En résumé… Plus exactement un résumé à un moment donné.
Les albums ci-dessous ont déjà fait l’objet d’une recension. C’est juste que Francis Laurent m’avait demandé mes coups de cœur pour cette année et ces 6 là ont été choisis. peut-être qu’aujourd’hui, certains auraient disparus… Je vous les livre tel que…
« The Wee Small Hours », curieux titre pour un album tout entier consacré au mystère du trio, de ce trio de jazz capable de concevoir de bizarres égalités comme 1+1+1=3=1. Et ces trois là y arrive presque sans forcer. François Chesnel, au piano, s’affirme comme l’un de ceux qui savent faire vivre les temps du jazz -, Yoni Zelnik, à la contrebasse, maître du temps tout en conservant un son rond et une musicalité intacte capable de faire vivre même un air des Beattles pourtant fatigué – et David Georgelet, à la batterie, qui s’est donné Shelly Manne comme maître via vraisemblablement Paul Motian, privilégiant les balais pour donner à la batterie une place mélodique, pour être un interlocuteur à part entière -, forment ce trio. Chacun converse avec les autres pour exprimer sa propre vision tout en formant, avec eux, un ensemble qui donne l’impression d’une seule voix. Une sorte de quadrature du cercle que ce triangle.
« The Wee Small Hours », les petites heures du matin, les plus angoissantes, les plus solitaires, est le titre d’un standard – aussi d’une chanson de Brel si mes souvenirs sont bons –qui exprime bien ce sentiment d’une nostalgie d’un futur…
« The Wee Small Hours », Georgelet, Zelnik, Chesnel, Petit label, contact@petitlabel.com
« Art of Conversation », un art de la conservation, un art difficile qui doit laisser chacun s’exprimer pour construire un dépassement, pour arriver à une autre vision qui ne serait ne celle de l’un ni celle de l’autre. On vous le dit, un art difficile qui se perd. Plus personne ne s’écoute…
Kenny Barron, pianiste, né à Philadelphie le 9 juin 1943, sait tout du jazz. Dave Holland, britannique de départ devenu totalement jazz, a baladé sa contrebasse dans tous les groupes pour finir par diriger le sien où il a permis la découverte de nouveaux talents. Les réunir ne venait pas tout de suite à l’esprit. Ils savent ce que converser veut dire et ils ne craignent pas de prendre des chemins de travers lorsqu’il s’en présente.
Les entendre dialoguer procure un plaisir intense. Un échange, une interaction sans jamais hausser le ton tout en s’écoutant intensément. Les aspérités de la conversation n’apparaissent qu’au bout d’une écoute attentive. Chacun se raconte tout en se gardant d’imposer son histoire à l’autre tout en partageant une mémoire commune, celle du jazz.
Cette mémoire, c’est aussi celle d’un label qui avait disparu, « Impulse ! », le label de Coltrane… Une renaissance qu’il faut saluer.
« The Art of Conversation », Kenny Barron/Dave Holland, Impulse distribué par Universal.
« Charlie Haden/Jim Hall », un contrebassiste et un guitariste qui représentent à eux seuls une grande partie de l’histoire et de la mémoire du jazz depuis les années cinquante jusqu’à aujourd’hui. Tous les deux nous ont quittés cette année. Là, ils ont été enregistrés au festival de jazz de Montréal en 1990.
Charlie Haden – voir le portrait que j’en ai dressé sur mon blog/site www.soufflebleu.fr – a participé aux grands quartets sans piano d’Ornette Coleman, avait constitué un big band, avec Carla Bley, le « Liberation Music Orchestra » qui avait marqué les années 69 et la suite.
Jim Hall est des grands poètes de cet instrument qu’il rend totalement étrange, lui insufflant une sonorité, un phrasé spécifique, la guitare électrique. Sonny Rollins l’avait choisi pour fêter son retour dans le début des années 60 pour cet album superbe, « The Bridge ».
A eux deux, ils tendent à donner d’autres lettres de noblesse à l’art de la conversation différemment du duo précédent.
Charlie Haden/Jim Hall, Impulse !/Universal.
« Pewter Session » – un nom difficile à retenir – est un album signé du « Stéphane Guillaume quartet », et, disons-le sans attendre, un grand album. Réussi de bout en bout.
Stéphane aux saxophones et aux flûtes, Frédéric Favarel, guitariste, Marc Buronfosse, contrebassiste et Antoine Banville, batteur créent une musique vraie, naïve avec ce qu’il faut de références dans le jazz d’hier et d’aujourd’hui pour être à même d’impulser une musique contemporaine.
Les influences sont visibles. Coltrane, Wayne Shorter, Steve Lacy, une grande partie du jazz modal mais aussi les rythmes afro-cubains servent de balises, d’affluents, d’aliments à ces quatre là pour construire une sorte de synthèse d’une entrée dans la modernité. Ces références s’entendent sans peser sur les musiciens qui s’en servent pour suivre leur propre chemin. Une révolte rentrée, une quiétude inquiète marquent cette musique. Une musique ouverte !
« Pewter Session », Stéphane Guillaume quartet, La Baleine/Gemini Records
« Lucky Dog » est le nom du groupe, un quartet sans piano, et celui de cet album fresh sound. La couverture joue quelques tours entre le recto et le verso. Le chien méchant n’est pas forcément méchant, et un chien chanceux peut, tout autant, ne pas l’être. Frédéric Borey est saxophoniste ténor et l’âme de ce quartet. Il partage les compositions avec Yoann Loustalot, le trompettiste du groupe, très influencé par Don Cherry mâtiné – c’est difficile à éviter – de Miles Davis. Ornette Coleman et ses quartets sont la référence explicite de cette musique.
Faire vivre cette musique, cette tradition sans copier les illustres ancêtres est le pari réussi de ce quartet. Il dessine un monde différent de celui des années 60. l’angoisse, l’incertitude profonde qui marque notre environnement, les mutations climatiques, écologiques obligent à s’interroger sur notre avenir. Yoni Zelnik, bassiste rigoureux et gardien du rythme permet à chacun de pouvoir s’envoler tandis que Frédéric Pasqua dessine des climats à l’image de Billy Higgins chez Ornette.
Cette musique est drôle, intelligente, caressante et humaine faite de ce rire qui provient autant de l’angoisse que de l’allégresse.
A découvrir et à suivre. Ils sont en concert en ce moment.
« Lucky Dog », Fresh Sound New Talent
« Trane Steps », un titre qui a tout d’un parfum de Coltrane. Est-il possible de l’évoquer sans se renier, sans se fondre dans sa statue de commandeur, sans entrer dans son tombeau ?
Claire Michael a tourné la difficulté. Avec son quartet – un compagnonnage de 10 ans -, Jean-Michel Vallet, piano et Fender Rhodes, Patrick Chartol, basse et contrebasse et Thierry Le Gall à la batterie, elle a choisi de rêver Coltrane plutôt que de l’invoquer. Elle mêle ses compositions à celle de Trane pour dessiner les contours flous d’une musique qui pourrait être celle de notre temps. Elle a su choisir les compositions. Non seulement « Giant Steps » qui marque, en 1959, la fin d’un temps du jazz mais aussi ce poignant « Lonnie’s lament » qui ouvre l’album. Elle joue du saxophone ténor, soprano et de la flûte pour redonner à cette musique tout son sens.
Un de ces albums qui restent dans nos cœurs.
« Trane Steps », Claire Michael, Blue Touch distribué par (rue Stendhal)