Une mise en perspective nécessaire sur les peintres mexicains

Les restes d’une exposition.

Les peintres muralistes mexicainsQue reste-t-il d’une exposition lorsqu’elle ferme ses portes ? Le catalogue. Lorsqu’il est signé Serge Fauchereau et qu’il porte sur « Les peintres mexicains 1910-1960 », il devient indispensable. Des muralistes, seuls Diego Rivera et Frida Kahlo sont connus et ont fait l’objet de l’exposition. La biographie de Frida – tout le monde l’appelait par son prénom -, de Hayden Herrera, historienne de l’art vient compléter le catalogue. Les autres peintres, les autres styles ? Leur interdépendance, leur place ? Ce livre vient combler un vide. Serge Fauchereau fait ici un travail de synthèse qui nous ouvre des portes.
« Les peintres mexicains, 1910-1960 », S. Fauchereau, Flammarion ; « Frida, biographie de Frida Kahlo », H. Herrera, Flammarion.

Un maître de l’écriture

Raymond Chandler habillé de neuf

ChandlerLe polar, une littérature de gare ? Les couvertures des pulp fictions, au mauvais papier l’ont longtemps laissées croire. Le classement était facile. En France, la Série noire créée et dirigée par Marcel Duhamel, a renforcé ce cliché. Fait aggravant, Duhamel a voulu mettre au goût du jour quelques grands auteurs du genre en demandant aux traducteur(e)s de réduire le texte pour le faire tenir dans les 124 pages et de le saupoudrer d’argot de l’après seconde guerre mondiale.
Il s’avère que la différenciation qu’il faut faire c’est, comme d’habitude, entre bonne et mauvaise littérature. Les grands auteurs créatifs du polar à commencer par Dashiell Hammett1 sont des romanciers au style classique et épuré. Il faut plutôt regarder du côté de Shakespeare ou de Walt Whitman pour trouver des références à leur manière d’écrire. Continuer la lecture

En passant par Chicago… Université populaire sur le jazz 2012 – 2013

Le projet de départ… qui s’étendra sur plusieurs années…

pour démarrer et vous mettre dans l’ambiance, Robert Johnson (voir plus loin pour des explications complémentaires) « Sweet Home Chicago » (1936)

Le même thème repris par les Blue Brothers dans le film éponyme de John Landis

Au départ, ce projet se proposait d’offrir une autre image du jazz en lien avec l’urbanisation spécifique des États-Unis et la place des ghettos. De plusieurs types ces ghettos. New York possédait le ghetto noir, juif, italien et quelques autres, tous des Américains à trait d’union. Chaque nationalité se regroupait pour résister, sans parler des gangs créés dans « street corner ». Chaque quartier avait sa musique. Ce qui est valable pour New York l’était pour les autres villes dans une moindre mesure.
Ces musiques circulaient d’un quartier à l’autre. George Gershwin se souvenait, et voyait là l’origine de sa musique hautement représentative de ces États-Unis des années d’entre deux guerres, que chaque quartier diffusait sa musique via les chansons entendues dans la rue – une des origines du jazz, la rue. A l’époque, peu de postes de radio, peu de moyen de lire les disques, la technique des « rouleaux » inventés par Edison coûtaient chers. La consommation de masse en était à ses balbutiements.
Gershwin parlait des débuts de ce 20e siècle et des quartiers de New York qui avait chacun leurs spécificités culturelles. Le « melting pot » ressemblait à un mauvais collage. Le terme, issu du théâtre yiddish était, au départ, péjorativement ironique. Il est désormais chargé de positivité exprimant l’idéologie de l’intégration chère aux Étasuniens. Idéologie, l’intégration des Africains-Américains, malgré un président noir, n’est toujours pas réalisée. Celle des Juifs et des Italiens est passée par les gangs et le jazz…

Plus largement, je voulais explorer les villes du jazz. Je n’avais pas vu l’ampleur de la tâche, ni les nécessités de faire entendre musique et musicien(ne)s, parler de ces romanciers qui ont su illustrer leur ville et parler du jazz.

il s’agissait donc de visiter les villes du jazz, aux États-Unis pour laisser la place, plus tard, aux autres villes. Paris, en particulier… En cours de route, le projet a évolué…

Si j’ai voulu commencer par Chicago, c’est parce que j’en Chicagorevenais au début de cette année. Un motif certes légitime mais pas suffisant. Au fur et à mesure des séminaires, je me suis aperçu que Chicago, plus que New York, était la Ville du jazz et du blues « typiquement » américain. Je risque l’hypothèse que c’est une des villes-creuset de la formation de la culture américaine, étatsunienne, une ville clé. Ses créations architecturales en font une des villes références en cette matière. Les gratte ciels – skyscrapers – comme autant de pénis survoltés ont projeté leur semence dans tout le pays et au-delà.

Il n’est pas étonnant que le blues électrique de la fin de la seconde guerre mondiale ait trouvé là, dans ses ghettos, son aliment principal comme le bruit de ses usines ou de son train – difficile de parler d’un métro surtout lorsque l’image que nous avons est celle du métro parisien… Ci-après Buddy Guy, un des grands bluesman de Chicago qui narre la première fois qu’il a rencontré le blues…

Il faut voir le film de John Landis, « Blue Brothers », pour avoir une idée de la ville. La chambre qu’ils habitent est située juste à côté du métro, le Chicago Transit Authority – CTA – qui sera approprié par le groupe de rock, comme un hommage à la Ville mais aussi à ses bruits industriels. In avait oublié que tout un pan de la musique des débuts du 20e siècle reproduisait les sons de l’usine, avec que qu’ils ont de stridence. Le blues, sans référence à cette musique, s’est servi lui aussi de ses sons pour construire un blues plus électrique, dés le début des années 1940 et… à Chicago.

Cette année, en conséquence, je nous ai fait rester à Chicago, sans épuiser toutes ses réalisations et possibilités .Elle dévoile la perte de puissance des États-Unis. Son industrie est chancelante, les services publics sont déliquescents, ses infrastructures à revoir, chômage et pauvreté sont visibles et, last but not least, l’Église de scientologie possède un bel immeuble avec pignon sur rue, juste à côté de la rivière. Sur le terrain de l’architecture, Chicago fut une ville pionnière avec Franck Lloyd Wright notamment. Elle a influencé tous les architectes du monde entier. Ses gratte ciels, ceux de Louis Sullivan en particulier ont été copiés. Aujourd’hui, beaucoup – trop ! – d’hommages sont rendus à ces pionniers sans présenter une relève. Le champ des possibles semble se conjuguer au passé. Ce n’est pas spécifique à Chicago, mais…

Difficile tout de même de sortir de cette ville spécifiquement américaine et qui joue un grand rôle dans le développement du blues et du jazz. Chaque fois que je me suis posé la question de l’abandonner pour redescendre vers le Sud (vers la Louisiane et la Nouvelle-Orléans et ce n’était pas l’envie qui m’en manquait pour parler de ces écrivains du Sud qui structurent la mémoire de ces États-Unis à commencer par Faulkner) ou remonter vers le Nord (New York, cette ville qui n’est américaine mais véritablement cosmopolite, une Ville qui n’appartient qu’à elle-même, une Ville où forcément chacun(e) se sent chez soi, sensation bizarre qui vous envahit dés la première visite, ville où le jazz allait grandir, partant du ghetto noir de Harlem) ou l’ouest (pour figurer les États-Unis via les deux Kansas City séparé par la rivière Kansas, l’un au Kansas, l’autre au Missouri devenue, cette dernière, la ville de tous les trafics dans les années 30 lui permettant d’échapper à la dépression, attirant de ce fait tous les musiciens en quête d’engagements, une ville creuset qui verra naître, en 1920, Charlie Parker), un(e) musicien-ne m’empêchait de partir comme la nécessité de parler d’un romancier, d’un auteur de polar ou d’autre chose, de sociologie par exemple.

En 1937, Benny Goodman, un enfant de la ville, lui rendait hommage, « Chicago », la raconte. Les paroles (« lyrics ») racontent la naissance de la ville, ses prédicateurs dont un ancien joueur de base-ball, ses constructions.

. Continuer la lecture

Pour Pier paolo Pasolini

Portrait d’une Italie révoltée.

Pier Paolo Pasolini fut cinéaste. Et la cinémathèque française lui rend hommage. Il ne faudrait pas oublier que, jusqu’à son assassinat en 1975, il a représenté une figure de l’intellectuel marginal exprimant le mal être de cette société italienne de l’après seconde guerre mondiale. Poète, philosophe, linguiste, romancier qui se perdait dans les bas fonds de Rome pour retrouver l’âme de cette ville qui fut la sienne et qu’il a su façonner. « Pasolini Roma » veut dévoiler – sans lever la part du mystère – son processus créatif, sans rien cacher de sa vie.

N.B.

« Pasolini Roma », ouvrage collectif, Skira/Flammarion/La cinémathèque française. Exposition jusqu’au 26 juin 2014.

Histoire culturelle des Etats-Unis, une leçon de dialectique

L’Afrique et l’Amérique, un choc !

Le jazz, musique forgée par les Africain(e)s déporté(e)s aux États-Unis pour devenir esclave, est le résultat dialectique d’un choc de cultures ou plutôt d’un choc d’acculturations. Les Européen(ne)s arrivé(e)s sur le sol américain en quête de liberté exportaient dans le même temps leur propre culture. Ces origines diverses de plusieurs strates d’immigration expliquent les spécificités des villes américaines, des accents qui se retrouvent dans la musique. Boston, pas exemple, fut contaminée par l’accent irlandais. Les Africain(ne)s étaient porteurs de cultures spécifiques, orales celle-là, aussi différentes que celles des Européens. Les nations africaines ont leur existence même si les Etats construits par les colonisateurs ne correspondent pas aux Nations anciennes. Les grands propriétaires terriens, esclavagistes – et pas seulement dans le Sud des États-Unis, dans le Nord aussi – avaient comme politique de séparer les familles, les ethnies pour éviter les révoltes. Du coup, à l’intérieur de ces grandes propriétés fermées, c’est un mouvement d’acculturation qui s’est enclenché. Un mouvement qui a duré. Une des résultante fut le vaudou comme synthèse des grands mythes de cette Afrique mais, du coup, l’Afrique se faisait rêve d’un eldorado, d’un Éden passé. Continuer la lecture

Culture, vous avez dit crédit ?

La culture en danger

Les grandes vacances sont une période de latence. La liberté de l’esprit permise par la rupture avec le travail contraint ouvre de nouveaux horizons. C’est le moment de se ressourcer, de se retrouver en lisant, en écoutant de la musique, en allant au théâtre… Les festivals sont durablement associés à cette période, même si, et ce depuis quelques années, ils débordent largement la période pour s’installer dans le paysage culturel de toute l’année. Les bénévoles qui s’en occupent – beaucoup de retraité(e)s – sont des passionné(e)s qui font vivre la culture. Sur le strict terrain économique, ces associations permettent de faire baisser le coût de revient de ces animations. Ils et elles jouent un rôle essentiel non reconnu. Le jour où ces associations disparaissent, le festival meurt le plus souvent. Continuer la lecture

Pour Max Roach

A Max Roach (10 janvier 1924 – 16 août 2007), architecte hasardeux.

La collection Quintessence, dirigée par Alain Gerber, consacre un coffret de deux CD à Max Roach, batteur inestimable, prince du bebop, oreilles grandes ouvertes à la tradition et à l’innovation, à la construction comme à l’improvisation. Max fut une des incarnations du jazz, avec tous ses oxymores. Continuer la lecture

Intégrale Louis Armstrong, volume 12

Une histoire qui est aussi la notre…

Suivre Louis Armstrong par le biais de cette intégrale – elle en est à son volume 12 et couvre les années 1946-1947 – due aux bons soins de Daniel Nevers (auteur du livret qui en fait une partie du charme), c’est remonter le cours du temps en suivant l’histoire de ce curieux pays dont les habitant(e)s n’ont pas de nom, les États-Unis. Un pays dont l’apport à la culture mondiale s’appelle Jazz. Continuer la lecture

L’exil, un entre deux

Rencontres

Un professeur d’université, Eduardo, et sa compagne, Lia, Guatémaltèques rencontrent un pianiste serbe, Milan, partagé entre les deux mondes de ses parents. Tsigane par son père, Serbe par sa mère il est rejeté par les deux communautés dans cette ex-Yougoslavie déchirée. Le choc esthétique est profond et déclenche un voyage onirique dans cette Mittle Europa qui n’existe plus, à l’intérieur de cette musique tsigane et surtout du jazz, à commencer par Thelonious Monk ici dénommé « Melodious Thunk ». Un roman sans début ni fin qui parle de l’errance, du parcours, de la marche pour se construire, se comprendre. Eduardo, issu d’une famille de rescapés de la Shoah, se projette dans Milan et veut le retrouver pour se trouver lui-même. « La pirouette » – titre de ce roman – représente une figure de notre espace-temps de ce monde en train de sombrer.

N.B.

« La pirouette », Eduardo Halfon, traduit par Albert Bensoussan, Quai Voltaire, 172 p.

Éloge du nomadisme.

La Ville est une inconnue. L’architecture, l’urbanisme proviennent du monde nomade. La Ville se construit par des limites – comme les Menhirs – pour orienter des parcours. La marche permet de découvrir les trésors cachés. C’est la thèse que défend Francesco Careri dans ce « Walkscapes », intraduisible anglais pour dire que la marche façonne des paysages, que la route est plus importante que les constructions. Une manière de revisiter à la fois les surréalistes, les Dadaïstes et les Situationnistes. Au moment où la BnF expose Guy Debord, cet essai permet d’apercevoir les filiations et la place de ces théorisations dans l’appréhension du monde. La préface, « La ville nomade » de Gilles A. Thiberghien – autre théoricien de cette architecture mouvante – permet de compléter et de comprendre la démarche de l’auteur. Stimulant.

N.B.

« Walkscapes. La marche comme pratique esthétique », Francesco Careri, traduit par Jérôme Orsoni, Éditions Jacqueline Chambon/Rayon Art, 221 p.

Articles publiés dans l’US Mag d’avril 2013

Au hasard des éditions

Une lutteuse.

Écrire une biographie (résumée) de Rosa Parks semble étrange. Lucien Chich a su ramasser l’essentiel de la vie de cette femme qui a décidé, un jour de décembre 1955 de ne pas respecter les lois ségrégationnistes de cet Etat d’Alabama – qui sera célèbres pour des meurtres de défenseur des droits civiques – en refusant de monter à l’arrière du bus qui l’a ramenait chez elle. La mobilisation commençait… Aujourd’hui plusieurs lycées et collèges de la région Rhône-Alpes portent ce nom…

Nicolas Béniès

« Je suis…Rosa Parks », Lucien Chich, Jacques André éditeur.

 

Sur Haïti.

Cette île, qui s’est appelée Saint-Domingue, a une histoire et une histoire de lutte et de libération. La révolution française avait décidé l’abolition de l’esclavage que Bonaparte, Premier Consul, avait rétabli contre toute attente. Jean-Pierre Barlier, dans un livre précédent, « La Société des Amis des Noirs 1788-1791 », avait raconté les origines de la première abolition de l’esclavage le 4 février 1794. Dans cette suite, « L’échec de l’expédition de Saint-Domingue (1802 – 1803) et la naissance d’Haïti », il s’attache à décrire la barbarie coloniale et l’emprisonnement de Toussaint-Louverture qui avait cru aux promesses de cette révolution, à la liberté, l’égalité et la fraternité. En même temps, il décrypte le projet colonial du futur Napoléon. Il accumule les témoignages, suit les pas de l’armée française pour montrer que toute volonté d’asservir une population est un acte profond de barbarie et explique, en partie, le sous-développement actuel. Toussaint Louverture restera, pour l’éternité, l’image de la révolte. Son nom sera porté par beaucoup de jazzmen et de partisan des droits civiques aux États-Unis. Une page de notre histoire par trop ignorée.

N.B.

« L’échec de l’expédition de Saint-Domingue et la naissance d’Haïti », Jean-Pierre Barlier, Éditions de l’Amandine, 195 p.

 

 

Marseille, capitale de la culture.

En complément du dossier de ce numéro, « Ici, Ailleurs » est le titre d’une exposition qui veut réunir les artistes de la Méditerranée, « fabrique de civilisation » disait Paul Valéry. Jean-François Chougnet a réuni des artistes dont le seul lien est l’appartenance à cet espace. Beaucoup de noms nous ont inconnus, raison de plus pour aller les découvrir. Ce catalogue permet de les présenter.

N.B.

« Ici, Ailleurs. Une exposition d’art contemporain », Skira/Flammarion.

 

Parcourir

Et si le but ultime d’un voyage n’était pas le lieu d’arrivée mais le parcours lui-même ? Ces récits de voyage vers le Tibet en font la démonstration. Ils nous entraînent vers ce pays mystérieux, à la fois matériel et immatériel. La difficulté d’y parvenir, les rêves qui se construisent dans la préparation, le temps du parcours vers ce lieu chargé de spiritualité et d’histoires font de ce voyage un voyage initiatique. Que cherchent ces explorateurs ? Pourquoi d’aussi grandes souffrances ? Les réponses diffèrent. Le premier de ces récits date de 1783, le dernier de 1944, manières de se rendre compte à la fois des permanences – trouver la paix intérieure – et des transformations. Un recueil d’Histoire, d’histoire littéraire – les styles évoluent, les regards changent – et de plaisir tout court de la lecture.

N.B.

« Tibet. Vers la terre interdite », présenté par Chantal Edel, préface de Sylvain Tesson, Omnibus/Presses de la Cité.

Articles publiés dans l’US Mag d’avril 2013