Le coin du polar

Vagabondages

Martyn Waites a été, comme beaucoup de ses contemporains, durement marqué par la défaite des mineurs en 1984. Thatcher, Premier ministre en 1979, a conduit la lutte des classes avec tous les moyens à sa disposition, policiers et idéologiques. Elle a mis en œuvre une véritable stratégie de combat que le syndicat des mineurs conduit par Scargill a mis du temps à comprendre. Il faut dire que le dirigeant du syndicat avait demandé en vain la décision d’une grève générale. Comme souvent, elle est tardive mais elle durera tout de même un an. L’âpreté du combat de classe est rendue à travers le parcours de personnages façonné par le conflit lui-même dont un journaliste qui enquête aussi sur son passé. « Né sous les coups » fait l’aller retour entre « avant » et « maintenant » pour dessiner le paysage issu de cette défaite. Un grand roman social.
Difficile, semblait-il, de faire mieux ou différemment. Waites réussit ce tour de force avec « La chambre blanche », l’antichambre de la mort. Même lieu, Newcastle et cette Angleterre – au sens strict – un peu mystérieuse, brumeuse secouée d’éclats de violence et de rire, d’explosions de fraternité et de corruption. Remontons le temps. 1946 pour suivre un leader travailliste qui donne l’impression de vouloir changer la vie en détruisant les taudis et en construisant de grandes cités. L’exclusion, la surexploitation des salariés, le gangstérisme, la corruption. Une fresque sociale de cette ville, des personnages qui incarnent ces concepts pour une intrigue qui même ingrédients du polar, du social pour une grande littérature. La révolte, la colère suinte quasiment à chaque page. Continuer la lecture

Le marxisme vivant

Les deux faces de la médaille du marxisme

Eric Hobsbawm est un historien réputé. Ses études font autorité. Dans ce recueil de textes, il analyse la doctrine de Marx et Engels, les marxistes du XXe siècle, à commencer par Gramsci, et le recul de ces théorisations dans les trente dernières années. Il apparaît, à le lire, l’extraordinaire plasticité de la méthode et des concepts forgés par Marx. Ils restent indispensables pour analyser le capitalisme d’aujourd’hui. La crise actuelle de l’idéologie libérale ouvre la porte à une relecture nécessaire des marxistes.
N. B.
Et le monde changea. Réflexions sur Marx et le marxisme, de 1840 à nos jours. Eric Hobsbawm, traduit par Frédéric Joly, Éd. Jacqueline Chambon.

Les communismes

POUR UN PREMIER BILAN DU XXe
Le court XXe siècle,1914-1989, pour citer Eric Hobsbawm, a été
souvent qualifié « siècle communiste ». L’effondrement de
l’URSS, le passage au capitalisme rapide des anciens pays de
l’Europe de l’Est comme de la Chine ont été très peu analysés. Le bilan et du stalinisme et du xxe siècle n’ont pas
encore été tirés. Georges Vidal dans cette Histoire des communismes au XXe siècle propose d’ouvrir ce chantier. Il
envisage la diversité de ce phénomène et découpe cette histoire en plusieurs périodes. Le débat pourrait s’engager sur
des bases sérieuses.
N. B.
Histoire des communismes au xxe siècle, G. Vidal, Ellipses

LES DROITS DE L’HOMME À LA QUESTION

La religion des droits des droits de l’homme.

Au commencement était la Révolution française, celle de 1789. Valentine Zuber, dans « Le Culte des droits de l’homme » explique, décrit la genèse de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Faisant œuvre d’historienne, elle poursuit sur cette lancée en rappelant les réactions suscitées lors du Bicentenaire, en 1989. Cette commémoration avait montré un très fort refus du fait révolutionnaire et un rejet de cette déclaration.
Elle en arrive à sa thèse centrale : la victoire sans appel
de la défense des droits de l’homme, avec toutes ses limites et ses ambiguïtés, se traduit par la sécularisation de la foi. La croyance dans les droits de l’homme est une des composantes actuelle de la laïcité. Ce « culte » est révélateur d’une société qui a épuisé ses idéologies. Ces droits sont le pendant d’un libéralisme effréné qui provoque une montée des
éclatements sociaux et des communautarismes reposant sur des dogmes religieux. La politique, au sens de projet de société, recule, s’évanouit et le futur n’existe plus.
Elle en conclut que « le culte des droits de l’homme »
est préférable à l’emprise des religions sectarisées, sans
être une manière de lutter contre les communautarismes qui marquent notre monde.
Cette conclusion ouvre grande la porte à d’autres réflexions sur des reculs idéologiques du mouvement ouvrier, comme l’idée même du socialisme permettant d’ouvrir une alternative de transformation sociale face au capitalisme.
Les droits de l’homme représentent un succédané à l’absence de valeurs communes. Les solidarités collectives ont tendance à disparaître, comme les services publics, laissant les individus isolés et sans perspective d’ensemble.
Le mouvement ouvrier devrait ouvrir le chantier d’une refondation idéologique.
Nicolas Béniès
Le Culte des droits de l’homme,Valentine Zuber, Gallimard/Bibliothèque des Sciences humaines.

Une réflexion nécessaire

Le précaire, un nouveau statut dans le salariat ?

Le point de départ des analyses de la précarité se trouvent en deux ouvrages fondateurs qui tous deux voulaient lutter contre le concept caoutchouteux d’exclusion, très à la mode dans les années 1970-80, qui ne permettaient pas de situer la question. Robert Castel dans « Les métamorphoses de la question sociale » (Fayard, 1995 réédité en Folio) créait le concept de « désaffiliation » pour indiquer les salariés sans statut, de ces statuts construits dans la période 1955-1975 par les droits du travail et de la Sécurité sociale et Serge Paugam celui de « disqualification sociale », dans le livre qui porte ce titre (PUF, 1991). Continuer la lecture

Fin d’un monde

Le temps des guerres et des révolutions

Photographe de guerre 14-18La guerre de 1914-18 est restée dans toutes les mémoires. Elle fait l’objet cette année d’une commémoration qui cherche, comme souvent derrière ces cérémonies du souvenir, à occulter la recherche des causes de cet événement majeur pour en rester à l’émotion. Les discours oscillent entre la valorisation de l’unité nationale et la dénonciation de la guerre sans s’interroger sur les raisons et les conséquences de ce tremblement de terre qui a vu, via la révolution russe d’octobre 1917, la naissance de ce « court 20e siècle ». Dans le même mouvement, les révolutions esthétiques se sont succédé. Le surréalisme, le jazz, le dadaïsme et… la photographie. « 1914-1918, la violence de la guerre » est une compilation de photographies réalisées principalement par deux sous-officiers au début de la guerre, devenus officiers. Ils ne racontent pas la guerre mais mettent en scène les tranchées et ces soldats qui souffrent au-delà de tout respect humain. Leur travail a, peut-être, inspiré Tardi. Cette succession de clichés fait témoignage de la place désormais importante de la photographie. Ils ouvrent la voie à tous les artistes qui suivront. Il faut lire et regarder cet ouvrage avec ces deux entrées, la représentation de la violence de cette Grande Boucherie et l’accession de la photographie à un nouveau statut.
Cette guerre a permis aussi une transformation fondamentalecombat de femmes, 14-18 dans les rapports entre les hommes et les femmes. Dans la guerre, les femmes deviennent les productrices de richesses. Elles font tourner la machine économique. Il faut enlever des têtes les clichés traditionnels : elles ne sont pas seulement infirmières. Dans un premier temps, elles se situeront du côté de l’Union Sacrée contre l’ennemi pour, un peu plus tard, faire partie, des pacifistes. Le syndicalisme au féminin sera aussi de la partie pour imposer un salaire minimum aux femmes. A la fin de cette guerre, elles seront sommées de retourner dans leur foyer. Elles n’obtiendront pas le droit de vote contrairement aux femmes américaines ni des droits nouveaux. Pourtant, surgira, dans ces années 1920, la figure de la « garçonne » qui marquera un nouveau pas dans la lutte pour la reconnaissance des droits. « Combats de femmes 1914-1918 » fait partie de ces ouvrages essentiels qui permettent un travail de mémoire en luttant contre les oublis du souvenir.
Nicolas Béniès.
« 1914-1918. La violence de la guerre », Stéphane Audoin-Rouzeau, Gallimard/Ministère de la Défense-DMPA
« Combats de femmes, 1914-1918. Les Françaises, pilier de l’effort de guerre », dirigé par Évelyne Morin-Rotureau.

Des questions fondamentales

La science dans le tsunami libéral.

la science pour qui ?Faudrait-il changer la devise bien connue « science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – credo du groupe réuni sous l’égide d’« Espaces Marx » – en science sans profit n’est que ruine du capitalisme… et de la santé des populations ? « Science », un terme qui souffre de plusieurs définitions se doit d’être interrogée pour permettre à la fois le renouveau de la recherche fondamentale mise à mal par ce capitalisme libéral pressé par la nécessité d’augmenter le profit à court terme et des formes de contrôle démocratique. Il faut laisser les scientifiques libres de chercher, nous disent les auteurs tout en donnant les moyens – en temps – aux citoyennes et aux citoyens de comprendre et de disposer. « La science pour qui ? », un petit livre qui ouvre des perspectives et rend intelligent.
N.B.
« La science pour qui ? », coordination Janine Guespin-Michel et Annick Jacq, Éditions du Croquant/Enjeux et débats espaces Marx, 125 p.

Refondation nécessaire.

L’avenir du syndicalisme dans le basculement d’un monde.

Comment appréhender ce monde capitaliste en mutation ? Comment construire le syndicalisme du 21e siècle ? Deux ouvrages récents permettent de construire des réponses à ces questions fondamentales, « Trente ans de vie économique et sociale », ouvrage collectif de l’INSEE et « Nouveau siècle, Nouveau Syndicalisme », sous la direction de Dominique Mezzi, Syllepse.

Le syndicalisme en France et plus généralement dans tous les pays capitalistes développés est confronté à une nouveauté, l’asyndicalisation après la désyndicalisation qui commence fortement dans les années 1990. C’est le résultat de transformations profondes qui affectent le capitalisme depuis les années 1980. La victoire de l’idéologie libérale à permis la construction d’une nouvelle forme de capitalisme, d’un régime d’accumulation à dominante financière comme réponse à l’entrée dans une nouvelle période en 1974-75. Dans le même mouvement, le recul du collectif et la montée de l’individualisme s’est imposé. Continuer la lecture

La dignité, un mot oublié ?

Une marche de 30 ans.

La marcheA l’automne 1983 des marcheurs se mettent en mouvement. Ils et elles vont traverser la France, faire 1500 kilomètres pour revendiquer rien de moins que les droits élémentaires de tout être humain, l’égalité, la fraternité, la liberté et surtout la dignité. Bouzid Kara fait partie de cette première cohorte, avant le succès retentissant mais éphémère. En 1984, il publie ce livre « La marche ». Actes Sud le republie avec des photos de Farid L’Haoua pour que le travail de mémoire reste à l’ordre du jour. Cette marche c’était un cri. A-t-il été entendu ? Notre société a-t-elle changé ? La revendication a-t-elle été prise en compte ? Ce témoignage repose toutes les questions concernant notre manière de vivre ensemble. Des interrogations nécessaires au moment où la recherche de boucs émissaires bat son plein. La marche c’est aussi une sorte de leçon philosophique pour aller à la rencontre de l’Autre. De faire le premier pas…
Nicolas Béniès.
« La marche. Les carnets d’un marcheur », Bouzid, Sindbad/Actes Sud.

Un témoignage

Sur les rapports parti/syndicat.

Un des débats récurrents dans le monde syndical depuis la Charte d’Amiens de 1906 et le stalinisme porte sur les rapports entre parti de gauche et syndicats. L’affirmation de l’indépendance syndicale de la FEN – ou de FO – souffrent de quelques arrangements. De ce point de vue, le témoignage de Jean Battut est inestimable. Le titre dit le projet « Quand le syndicalisme enseignant rencontre le socialisme ». Secrétaire du SNI de la Nièvre (1963-69) et, de 1969 à 1971, secrétaire de la F.D.G.S de la Nièvre, il a œuvré pour que le projet du PS s’inspire de celui porté par la majorité UID de la FEN, appelé l’École Fondamentale. A partir des notes qu’il a envoyées à F. Mitterrand de 1975 à 1979 se trouve une partie de cette histoire tumultueuse sans qu’il soit possible d’en déduire une inféodation du PS à la FEN ou de la FEN au PS. Une conclusions étrange mais fondée. Jean Battut ne cache rien de l’essentiel. Une contribution à l’histoire du mouvement ouvrier.

Nicolas Béniès.

« Quand le syndicalisme enseignant rencontre le socialisme, 1975-1979. Notes régulières transmises par la FEN et le SNI à François Mitterrand », Jean Battu (préfaces d’André Henry et de Guy Georges), L’Harmattan.