
Le jazz est une musique ni sérieuse ni légère, ni savante ni populaire. Elle se refuse à toute caractérisation facile. La philosophie et le jazz sont restés étranger l’une à l’autre. Peut-on, dans la littérature existante, trouver des soubassements théoriques qui permettent d’appréhender le jazz ? Joana Desplat-Roger s’y essaie dans ce condensé de sa thèse qu’elle a intitulée « Le jazz en respect. Essai sur une déroute philosophique ». Un titre qu’elle explique : le jazz tient en respect la philosophie. La philosophie, les philosophes se sont tenus loin du jazz, ne sachant comment l’aborder. Sartre et sa métaphore de la banane, Derrida et son refus de considérer le jazz tout en l’aimant… bref le jazz organise une sortie de route, un empêchement faute de trouver les concepts adéquats pour le définir et le situer dans une théorie de l’esthétique. Continuer la lecture

Du jazz en livres…

Comment devient-on un génie ?

John Coltrane, saxophoniste ténor et soprano, a révolutionné les mondes du jazz et au-delà. C’est le dernier génie en date du jazz. Il représente la quintessence de ces années 60, années de révolte, de colère, de barbarie et d’espoirs. Il fait entendre dans son jeu incandescent, dans le « son » qu’il réussit à trouver à force de travail, cet ensemble. Qu’il sait aussi dépasser pour rester notre contemporain. Toutes ses interrogations restent les nôtres.
Jusqu’à présent, aucun livre n’avait su lui rendre toutes ses dimensions. A la fois musicales, spirituelles, humaines et biographiques tout en insistant sur l’essentiel qui se dérobe, le génie. Lewis Porter l’a fait et Vincent Cotro l’a traduit tout en apportant sa propre touche à ce portrait d’un homme dans son temps projeté hors du temps, construisant un espace temps singulier en voulant se perdre dans la musique sans jamais vraiment y réussir. Il dira, je sais toujours où je vais. L’auditeur arrive à en douter quelque fois, tellement il est pris dans ce tourbillon. Il doute de ce qu’il entend. L’intérêt de ce livre est là aussi. Mettre sur le papier la musique de Coltrane. Tout le monde ne lit pas la musique, je le sais bien mais la reproduction de ces partitions permet de comprendre la méthode mise en œuvre. Car méthode il y a. Continuer la lecture

Histoire et culture des États-Unis.

Une nouvelle biographie de Miles Davis et ce n’est jamais trop. Miles a vécu dans sa chair le racisme et ses conséquences. Adulé à Paris, il ne perce pas à New York et se drogue. Le drame des musicien.ne.s de jazz – un terme contesté aux États-Unis mais valorisant en Europe, comme il le notait lui-même. Il s’agir de Great Black Music bien entendu.
Jerome Charyn pense qu’il était temps, pour terminer ses aventures, d’installer Isaac Sidel à la Maison Blanche. Que peut faire un ancien flic et ancien maire de New York – Charyn ne s’éloigne pas trop de la réalité – à la Maison Blanche ? Pas grand chose. Depuis, Trump a conduit une sorte de putsch, de coup d’État comme, pour l’instant, une tentative avortée mais une tentative. Charyn n’a pas osé écrire qu’un Président pouvait sauter dans sa voiture pour prendre la tête des manifestants à l’assaut du Capitole et empoigner par un agent de la sécurité pour l’empêcher de commettre ce crime. Trump a testé, un autre ou lui-même pourrait le réaliser. Il a beaucoup fait pour discréditer tout le système de la démocratie américaine sans parler de ses nominations à la Cour Suprême. Lire Charyn, c’est pénétrer dans certaines arcanes de ce monde étrange. Continuer la lecture

Coup de colère

La culture c’est comme quoi ?

La culture, un sujet tellement brûlant que personne n’en parle. Les ministres de la culture, au cours du temps, n’ont pas fait beaucoup de bruit. La pandémie a permis de dévoiler le pot aux roses, la culture est devenue marchandise. Les plaintes diverses, des musées comme des discothèques, portaient sur l’absence de recettes sinon de profit. Le festival de Cannes a entendu les gémissements d’une profession sur la désaffection du public qui ne fréquenterait plus les salles pour se réfugier chez eux devant leur série préférée. Heureusement, certains s’interrogent comme les signataires d’un texte publié dans Le Monde du 18 mai 2022 : « Les choix politiques de nos institutions fragilisent gravement le cinéma », le titre résumant l’essentiel de la contribution. Le cinéma est appelé à se transformer, à se refonder pour trouver une nouvelle place. Continuer la lecture

Startijenn (plein d’énergie)

Un folklore breton ouvert sur le monde.

Comment faire vivre la tradition ? Le groupe Startijenn revendique haut et fort ses racines bretonnes en reprenant les musiques populaires et collectives des danses de fêtes, de réunions pour faire exploser le joug quotidien et retrouver la liberté du corps, des corps qui s’entremêlent heureux. Pour que cette musique vive, il est nécessaire de la bousculer, de lui faire goûter à d’autres folklores, à d’autres cultures par glissements successifs vers d’autres rencontres, des nouvelles générations.
Une musique pour danser que ce « Talmur galon – le battement du cœur, une sorte de définition du rythme de notre commune humanité – et une manière de construire une nouvelle culture.
N.B.
« Talm ur galon », Startijenn, production Paker Prod/Coop Breiz Diffusion. Voir pour la tournée www.startijenn.bzh concert de sortie le 20 mai à Plœmeur (56)

PS Si, comme moi, vous n’êtes pas bretonnant, il faut lire les traductions, notamment su poème qui sert de titre à l’album. Résonances avec le son du monde en guerre.