Rendez-vous à Crest

Bonjour,

Comme tous les ans depuis trop d’années, je donne une série de conférences sur le jazz à la Médiathèque de Crest (dans la Drome) dans le cadre du festival de jazz « Crest Jazz Vocal ».
Cette année, le thème sera la « West Coast ». La côte Ouest, pour le jazz, a été longtemps l’oubliée des histoires du jazz. Et pour cause : les traces enregistrées sont rares faute de studios d’enregistrement. Il reste les enregistrements du pianiste/chef d’orchestre/arrangeur Sonny Clay, des enregistrements de « Kid » Ory de 1922 réalisés dans la boutique de disques sur Central Avenue, l’avenue des clubs de jazz et du ghetto noir de Watts.
La grande aventure de la côte ouest commence après la seconde guerre mondiale. La population des deux villes clés augmente pendant la guerre notamment les travailleurs noirs de l’industrie d’armement. Los Angeles – L.A. – et San Francisco – Frisco – deviennent des villes de culture par l’intermédiaire de la « Beat Generation ». Le be-bop y prend toute la place et la venue de Charlie Parker sera un événement, dans le club tenu par Billy Berg qui porte son nom.
Les deux influences majeures seront Bird et Lester Young. Pour s’en rendre compte il suffit d’écouter Dexter Gordon, Wardell Gray et Teddy Edwards, trois saxophonistes ténors qui émergent dans cet après seconde guerre mondiale. La scène de Central Avenue est parsemée de clubs de jazz.
La west coast se dessine en noir. Il faut ajouter Art Pepper qui jamme aussi sur Central Avenue.

Mais la West Coast – utilisons des majuscules – c’est aussi autre chose. Une classification utilisée dans les histoires du jazz et pas la critique de jazz pour qualifier un jazz « Blanc », complexe, « cool » – le terme sera aussi utilisé – opposé à celui de la côte est – East Coast -, plus dur, plus vrai, plus « noir ».
Paradoxalement, tous les musicien-ne-s classé-e-s dans la West Coast sont né sur la côte est comme, un des grands batteurs, Shelly Manne. Ses « hommes » – le groupe s’appelle « Shelly Manne and his Men » – et il en plaisantera souvent en présentant ses musiciens sont, pour la plupart, nés à New York, Brooklyn, comme Al Cohn ou « Zoot » Sims. Pour dire que la géographie est loin de cette classification.
Pour la semaine qui vient, nous essayerons de balayer ces deux acceptions et pour mettre en lumière les préjugés qui accompagnaient la critique de jazz française en particulier.
A vous voir,
Nicolas Béniès

Compléments au « souffle de la révolte », Bibliographie générale

Bonjour,

La bibliographie proposée dans les compléments qui aurait dû figurer dans le livre (que l’on trouve sur ce site) n’est, évidemment, pas complète. Il y manque les ouvrages qui traitent soit de la première guerre mondiale soit des aspects de la vie en dehors de la musique.

Bruno Cabanes, dans « Août 14, la France entre en guerre » (Gallimard, Paris, 2014),décrit à la fois le ressenti des appelés sur le front après l’ordre de mobilisation générale et les tractations entre gouvernements allemands et français juste avant la déclaration de guerre. D’après lui, il semblerait que le gouvernement français n’était pas vraiment préparé à l’entrée, en guerre aussi rapide.
Les contemporains ont encore dans la tête la guerre précédente et dans le nez les senteurs de la caserne de la guerre de 1870 et ses souvenirs malgré le changement de génération. Les jeunes gens ne savent pas que la guerre a changé de niveau, qu’il s’agit d’une guerre mondiale, de partage du monde. Ils ne savent pas encore qu’ils pataugeront dans la gadoue des tranchées, la saleté, la vermine et qu’ils subiront les effets meurtriers de chefs souvent incompétents dont les enseignements datent de la guerre de 1870.

Antoine Compagnon a choisi un autre angle de prise de vue, les écrivains. « La Grande Guerre des écrivains, d’Apollinaire à Zweig » (Folio Classique, Paris, 2014) est un recueil de textes qu’il a choisis, avec la collaboration de Yuji Murakami, pour cette « descente aux enfers » monstrueuse.
Antoine Compagnon, dans sa préface, donne quelques indications sur le contexte. 1913, une année « magique pour le modernisme international. » En France, Alcools, La Prose du Transsibérien, Le Grand Meaulnes, Du côté de chez Swann pour l’avènement d’Apollinaire, de Blaise Cendrars, de Alain Fournier, de Proust aux côtés de Barrès, Roger Martin du Gard, Péguy… Mort à Venise de Thomas Mann, « Dublinois de James Joyce, l’apogée du futurisme, la création du Sacre du Printemps…
Après 1913, « le rideau tombe » sur le 19e siècle. La guerre ouvre la porte au 20e siècle. Le traumatisme de la guerre ne sera pas oublié, il structurera littérairement cet après guerre qui deviendra entre deux.
Frédéric Louis Sauser, Suisse pourtant, s’engage le 3 août 1914 comme auxiliaire étranger et versé dans la légion étrangère. Il sera naturalisé français en février 1916, démobilisé en août après avoir été amputé du bras droit, ce « bras fantôme » qui le fera souffrir sa vie durant. Son témoignage, « J’ai tué », édité en lettres rouges avec 5 dessins de Fernand Léger, autre combattant rescapé, est paru le 8 novembre 1918. Sauser était devenu Blaise Cendrars pour l’éternité. ce texte a un énorme pouvoir d’évocation à la fois de la féérie de la guerre et de ses monstruosité comme de ces miracles qui sauvent ou tuent au hasard ou des ordres venus d’un État-major bien protégé qui ne veut rien savoir des conditions dans les quels les hommes vivent et meurent.
Beaucoup plus tard, en 1946, Blaise Cendrars, dans « La Main Coupée » racontera la douleur persistante de son bras amputé mêlée aux souvenirs de la guerre. Deux traumatismes qui s’ajoutent.
Bien d’autres témoignages de l’horreur de cette guerre sont aussi à lire.
Pour faire attendre la suite, une reproduction de pochette des enregistrements de Jim Europe :

Nicolas Béniès (à suivre)

Jazz. Petit voyage dans les nouveautés (2)

Échos du passé et d’ailleurs pour une musique d’aujourd’hui.

Beaucoup de nouveautés parues en ce premier semestre 2019. Beaucoup d’entre elles ne sont pas chroniquées. Pour se faire une idée de la production, il faut se reporter aux revues spécialisées, Jazz Mag pour la France. A voir l’ensemble des parutions d’un mois, on en a le tournis. Une sélection donc parmi les sorties dont j’ai eu connaissance. Continuer la lecture

Le coin du polar

Spécial James Lee Burke.

Dave Robicheaux, flic de Louisiane, est le personnage clé de l’œuvre de James Lee Burke, son double plus sans doute que ses autres personnages. Robicheaux c’est la Nouvelle-Orléans, sa corruption, ses ouragans – Katrina a laissé des traces durables – aussi sa musique bien sur, le jazz, le blues particulier de la Ville et sa générosité dans la violence et la sauvagerie. Burke a construit un personnage représentatif de la Ville, Clete Purcell. Trop pur, trop violent, alcoolique, remplit du sentiment naïf, évident de la fraternité. Un personnage entier qui ne fait la part de rien, loin de tout compromis. On aimerait le rencontrer. Il est possible de réaliser ce rêve entre les pages de ces romans de James Lee Burke. Continuer la lecture

Un parcours politique actuel

Synthèse de l’illibéralisme

Illibéralisme un terme qui fait fureur pour décrire l’arrivée au pouvoir par la voie électorale de dictateurs au petit pied qui battent en brèche tous les droits démocratiques et installent un pouvoir teinté de fascisme.
Le cas le plus évident est celui de Victor Orban, en Hongrie, inventeur du terme. Un terme qui décrit le vide idéologique actuelle et la volonté de ces gouvernants de remettre en cause les libertés et, derrière, tout l’héritage des Lumières. Il interroge, de ce fait, sur le libéralisme lui-même. Un concept qui fait référence aux Lumières et à la révolution française.
Amélie Poinssot en décrivant le parcours intellectuel et politique de Victor Orban, du sympathisant de Solidarnosc au départ à sa texture idéologique actuelle, raconte aussi les déboires d’un capitalisme à dominante financière incapable de répondre aux besoins essentiels des populations. Le néo libéralisme a construit des monstres qui envahissent notre espace politique et quotidien, dans le contexte d’une crise politique profonde qui appelle au renouvellement de toutes les formes de la démocratie.
« Dans la tête de Viktor Orban » est un voyage proche du fantastique dans les méandres de vide idéologique qui cherche à se remplir en puisant dans les fontaines des recettes nationalistes pour défendre des intérêts individuels. Un phénomène de clique qui est en deçà des conflits de classe mais peut les recouvrir. Orban ne défend pas une stratégie du Capital mais des capitalistes particuliers qui creusent la tombe du Capital. Le raisonnement est celui de tous les colonisateurs et de tous les court-termistes, « Demain est un autre jour », vivons aujourd’hui, creusons notre trou, tant pis pour les autres.
Un livre cri d’alarme. Qui va l’entendre ?
« Dans la tête de Victor Orban », Amélie Poinssot, Solin/Actes Sud

Un essai… sans suite

La référence sur les soviets

La révolution russe fait couler beaucoup d’encre. En oubliant les « soviets », bizarrement. Pourtant, ils représentent une forme nouvelle de démocratie. Ils dérangent et obligent à s’interroger sur les manières dont les populations peuvent agir sur leur propre destin. Ils dérangent les théoriciens pressés de démontrer le « totalitarisme » des bolchéviks et de Lénine en particulier. Dans les études sur la révolution russe de 1905, cette nouvelle structure de pouvoir faisait son apparition. Elle allait se développer en 1917. Trotski, dans son « Histoire de la Révolution Russe », insiste sur le « double pouvoir » pendant le processus révolutionnaire mais on peut douter de la réalité d’un autre pouvoir que celui des soviets.
La première étude de ce lieu de pouvoir inédit, « Les soviets en Russie », est due à Oskar Anweiler. Il insiste sur le fait que cette construction est « une manifestation caractéristique de cette révolution ». Il décrit le mouvement des conseils – ses mécanismes sociaux et institutionnels – qui reste présent jusqu’en 1921. Une effervescence démocratique qui explique, peut-être, le ton étrange du livre de Lénine « L’État et la révolution ». La classe ouvrière prenait, au sens strict, le pouvoir. Anweiler, en creux, fait apparaître la démocratie parlementaire comme imparfaite, non finie.
Les éditions Agone, en rééditant cette étude, traduite en français en 1971 seulement, permet de fêter la révolution russe dans ce qu’elle a de plus spécifique, de plus intéressant pour les débats futurs. L’essai de Anweiler rend caduque la profusion d’écrits au moment du 100e anniversaire de la révolution russe. Là encore, la preuve est faite qu’il faut éviter toute commémoration pour réaliser un travail de mémoire qui serve à l’analyse du présent et du futur.
Une édition qu’il faut aussi saluer pour permettre à la génération de prendre connaissance de ce texte, de la préface de Pierre Broué (de l’édition Gallimard de 1971) et d’une nouvelle de Eric Aunoble qui s’évertue à faire le point des recherches sur ce processus révolutionnaire qui a fait souffler un vent d’espoir d’avènement d’un autre monde, a transformé l’architecture du monde et les références du mouvement ouvrier. S’ouvrait un 20e siècle fait de guerres et de révolutions pour citer un des textes constitutifs de la Troisième Internationale.
Broué, comme Anweiler dans l’avant-propos à l’édition française, appelaient de leurs vœux la poursuite de ce travail pour à la fois appréhender la spécificité de ce mouvement de prise de pouvoir et de son universalité. Espoirs battus en brèche par le néo libéralisme.
Cette analyse reste le point aveugle de tous les débats autour des créations démocratiques du processus révolutionnaire. Intéressant, stimulant et resté sans suite pour laisser la place à un déversement anticommuniste qui ne sert pas la recherche.
N.B.
« Les soviets en Russie, 1905-1921 », Oskar Anweiler, Préface de Eric Aunoble et reprise de celle de Pierre Broué (1971), traduit par Serge Bricianer, Agone/Éléments.

Jazz ? Rencontre(s) avec Derek Bailey

Musique improvisée.

Le guitariste anglais Derek Bailey (1930-2005) a été un des pionniers de la branche nouvelle dite « Improvisation libre ». Son importance est telle que, dés 1966, il a changé la donne et brouiller les frontières entre jazz – influence qu’il revendique -, musiques symphoniques, Anton Webern a été l’une de ses influences et John Cage pour citer quelques-unes des figures peuplant son univers. Une musique liée à sa vie, à ses expériences, à sa pratique, un terme qu’il affectionne pour décrire sa manière d’être et de faire de la musique. Il a, au sens propre, révolutionné l’art de la guitare. Il a aussi multiplié les rencontres, avec ses pairs, Evan Parker, Paul Rutherford mais aussi Anthony Braxton, Steve Lacy, John Zorn et beaucoup d’autres.
Il écrira, pour indiquer une voie et pas pour donner l’exemple ou des conseils, « L’improvisation, sa nature, sa pratique dans la musique », sorte de vade-mecum personnel de musicien. Continuer la lecture

Découvrir William R. Burnett


Un auteur laissé pour compte mais qui compte.

William R. Burnett, né à Springfield (Ohio), en 1899, a eu le choc de sa vie en arrivant à Chicago. La deuxième grande ville des Etats-Unis, la porte du Midwest, industrielle et corrompue, capitale de l’architecture mais aussi de la pègre dans les années 1920 – il arrive en 1927 -, années de la prohibition et de Al Capone. Le 18e amendement de la Constitution américaine interdisait de servir des boissons alcoolisées. Le mauvais alcool, Moonshine tel était son nom, proliférait, les fortunes aussi. Burnett, fort des travaux de l’école de sociologie de Chicago, mis en scène la Ville qui façonne les habitant-e-s et les formes d’intégration de ces populations rejetées, juive et italienne en particulier. Il écrira : « Je me sentais écrasé par sa taille, son grouillement, sa saleté, sa turbulence, sa vitalité frénétique. » Et c’est encore la sensation qu’elle donne sans oublier – et notre auteur ne l’oublie pas – le jazz. Continuer la lecture

Les facteurs de crise financière et économique sont à l’œuvre

La crise diluée dans le vide de la pensée dominante

L’analyse objective de la conjoncture conduit à conclure que les facteurs de crise n’ont jamais été aussi actuels. Sur le terrain économique, le ralentissement de la croissance est visible dans la zone euro, particulièrement en Allemagne plus dépendante du marché mondial que la France. L’économie française amortit le choc de la récession qui vient avec une croissance de 0,2% à 0,4% par trimestre en 2018 et 0,3% pour le premier trimestre 2019 suivant les chiffres publiés par l’INSEE. Le ralentissement est plus prononcé pour l’économie allemande et pour l’ensemble de la zone euro.
La guerre commerciale déclenchée par les Etats-Unis de Trump ralentit plus encore le commerce mondial. Une forme de démondialisation se met en place, alourdie par les discours protectionnistes qui fleurissent partout dans le monde. Le danger des dictatures, fascistes ou non, pointe son nez pour combattre la crise politique profonde qui touche toute la structuration institutionnelle, forme de l’État, partis et syndicats. Continuer la lecture