JAZZ, sans un mot, un jazz Babel ?

Un jazz mondialisé ?

Alex Maksymiw, guitariste et leader de ce groupe pour cet album « Without a Word », sans un mot ce que permet la musique, est, peut-être le prototype d’un musicien de jazz de nos temps étranges. Né à Toronto de parents ukrainiens, il a fait ses études à Amsterdam, joué dans des grands orchestres comme Amsterdam Jazz Orchestra ou le Village Vanguard Orchestra – créé par Thad Jones et Mel Lewis, il continue, chaque lundi à se produire au Village Vanguard de New York sans ses créateurs – ou d’autres, à cheval sur les deux continents, européen et américain. Comme Mike Stern, guitariste un temps de Miles Davis, il se trouve au confluent de toutes les influences. Il a du mal, la pression est forte, à se sortir du langage et de grammaire du be-bop tout en subissant les vagues venues du free jazz et de Coltrane en particulier en passant par Miles ou le jazz fusion via John McLaughlin. Pat Metheny et John Scofield sont aussi présents dans le style du guitariste. Continuer la lecture

JAZZ ( ?), de l’inattendu

Le jazz européen existe-t-il ?

Le magazine « Jazz thing », une revue allemande de jazz, avait lancé, pour son Centième numéro, en septembre 2013, une série « European Jazz Legends » qui a couvert 11 numéros. Pour donner corps à ces portraits, pour montrer la réalité d’un jazz européen aux côtés d’un jazz américain aux influences réciproques, la revue a organisé avec la ville de Gütersloh (dans le Land de Rhénanie du Nord) une série de concert.
Celui d’Enrico Pieranunzi – avec Jasper Somsen à la basse, musicien hollandais et André Ceccarelli, batteur – est le troisième de la série enregistrée en août 2015. Un choix d’évidence. Le pianiste a accompagné, dialogué avec la plupart des musicien(ne)s de notre temps – du sien, il est né en 1949 à Rome – tout en développant un style original qui doit beaucoup, mais aussi le cas de Chick Corea et de beaucoup d’autres des deux côtés de l’Atlantique, à Bill Evans comme à Thelonious Monk.
« Tales from unexpected », contes de l’inattendu soit des histoires venues d’ailleurs pour faire rêver les adultes en construisant des mondes différents par des réponses surprenantes. Une sorte de règle du jeu de sa musique : la surprise comme moyen d’aborder sur des rives inconnues. Pour la découverte.
Il propose une sorte de suite, en 4 parties, « Improbable », pour signifier à la fois ce qu’il veut faire de sa musique et avertir sur notre présent.
Enrico fait, à l’évidence, partie des créateurs. Qu’il faut écouter avec attention.
Cet album, qui se termine par l’interview du pianiste, en anglais comme il se doit et en public.
Il n’épuise pas un débat aux multiples facettes : existe-t-il un « jazz européen » qui transcenderait les frontières actuelles ? Quels sont les liens avec le jazz américain dans ce contexte de mouvement de mondialisation ? Et, au-delà de ces différences étranges, de quoi parle-t-on lorsque s’utilise la catégorie « Jazz » ? Le jazz sera-t-il la musique du 21e siècle ? Tout est en transition dans ce monde dominé par l’incertitude.
Nicolas Béniès.
« Tales from the unexpected. Live at the Theater Gütersloh », Enrico Pieranunzi, Intuition distribué en France par Socadisc.

JAZZ, une nouvelle chanteuse

« Sans Elle » chante-t-elle ?

Décider un jour de chanter est déjà un « challenge » comme on dit aujourd’hui et prendre comme nom de scène « Sans Elle » en est un autre. Pourtant, cet album « Beyond » – « au-delà » des apparences, du présent ? – fait la preuve qu’elle est bien là. Responsable de certains arrangements, pianiste et claviériste pour un thème, « In Between », un entre-deux qu’il faut visiter, elle prend sa place comme chanteuse sur des thèmes qu’elle a écrit et composé. A la fois un compliment et un reproche, une certaine répétition de climats en résulte. Chanter les thèmes des autres – ou des standards – permet aussi de faire preuve de créativité et peut éviter une légère lassitude de l’auditeur.
Une voix qui veux faire le lien entre ces chanteuses britanniques enfermées un peu trop dans un son qui ne connaît pas les outrances sinon des transgressions dans les glissements quelque fois ahurissants et les celles plutôt engagés dans la musique qu’on appellera française faute de mieux représentée par Nicole Croisille. Avec ce qu’il faut de références prises à la fois dans les musiques du monde – les percussions sont souvent présentes – et la grande variété française, du côté Nougaro plutôt sans cette rage qui dominait ses prestations. Il manque « Sans Elle » un peu de cette révolte qui fait réagir l’auditeur. Une incursion dans la musique qui fait bouger termine l’album qui pourrait indiquer d’autres directions possibles mais il faudrait qu’elle pose sa voix (If you were mine).
Quelques thèmes retiennent l’attention comme « Tout et son contraire » qui pourrait permettre d’ouvrir une nouvelle voie dans la chanson française et faire un tube si les programmateur(e)s savent entendre.
Mention spéciale à Leonardo Montana, pianiste dans la plupart des plages et Sergio Cruz pour les arrangements, Damian Nueva Cortés aux basses, Archibald Ligonnière à la batterie et Fabian Suarez aux percussions.
Un album qui se laisse écouter et permet de découvrir une nouvelle voix.
Nicolas Béniès
« Beyond », Sans Elle, Say Yay ! www.sanselle.com

Polar, nouveautés

École du crime au Texas

Lansdale Diable rouge, Folio policierJoe R. Lansdale est l’écrivain de polar le plus connu… au Texas mais aussi en France via les traductions – ici Bernard Blanc – publiées chez Denoël et avant dans la Série noire, reprises par Folio/Policier. Les enquêtes de Hap Collins, le Blanc hétéro qui se pose des questions et Leonard Pine – surtout à prononcer avec l’accent du Texas en train de se perdre -, un Noir homosexuel attaché à la violence pure dénuée de sentiments, sont à la fois une caricature des polars et une manière de faire réfléchir sur notre monde. Ces deux personnages ont fait le tour du monde.
Dans ce « Diable rouge », le rouge fait référence au sang et le diable à l’apparence de la vieillesse, les deux compères se heurtent à une organisation de tueurs et de tueuses. Une femme, Vanilla déjà apparue dans le précédent « Vanilla Ride », leur vole la vedette pour régler une affaire obscure. Les ressorts psychologiques ne sont pas très fouillés mais les situations sont toutes à la fois loufoques et logiques à partir du moment où le lecteur ne discute pas les postulats de départ. Il n’empêche Hap et Leonard vieillissent et la tentation fut grande, sans doute, pour l’auteur de faire mourir l’un des deux. Les personnages savent, quand il le faut, résister à leur auteur.
Un auteur qui donne l’impression qu’il fallait une suite au précédent sans qu’il ait construit une trame cohérente. Il fait passer ce manque en créant des mots. Le traducteur, pour en redonner le suc, s’est inspiré de la « bravitude » de Ségolène. Dans les premières pages, vous allez pouvoir enrichir votre vocabulaire…
Parions que dans le prochain, Vanilla prendra de plus en plus de place. Le duo pourrait devenir trio ou, pourquoi pas, quatuor.
Nicolas Béniès
« Diable rouge », Joe R. Lansdale, traduit par Bernard Blanc, Folio/Policier.


L’enfant sauvage façon étasunienne.

Jean Zimmerman s’est décidée à raconter l’Histoire des États-Unis via des histoires. « La petite sauvage » est son deuxième opus paru en français après « Maître des orphelins ». Une enfant trouvée en Virginie qui se donne en spectacle et un rejeton d’une des grandes fortunes faite dans les mines de fer feront partie de la même famille par l’adoption de cette sauvage par les parents du jeunes homme. S’ensuivra une réussite de la fille et un naufrage de la famille dont le père a mal évalué ses chances de construire un monopole mais qui rebondira. Le tout est ponctué d’une série de meurtres a priori commis soit la petite sauvage, soit par Hugo Delegate. Nous sommes à Manhattan en 1876. Continuer la lecture

Jazz, nouveautés

Des endroits qui se veulent en expansion

Olivier Bogé, pianiste, guitariste, chanteur et surtout saxophoniste/compositeur, se veut de son temps. A la fois pour son trio, Nicolas Moreaux contrebassiste et Karl Januska batteur et pour les auditeurs. Il utilise donc toutes les techniques actuelles. Il est à la fois binaire comme l’exige les auditeur(e)s et « classique » par l’ajout de Manon Ponsot violoncelliste et de Guillaume Bégni corniste. Ses compositions sont intelligentes et devraient impulser des développements pour les faire vivre et convaincre.
Il n’en est rien. Elles se laissent aller sans susciter ce sentiment d’urgence sans lequel il n’est pas de jazz. Mais ces « Expanded Places » sont ailleurs, ailleurs que dans la pulsation de cette musique. Dans ce cas, il s’agit de construire non seulement des endroits mais un nouvel univers en expansion.
Je me dis que ces compositions pourraient servir à d’autres. Pour créer d’autres possibles, pour cultiver d’autres champs. Les musiciens sont honnêtes et jouent avec cette virtuosité caractéristique de notre époque. Seulement, la mayonnaise ne prend pas. Les ingrédients refusent de se coaguler… Il y manque le « je-ne-sais-quoi » qui fait toute la différence.
Nicolas Béniès.
« Expanded Places », Olivier Bogé, Naïve.

Plus fort que le « Third Stream »…

Thierry MaillardThierry Maillard, pianiste et compositeur, nous avait habitué à marier le jazz et la musique classique via des quatuors à cordes. Il s’inspirait d’une vogue qui fut celle du milieu des années 50 et qui perdura dans certains endroits comme le Conservatoire de Boston avec Ran Blake, pianiste superbe qu’il ne faut pas ramener uniquement à ce troisième courant.
Third Stream, troisième courant une dénomination pour signifier la volonté de ses défenseurs de fusionner, « coller » serait sans doute plus juste, musique classique – baroque surtout qui partage avec le jazz l’absence de définition précise – et jazz. John Lewis, pianiste, compositeur et fondateur du Modern Jazz Quartet (MJQ pour les intimes) illustra tout au long de sa vie cette tendance. Les échecs furent nombreux mais il en ait de magnifiques. La musique ne se mesure pas à sa capacité de réussite mais à l’exploration des possibles. Continuer la lecture

Un batteur et deux fils de… au théâtre de Caen.

Au théâtre un samedi soir (le 7 novembre à 20 heures en l’occurrence),

Jack DeJohnette aime à construire des trios. Celui de Keith Jarrett est évidemment le plus connu mais Keith a décidé de vivre sa vie en solo et le batteur se trouve orphelin.
Une année, à Coutances, il était venu avec John Scofield, guitariste – il vient de sortir un album Impulse avec le saxophoniste ténor Joe Lovano, « Past & Present », hommage mémoire à son fils mort du cancer à 26 ans tout en retenue et en référence au passé de John et de Joe, quelque chose comme une définition du présent avec ce qu’il faut d’orteils dans l’avenir –
et l’organiste Larry Goldings influencé par Larry Young aussi pianiste remarquable. Un trio de virtuoses. l’attente était grande. Nous fûmes déçus. Un rendez-vous manqué. Je les avais interviewé tous les trois. Larry descendait de l’avion qui le ramenant de Los Angeles à Paris. Un décalage horaire impossible à combler en si peu de temps. D’autant qu’il avait été surpris du temps qu’il fallait pour arriver jusqu’à Coutances. Surprise partagée par John. Ceci explique cela, un concert où les trois n’arrivaient pas à se fondre en un…
Ce samedi soir le trio change. Le batteur est en compagnie de Ravi Coltrane, saxophoniste ténor et soprano – il ne joue pas comme son père qu’il a très peu connu, il a été élevé par Elvin Jones et son épouse japonaise – et Matthew Garrison, bassiste (électrique) et fils de Jimmy, contrebassiste du quartet historique de Coltrane (John) aux côtés de Elvin d’abord puis de Rashied Ali.
Les « fils de » bénéficient à la fois de la notoriété de leurs géniteurs et ont du mal à se faire un prénom. Consciemment ou inconsciemment – c’est pire – la comparaison est « tuante ». Les « fils de » ne jouent pas comme leur père ou mère. Le contexte n’est pas le même.
Jack-DeJohnette-Trio-Ravi, Matthew GarrisonIl faut donc les découvrir pour ce qu’ils sont et non pas pour ce qu’ils devraient être en fonction de leurs ascendants. Le génie n’est pas génétique. Il dépend de beaucoup d’autres facteurs.
La difficulté de ce type de trio repose sur les épaules du saxophoniste. Il faut qu’il fasse la preuve qu’il est capable de se passer d’un piano pour créer.
Les trios historiques sont ceux surtout de Sonny Rollins, un grand spécialiste et ceux de Joe Henderson. Il faut avoir entendu « The Art Of The saxophone » (Blue Note) pour comprendre les capacités d’invention nécessaires pour éviter la monotonie et l’ennui.
Ravi Coltrane devra relever le gant.
Nicolas Béniès.

Après le concert.

Décevant, très décevant. Jack DeJohnette refait, une fois de plus, la démonstration qu’il est un grand batteur. So What comme aurait dit son ancien employeur, Miles Davis. L’âme avait déserté la scène et les deux fils de… étaient incapables de trouver une place dans de déluge de technique. Jack a oublié la leçon que lui avait donné Miles Davis à Pleyel en 1969. Après un solo de batterie grandiloquent et inutile, le chef – j’y étais – lui avait envoyé une serviette à la figure le priant d’échanger sa place avec Chick Corea. Jack qui a commencé comme pianiste ne s’est pas trouvé déstabilisé ni Chick Corea bien que, vraisemblablement, cet échange d’instruments n’était pas prévu. Jack a évité les coups de poing…
La leçon est fugitive. Dommage. Ou, autre hypothèse, boosté par la succès du film « Whiplash », il n’a pas résisté à la démonstration de batterie pour indiquer qui est le meilleur.
Toutes hypothèses confondues, ce fut un dur moment à passer et à attendre le facteur déclencheur d’une entente entre les trois musiciens. DownBeat, la revue de jazz américaine, de ce mois de janvier 2016, fait un compte rendu élogieux du concert de Jack et de ses deux malheureux complices dans un club. Possible. Face au public d’un club américain, les musiciens de jazz sont plus respectueux. Il est possible aussi que l’auteur de l’article n’ait pas voulu se mettre à dons le maître…
Nicolas Béniès.

PS Vous pouvez désormais me retrouver sur Radio Bazarnaom, sur le net et sur la radio (voir le site de la radio).