Voir le monde

Barbey d’Aurevilly, romancier.

Réactionnaire et romantique, dandy et royaliste.

Barbey d’Aurevilly (1808 – 1889) est de ces romanciers troubles dont la France a le secret. Royaliste, partisan de l’ordre, journaliste pro Napoléon III, il est en même temps sulfureux par ses outrances, par sa description des corps en fusion, par son langage cru, par sa radicalité littéraire. Dandy, il se réclamait de Lord Byron qu’on lisait dans le texte en ces temps du 19e siècle. Il est aussi un enfant de ce siècle secoué par les révolutions. 1830 et 1848 resteront inachevées instaurant le pouvoir de la bourgeoisie que ce nobliau normand exécrait, comme Balzac son contemporain. A l’instar de Dumas, dans « Le Chevalier Des Touches », il jouera avec le temps, reconstruisant un passé qu’il a décomposé, comme un espace-temps spécifique, son Cotentin natal qu’il rêvera à l’aide de ses souvenirs. Il parlera d’évocation pour défendre sa notion floue du temps. Continuer la lecture

Rencontres.

 

Rétropédalages vers le futur.

La photographie a longtemps été considérée comme un art mineur, plus récemment elle a été qualifiée « d’art moyen », une notion floue qui lui convient bien. Ce domaine artistique, comme, plus tard, le cinéma et le jazz, n’ont pas de définitions précises. Leur périmètre est évolutif, leur champ d’analyse en expansion. Ces « anti-art » au moment de leur naissance sont liés à l’évolution des technologies, des techniques qui les rendent dépendantes de l’industrie et du « retour sur investissement ». Walter Benjamin, étudiant l’ère de la reproductibilité en tirait la conséquence que l’art avait perdu son « aura ». La démonstration est facile à faire. La photographie d’un tableau cache le choc esthétique du tableau. La photographie, si elle ne se veut pas reproduction, peut révéler des trésors cachés du travail du peintre. Continuer la lecture

Culture se conjugue au pluriel

Comment aborder l’art africain ?

Titrer un « beau » livre, « L’art africain fait penser que Ezio Bassani, l’auteur, ne manque pas d’air. Un Européen, même spécialiste universitaire reconnu, n’a pas les outils théoriques esthétiques nécessaires pour appréhender ces cultures multiples du continent africain, aussi multiples que celles de l’Europe. Il s’agit de cultures étranges aux yeux d’un occidental pétri de traditions écrites, la transmission est ici fondamentalement orale. Pendant longtemps, ces « œuvres » ont été considérés comme des témoignages ethnologiques et enfermés, sans classement, dans des musées dits « ethnologiques ». Différencier ces sculptures, ces figures en l’occurrence, revient à considérer que l’art africain – il faut utiliser le pluriel – existe bel et bien, ouvrant la porte à une échelle des valeurs. Continuer la lecture

Anthropologie ?

Lectures du jazz.

Le jazz est une musique qui n’a pas de nom. Elle n’est pas la seule. La musique baroque est dans la même absence de case. Comment les définir ?

Le jazz donc, faute de mieux et par habitude. Les champs du jazz sont extensibles. Quelquefois au-delà du raisonnable. La bossa nova par exemple, inventée par Carlos Jobim et Vinicius de Moraes comme la samba de la fin des années cinquante est loin (et tout proche, Jobim a souvent reconnu sa dette vis-à-vis du jazz dit de la « West Coast »1) du jazz. C’est tellement vrai que Stan Getz, saxophoniste ténor surnommé « The Sound », joue jazz cependant que Jobim et Jao Gilberto se réfèrent au rythme – au beat – singulier de la Bossa. Une vidéo existe où l’on voit Gerry Mulligan, saxophoniste baryton, compositeur, initiateur du « pianoless quartet » (avec Chet Baker dans le milieu des années cinquante), s’essayer au phrasé de la bossa… sans succès. Pour indiquer que, même si le jazz ne se définit pas, des frontières peuvent se rendre visibles. Continuer la lecture

Réflexions sur le 21e siècle

Quel sera l’art du 21e siècle ?

En ces temps où règne une atmosphère de fin de l’histoire, cette question de la survie de l’art mérite d’être posée. Va-t-il disparaître corps et biens ? C’est la vulgate à la mode. Il faut dire que la scène artistique pourrait conduire à cette conclusion. Non pas que la production artistique ait reculé. Elle a plutôt augmenté, en quantité et en qualité. Les musiciens sont meilleurs, ils sont mieux formés, comme les peintres ou tout autre artiste. L’école elle-même peut quelque fois conduire à la répétition plutôt qu’à la création.(1)
Le terme même de « production » indique la difficulté. La culture est dominante. Et non plus les œuvres d’art. Celles qui déclenchent un rejet profond pour la plupart et qui, pour d’autres – toujours minoritaires – laisse entrevoir un autre monde, un autre univers, un futur se dessinant en pointillés. L’œuvre d’art installe une rupture. Un nouveau regard, une autre manière d’appréhender le monde, de l’écouter. Ce fut le cas, pour toute la génération du « baby boom », du free jazz – pour cette musique art-de-vivre – et de la « nouvelle vague », pour le cinéma. Ces œuvres d’art ouvraient la voie à la révolution qui allait suivre. Sans elles, cette génération n’aurait pas été la même. Les conditions sociales peuvent expliquer en partie leur naissance. Elles sont nécessaires mais non suffisantes.
Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, dans un livre du début des années 1970 – 1971 exactement -, « Free Jazz/Black Power », donnaient la primauté à l’idéologie dans leur histoire de l’émergence du jazz – du free jazz en particulier mais pas seulement, ils réécrivaient par cet intermédiaire toute l’histoire du jazz et du blues, suivant la voie ouverte par Leroy Jones dans « Blues People »2 – en lien direct avec les luttes de libération, pour les droits civiques d’abord pour la révolution sociale ensuite. Les « Blacks Panthers » exprimaient directement le fait que « La révolution viendra d’une chose noire ».3 Ils furent détruits à la fois physiquement par le FBI – qui s’en souvient ? – et idéologiquement par leur vision de la lutte et de la révolution. Ils n’ont pas tenu compte des changements de contexte… Cette vision, malgré les critiques – et elles furent nombreuses -, reste pleine de sens. A condition d’interpréter le terme d’idéologie comme un système de référence, une projection du présent dans le futur et d’un futur forcément différent. C’est la vision de la rupture. Passant par le refus de poursuivre les tendances du passé qui sont à la base de toutes les prévisions économiques. Ce futur a des conséquences politiques et sociales, mais aussi artistiques. Pour aller encore plus loin, pour faire du présent la somme dialectique de ses parties, le passé et le futur, il faut l’œuvre d’art. Et le monde bascule. Continuer la lecture

Interrogations sur le jazz et l’art du 21e siècle

Quel sera l’art du 21e siècle ?

En ces temps où règne une atmosphère de fin de l’histoire, cette question de la survie de l’art mérite d’être posée. Va-t-il disparaître corps et biens ? C’est la vulgate à la mode. Il faut dire que la scène artistique pourrait conduire à cette conclusion. Non pas que la production artistique ait reculé. Elle a plutôt augmenté, en quantité et en qualité. Les musiciens sont meilleurs, ils sont mieux formés, comme les peintres ou tout autre artiste. L’école elle-même peut quelque fois conduire à la répétition plutôt qu’à la création.1 Le terme même de « production » indique la difficulté. La culture est dominante. Et non plus les œuvres d’art. Celles qui déclenche un rejet profond pour la plupart et qui, pour d’autres – toujours minoritaires – laisse entrevoir un autre monde, un autre univers, un futur se dessinant en pointillés. L’œuvre d’art installe une rupture. Un nouveau regard, une autre manière d’appréhender le monde, de l’écouter. Ce fut le cas, pour toute la génération du « baby boom », du free jazz – pour cette musique art-de-vivre – et de la « nouvelle vague », pour le cinéma. Ces œuvres d’art ouvraient la voie à la révolution qui allait suivre. Sans elles, cette génération n’aurait pas été la même. Les conditions sociales peuvent expliquer en partie leur naissance. Elles sont nécessaires mais non suffisantes.
Philippe Carles et Jean-Louis Comolli, dans un livre du début des années 1970 – 1971 exactement -, Free Jazz/Black Power, donnaient la primauté à l’idéologie dans leur histoire de l’émergence du jazz – du free jazz en particulier mais pas seulement, ils réécrivaient par cet intermédiaire toute l’histoire du jazz et du blues, suivant la voie ouverte par Leroy Jones dans « Blues People »2 – en lien direct avec les luttes de libération, pour les droits civiques d’abord pour la révolution sociale ensuite. Les « Blacks Panthers » exprimaient directement le fait que « La révolution viendra d’une chose noire ».3 Ils furent détruits à la fois physiquement par le FBI – qui s’en souvient ? – et idéologiquement par leur vision de la lutte et de la révolution. Ils n’ont pas tenu compte des changements de contexte… Cette vision, malgré les critiques – et elles furent nombreuses -, reste pleine de sens. A condition d’interpréter le terme d’idéologie comme un système de référence, une projection du présent dans le futur et d’un futur forcément différent. C’est la vision de la rupture. Passant par le refus de poursuivre les tendances du passé qui sont à la base de toutes les prévisions économiques. Ce futur a des conséquences politiques et sociales, mais aussi artistiques. Pour aller encore plus loin, pour faire du présent la somme dialectique de ses parties, le passé et le futur, il faut l’œuvre d’art. Et le monde bascule. Continuer la lecture

A propos de la critique de jazz

La critique de jazz est elle encore possible ?

Sur le livre de Jalard : Le jazz est il encore possible ?

Nicolas BENIES

1

JALARD, contrairement à beau­coup de critiques actuels, analyse la musique de jazz en elle même (sa situation objective, ses liens avec la réalité des «conditions sociologiques et psychologiques dans lesquelles elle nait’) et pour elle même, pas dans ses contingences matérielles et visuelles. Ces descriptions sont utiles pour rendre compte d’un climat mais ne peuvent se substituer à l’analyse de la musique. La manière dont, par exemple, il rend compte du concert de Monk à Paris en expliquant pourquoi Monk est déçu est un petit chef d’œuvre qui fait apparaisse l’explication jalardienne comme coulant de source. De même, il faut lire sa description (théorisée) de l’impasse de la musique de Miles Davis à travers les albums Miles Smiles et Sorcerer, qui explique pourquoi Miles s’est orienté vers le « rock » sans rien perdre de sa sonorité magique. Continuer la lecture

Deux «dictionnaires » (publié dans la revue de l’Ecole Emancipée)

Une ou deux histoires de la culture…

Deux «dictionnaires » viennent illustrer notre histoire et nos histoires. Comme le rappelle Gilles Verlant dans Je me souviens du rock (Actes Sud collection Variétés) – sur le modèle de « Je me souviens » de Perec – le rock a quelque chose à voir avec notre vie. Et L’auteur réussit à parler à chacun d’entre nous. Et chacun d’entre nous, et là l’âge importe peu, pourrait se souvenir d’événements en relation avec cette musique, qu’André Francis dans un petit opuscule sur le Jazz (« Jazz » au Seuil) qualifiait de musique de voyous. C’est le moindre de ses mérites… Si « on » m’en laissait l’occasion, je me souviendrai de 1963, de ce concert gigantesque où j’avais découvert le sens du mot « masse », sans parler des « mouvements de masse », de la révolte de cette jeunesse et de son désir de changer le monde. Verlant n’hésite pas à dire qu’il n’a rien vérifié, montrant par là la différence entre mémoire – un travail, une recherche – et le souvenir qui suppose une part d’oubli comme le notait justement Blanchot. Continuer la lecture

Travail de mémoire

Pour une mémoire vivante...

Le travail de mémoire est difficile.i Il suppose la recherche historique, l’écoute des témoins, une éthique qui vise à rappeler le contexte pour faire partager l’expérience, à éviter les prises de position par trop catégorique, tout en situant son propos sur le terrain de la lutte des classes. Comprendre l’histoire du mouvement ouvrier est vital pour appréhender notre présent et construire des possibles pour le futur. Sans passé, nous sommes sans futur. C’est une des façons de répondre aux tentations millénaristes qui pense la fin du monde au lieu de penser la fin d’un monde… Ces sectes qui prolifèrent dont le carburant se trouve dans les peurs et les angoisses provoquées par la crise culturelle profonde qui marque cette fin de millénaire. Nous sommes entrés dans le 21e siècle depuis novembre 1989, date qui voit le monde basculer dans d’autres règles, une autre structuration. Le monde ancien est en train de mourir, un autre monde se profile avec comme seul horizon celui des lois de fonctionnement du mode de production capitaliste. Toute alternative a disparu. Les États-Unis restent la seule superpuissance qui s’essaie à imposer son ordre, en l’occurrence celui des marchés pour le plus grand bénéfice des firmes transnationales. La guerre du Golfe en 1991 avait indiqué les voies et les moyens de ce nouvel ordre, comme les bombardements sur la Serbie. Les dirigeants russes ont compris la leçon en pratiquant la même sorte de guerre contre la Tchétchénie, s’abritant derrière la lutte contre le terrorisme islamique, comme le gouvernement américain s’était lui réfugié derrière le « droit d’ingérence » pour justifier les bombardements, en défense des droits de l’homme.
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Exception culturelle ?

Quel contenu à l’exception culturelle ?

La conférence de Seattle a échoué. Le cycle de négociations, le «round », n’est pas terminé pour autant. L’ordre du jour n’est pas clairement défini, ce qui n’empêchera pas les représentants des 135 pays de poursuivre leurs discussions à Genève au siège de l’OMC. Cet échec est une victoire de toutes les organisations et associations qui ont manifesté leur opposition à cette libéralisation sauvage ne prenant en compte ni les besoins des êtres humains, ni la nécessité de définir un ordre mondial qui combatte la logique folle des marchés.
Démarchandiser1 est une nécessité pour promouvoir le développement de tous les pays et de tous les êtres humains. Pour lutter contre les inégalités et la pauvreté. C’est le rôle du politique, de l’Etat. Dans le domaine de la culture, c’est un impératif vital. Il n’est pas acceptable de voir disparaître des pans entiers du patrimoine culturel mondial sous prétexte de marchandisation et de compétitivité. Il n’est pas sain, pour définir notre futur, de voir s’évanouir certaines cultures dites minoritaires au profit d’une standardisation toujours plus poussée, résultat logique du règne de la marchandise qui se caractérise par sa reproductibilité à l’infini. Il est difficile, dans notre société, de sortir complètement de la logique du marché, il faut donc réfléchir à des moyens pour la contourner et faire fructifier toutes les facettes des cultures. Si des parties disparaissent, le tout – l’ensemble du patrimoine culturel mondial – se métamorphosera à son tour. Pour que naissent des chefs d’œuvre, un nouveau regard, une nouvelle façon d’appréhender le monde fondation d’une nouvelle culture,2 il faut donner les moyens à toutes les cultures d’exister pour qu’elles puissent se féconder mutuellement.
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