Découvrir William R. Burnett


Un auteur laissé pour compte mais qui compte.

William R. Burnett, né à Springfield (Ohio), en 1899, a eu le choc de sa vie en arrivant à Chicago. La deuxième grande ville des Etats-Unis, la porte du Midwest, industrielle et corrompue, capitale de l’architecture mais aussi de la pègre dans les années 1920 – il arrive en 1927 -, années de la prohibition et de Al Capone. Le 18e amendement de la Constitution américaine interdisait de servir des boissons alcoolisées. Le mauvais alcool, Moonshine tel était son nom, proliférait, les fortunes aussi. Burnett, fort des travaux de l’école de sociologie de Chicago, mis en scène la Ville qui façonne les habitant-e-s et les formes d’intégration de ces populations rejetées, juive et italienne en particulier. Il écrira : « Je me sentais écrasé par sa taille, son grouillement, sa saleté, sa turbulence, sa vitalité frénétique. » Et c’est encore la sensation qu’elle donne sans oublier – et notre auteur ne l’oublie pas – le jazz. Continuer la lecture

Herman Melville (1819-1891), un révolté incarné par Moby-Dick

Mythologies américaines.

« Moby-Dick ou le Cachalot » fait partie des textes étudiés à l’école comme partie de la littérature mondiale, une raison suffisante pour ne pas le lire ou le relire. Herman Melville pourtant joua un rôle essentiel dans la construction des mythes adoptés par les Etats-Unis. Les références à la baleine blanche  – le blanc est la « couleur » de Melville – sont multiples et se retrouvent chez Hemingway comme chez Philip Roth. Il représente la première tentative d’émanciper les lettres américaines de la tutelle britannique. Continuer la lecture

Poésie de la fulgurance

Georges Perros, l’esthétique du quotidien

La poésie surgit dans des endroits bizarres, étranges d’une rencontre avec un paysage, une personne, un sentiment. Pour Georges Perros (1923-1978), le point de départ est dans la sensation d’être vivant alors que la mort rôde. Il se dira « noteur » pour indiquer que la note est la seule manière d’exprimer la fulgurance de la vie, la nécessité de l’éphémère face au livre imprimé. Le quotidien est, par nature, « gravée sur le mur du vent » pour perdre la trace du passé tout en conservant son ombre. La poésie de Perros ressemble, de ce point de vue, au sillage d »’un bateau qui suit des routes invisibles à l’œil nu mais conservées par les navigateurs. L’écume devient la signification du passé. Continuer la lecture

Le temps du conteur.

Tahar Ben Jelloun, écrivain japonais ?

Gallimard, dans cette collection Quarto, a décidé de laisser à Tahar Ben Jelloun non seulement le choix des textes – intitulé « Romans » – mais aussi « les points de repères » biographiques et bibliographiques qui font l’originalité de cette collection. Presque une autobiographie. Tahar raconte sa famille, son Maroc, Fès surtout, point de départ et d’arrivée, ville de toutes les histoires, de tous les imaginaires, Tanger où son père avait ouvert une boutique, Paris, ville de toutes les rencontres – notamment celle de Jean Genet, une sorte de géniteur –, des études, du succès.
L’an 2000 fut une mauvaise année pour lui. A mots couverts, il est question de la police secrète marocaine et de ses sbires capables de toutes les basses manœuvres pour dénigrer, calomnier et même menacer physiquement la personne visée. Il dit avoir réussi à résister mais il reste un sale goût dans la bouche. La monarchie marocaine ne pardonne pas, n’oublie pas. Une sorte de retour vers ces premières années, 1966-1968, 19 mois pendant lesquels il fut soumis à la répression journalière dans un camp disciplinaire de l’armée marocaine. Pour supporter, l’évasion par la poésie, par les mots, par la force de l’imagination. S’inventer des histoires pour s’inventer soi-même sans le savoir réellement. Ainsi naît une vocation d’écrivain. Continuer la lecture

Verlaine et Rimbaud, un concert révolutionnaire.

Esprit de corps

Mon premier était né à Metz, mon second à Charleville (Ardennes), leurs pères étaient capitaines – pour l’un dans le Génie, pour l’autre dans l’infanterie, Verlaine était mauvais élève, attiré par d’autres plaisirs et sensations, Rimbaud un élève surdoué remarqué par ses enseignants. Leur attirance venait d’abord de la poésie avec comme référence commune Charles Baudelaire, révolutionnaire endurci de la langue française et des formes du poème, rejeté par tous les biens-pensants – pansants.
Arthur Rimbe, Ribaude suivant les temps de Paul, reçut comme un don de la terre la poésie de Paul qui l’incita à se lancer dans l’aventure. Une aventure pas seulement intellectuelle. Le besoin de révolution ne s’agite pas seulement en une seule dimension, il est en 3D au moins. Continuer la lecture

Louis-René Des Forêts, écrivain de l’impossible

L’infortune d’être soi.

René Louis Des ForêtsLouis-René Des Forêts (1916 – 2000) est un auteur étrange inséré dans ce 20e siècle dont ce nobliau fut le plus violent critique tout en participant à toutes ses guerres et à tous ses espoirs. Né dans la Première guerre, il fut un des protagonistes de la seconde, s’opposa à la guerre d’Algérie (signataire du Manifeste des 121) et vivait l’écriture comme une malédiction. Il s’est servi de toutes ces expériences pour construire une œuvre aux entrées multiples où la naïveté barbare des enfants est mise en scène. Une formule ternaire, qu’il faut entendre comme une harmonique, pourrait résumer l’appel de cet auteur qui n’entre dans aucune case toute faite : « L’éclat du rire, le sel des larmes et la toute puissance sauvagerie » (cité par Dominique Rabaté dans sa présentation). Les « Œuvres complètes » ici réunis font la démonstration d’une maîtrise de l’écriture qui va crescendo. Les termes de musique viennent sous la plume tellement la structure de ses textes – faut-il parler de roman et même de nouveau roman sans induire des erreurs d’interprétation ? – ressemble à une partition. Il aimait l’opéra et son esbroufe, sa manière de parler de la réalité sous un simulacre de chants et de décors pour singer le factice. Louis-René prendra, dans un premier temps, le masque d’un critique musical, signant de son nom retourné. Continuer la lecture

Saul Bellow (suite)

L’américanité existe, Bellow l’a construite.

Saul Bellow quarto (2)Saul – diminutif de Salomon – Bellow (1915-2005), fils d’immigrés juifs russes de Saint-Pétersbourg parlant Yiddish installés d’abord au Québec puis à Chicago, deviendra, par la force de sa volonté, un écrivain américain cultivant son « américanité », sa spécificité. Comme James Joyce, il forgera un vocabulaire spécifique et une manière d’écrire.
Il lui faudra attendre son troisième roman, « Les aventures d’Augie March » pour faire cette entrée fracassante en littérature. Une accumulation de détails, de mots, une luxuriance d’images dont le socle repose sur une critique sociale, celle du capitalisme triomphant qui rogne les ailes de la créativité et oblige à franchir toutes les limites surtout celles que la société considère comme le « bon goût ». Continuer la lecture

Un maître de l’écriture

Raymond Chandler habillé de neuf

ChandlerLe polar, une littérature de gare ? Les couvertures des pulp fictions, au mauvais papier l’ont longtemps laissées croire. Le classement était facile. En France, la Série noire créée et dirigée par Marcel Duhamel, a renforcé ce cliché. Fait aggravant, Duhamel a voulu mettre au goût du jour quelques grands auteurs du genre en demandant aux traducteur(e)s de réduire le texte pour le faire tenir dans les 124 pages et de le saupoudrer d’argot de l’après seconde guerre mondiale.
Il s’avère que la différenciation qu’il faut faire c’est, comme d’habitude, entre bonne et mauvaise littérature. Les grands auteurs créatifs du polar à commencer par Dashiell Hammett1 sont des romanciers au style classique et épuré. Il faut plutôt regarder du côté de Shakespeare ou de Walt Whitman pour trouver des références à leur manière d’écrire. Continuer la lecture

Patrick Modiano se dessine

Dix romans pour une œuvre.

Patrick Modiano qui dit détester les hommages et reculer devant les métaphores – pour qualifier un bleu il ne trouve que l’adjectif bleu – a construit son propre hommage en proposant dix romans « réunis pour la première fois forment un seul ouvrage et ils sont l’épine dorsale des autres qui ne figurent pas dans ce volume » écrit-il dans sa présentation. Ce « Quarto » ouvre donc des clés de compréhension de l’œuvre de cet écrivain étrange loin des modes. Il s’ouvre sur une sorte d’album de famille ou d’autobiographie qui fait écho à « Livret de famille » tout en épaississant le mystère plutôt que de dévoiler les ressorts cachés de cette recherche effrénée des traces du passé, d’un passé volontiers recomposé. La couleur sépia de ces photos en noir et blanc ajoute des ombres au flou des souvenirs qui eux-mêmes supposent une part d’oubli pour retracer des destins qui auraient pu être différents. Modiano fait revivre des personnages issus des mondes « réels » tout en les transposant dans un brouillard mémoriel. Les morts vivent sur le dos des vivants avait écrit Cercas, ici les disparus recommencent leur vie pour démontrer l’étendue du champ des possibles. Le fatum n’existe pas. Si la possibilité existait de recommencer sa vie, il faudrait la réaliser différemment pour faire d’autres expériences.

Pour dire que ces romans ne sont pas un travail de mémoire, mais une reconstruction, l’ouverture vers le hasard qui transforme des vies inscrites dans un contexte historique qui oblige à des choix contraints. Le flou qui habite cette œuvre est celui de nos histoires. Avec ce volume, Modiano nous invite à le relire, à le réévaluer et à suivre ses personnages pour entrer dans son univers.

Nicolas Béniès.

« Romans », Patrick Modiano, Quarto/Gallimard, 1087 p.

 

Pour découvrir ou redécouvrir Saul Bellow (1915 – 2005)

Un écrivain américain

Longtemps les universitaires WASP – pour White Anglo Saxon Protestant, les descendants des colons du May Flower, le haut du panier de la société américaine – ont dénié à Saul Bellow, fils d’émigrants juifs d’Europe de l’Est passés par Toronto pour s’établir à Chicago, le statut d’écrivain. Au-delà, ils déniaient à ces émigrants Juifs ou Italiens, sans parler des Noirs, le statut de citoyen à part entière. Ils étaient des Américains à trait d’union. Les seules manières de s’intégrer pour ces émigrants rejetés : la musique (le jazz), le sport ou les gangs. Le père de Saul Bellow fut bootlegger. Continuer la lecture