Whirlwind introduit le jazz au présent

Un label nécessaire : Whirlwind

Un label britannique qui veut se tourner vers les musiques actuelles un terme fourre tout -, qu’elles soient qualifiées de jazz ou non. Les frontières sont devenues très floues depuis que la musique contemporaine – Berio, Stockhausen notamment – s’est inspirée directement du jazz – du free jazz en particulier – et que le jazz, comme il était logique, s’est à son tour plongé dans la musique de notre temps. Le jazz devient un concept qui se vide d’un sens qu’il n’avait jamais défini.
Whirlwind est le label à la fois de ces rencontres mais aussi de ces interrogations. La question n’est pas de construire des cases, le jazz s’est toujours refusé à y entrer mais de comprendre les devenirs des musiques en considérant leurs racines différentes pour alimenter la création. Le jazz a longtemps été la musique de la révolution permanente. Aujourd’hui ce n’est plus le cas. Il vit, comme toutes les autres disciplines artistiques, sur le mode de l’éclatement. Une curiosité en ce présent fortement structuré par les identités.
Le label qui tourbillonne, déstructure le hard bop, pour avancer vers une musique du présent, pour aller vers la redéfinition d’une culture encore à venir. Si l’osait, il serait question de monde d’après. Mais il faudra en juger plus tard…
Un des musiciens importants du label, un guitariste indien, Rez Abbasi, donne une nouvelle vision de la guitare électrique. Son dernier album, « Django-Shift » est, comme l’indique le titre, un hommage à Django Reinhardt mais transformé (shift) soit par le tempo, la métrique ou d’autres composantes. Django surnage, résiste au traitement et laisse encore percevoir des possibles de ses compositions. Un travail à la fois intellectuel et émotionnel, une grande réussite grâce aussi à ses deux compagnons de fortune, Neil Alexander, organ, electronics and synthesizers
Michael Sarin, drums.
Rick Simpson, pianiste, a été influencé par Radiohead et a conservé une prédilection pour la musique qui pulse sans oublier le jazz lui-même pour créer d’autres atmosphères. A l’aide d’un quintet, il revisite la musique de ce groupe : « Everything all of time : Kid revisited ». En bonne compagnie de Tori Freestone, ténor saxophone & violon, Allsopp, baritone saxophone, Dave Whitford, contrebasse et Will Glaser, drums
Plus aventureuse, plus liée aux formes du jazz des années 1960 est la musique proposée par le saxophoniste ténor Jure Pukl, un musicien qui enregistre beaucoup pour le label. Sa dernière production, « Broken Circles », cercles brisés, dit bien sa préoccupation de se référer à Coltrane tout en bridant les cycles habituels. Son quintet fait la part belle au vibraphone – Joël Ross – pour éviter toute monotonie et solliciter l’attention de l’auditeur. Charles Altura, guitare, Matt Brewer, contrebasse et Kweku Sumbry, drums font preuve de la cohésion nécessaire à la circulation des idées et donnent un contenu aux cercles brisés.
N.B.
« Django-Shift », Rez Abbasi ; « Everything all of time : Kid revisited », Rick Simpson ; « Broken Circles », Jure Pukl ; Whirlwind Records.

Le Jazz là où ne l’attend pas

Une fusion porteuse d’avenir.

Rez Abbasi a déjà une longue carrière. Voir son site ou Wikioedia

Rez Abbasi est guitariste et joueur de sitar. Ses origines indiennes expliquent cette dualité. Dans son nouvel album, « Unfiltered Universe », il réussit le tour de force de fusionner ses cultures indiennes et le jazz, via l’influence revendiquée de Pat Metheny. Il a abandonné le sitar pour cet album qui lorgne résolument vers le jazz, loin des « musiques du monde », de cet assemblage qui se veut vendeur et ne réussit qu’à aseptiser toutes les musiques pour en faire un produit de consommation courante.
Rez Abbasi revendique toutes ses traditions, toutes ses mémoires pour les bousculer, les rendre vivantes capable d’inventer un présent. En compagnie de Vijay Iyer, pianiste essentiel de notre temps et de Rudresh Mahanthappa au saxophone alto avec lesquels il partage une formation commune, ils ne craignent de renverser les codes, d’aller vers l’inconnu. Ils ont des repères, dans le jazz, dans les musiques indiennes mais ils ont décidé de franchir toutes les barrières, notamment celles du collage pour proposer une sorte de dialectique de cultures, une sorte de choc pour construire une autre musique.
Il faut les entendre avec attention. Se retrouvent tout autant le jazz des années 1960-70, le son du sitar revisité, la rage lumineuse des grand-e-s du jazz, de tout le jazz – la batterie de Dan Weiss en témoigne comme la contrebasse Johannes Weidenmueller -, les métriques des musiques de ce pays à la culture immense et même, via le violoncelle de Elizabeth Mikhael, un soupçon de musiques dites classiques pour faire surgir des compositions originales de la plume du guitariste.
Nicolas Béniès
« Unfiltered Universe », Rez Abbasi, Whirlwind Recordings.