Des nouvelles du petit label

Facettes de Pierre Millet.

Pierre Millet, pour ceux et celles qui l’ignoraient encore, est trompettiste, cornettiste, bugliste mais aussi amateur de jouets auxquels il ne sait pas résister à partir du moment où ils sont créateurs de sons, tout en sachant se servir, à bon et à mauvais escient, de platines vinyle pour agrémenter ses compositions en jouant des références troubles et troublées.
ana_kap_450L’an dernier, à cette même époque – je ne l’ai pas chroniqué pour une raison indéterminée, le CD est resté enfermé sous d’autres – il sortait un album « Ana Kap », en trio. Un drôle de trio, un de ceux qui ne fait pas penser à un trio. Son cornet s’associait à un violon, Manuel Decocq et à un accordéon, Jean-Michel Trotoux pour une musique dont les racines se trouvent du côté de l’expressionnisme allemand de ces années 1920, de Hans Eisler plus que Kurt Weil. Une musique qui permet de se retrouver dans un de ces cafés à Vienne pour croiser Freud ou Stefan Zweig écrivant « Le chef d’orchestre en l’honneur de Gustav Mahler – son ombre flotte aussi sur cette musique – ou d’autres, fantômes d’une culture en train de sombrer. Continuer la lecture

Nouveautés Jazz

Un retour aux sources ?

saxman« Saxman » est, comme son nom l’indique, un saxophoniste ténor venu de la Côte Ouest, entre San Francisco et Los Angeles. En France, il a réalisé un album associé à un trio français, Guillaume Souriau, contrebasse, Émile Biayenda, batterie, Didier Fréboeuf, piano, un trio qui fonctionne remarquablement bien. Il a même tendance à vivre comme une entité face à l’autre entité, le saxophoniste ténor. Pas toujours sur la même longueur d’ondes, pas le même imaginaire je suppose.
Saxman a voulu rendre hommage aux musiques de ces films considérés comme de série B (à l’époque de leur sortie dans ces lointaines années 40 pour les États-Unis), ces films « noirs » comme on dit en français, ces films réhabilités par la nouvelle critique de cinéma française.Dans cette perspective, le roman vrai de la vie de Dexter Gordon semble servir de toile de fond. Le phrasé de Dex – le petit nom de Gordon et son inévitable « Aimez-vous le basket ball ? » – influence fortement le Saxman en question.
Sur scène, la musique se trouve illustrée par des extraits de ces films que mes musiciens évoquent. Les compositions sont mises en situation. Le disque, l’enregistrement en studio souffre de cette absence de supports. Continuer la lecture

Jazz et chansons

Autour du monde.

Patrice Caratini short songsPatrice Caratini, contrebassiste, chef d’orchestre, compositeur a décidé de rompre son quotidien pour s’orienter vers la chanson, de celle qui borde nos mémoires mais aussi transporte dans d’autres pays d’un globe qui n’est plus ce qu’il était.
La vocaliste qui prête sa voix à ce voyage, Hildegarde – un prénom emprunté à une chanson de Boris Vian, « Je suis snob » en l’occurrence – Wanzlawe sait prendre tous les accents pour nous transporter ailleurs. Une manière de promouvoir la fraternité entre les populations. La chanson est un excellent vecteur. Chanter ensemble est le début d’une compréhension mutuelle. Continuer la lecture

Une anthologie nécessaire. Pour Barney.

A Barney Wilen, souvenirs et mémoire.

Barney WilenUn coffret de trois CD pour raviver une flamme à mon sens par trop éteinte, ce n’est pas trop. C’est même, si j’en crois l’intitulé « Premier chapitre 1954 – 1961 », le début d’une série. Un travail de mémoire mené par Alain Tercinet, nécessaire, vital. Pour plusieurs raisons.
D’abord pour le personnage central de cette saga, Barney Wilen. Né à Nice d’un père américain et d’une mère française, il naviguera dans ce premier temps, entre les deux continents. Il deviendra ainsi un ambassadeur bon teint entre le « Jazz sur Seine » – titre du troisième album sous son nom, en 1958 avec Milt Jackson au piano, pour Phillips – et le jazz sur Hudson pour construire un son original qui tient beaucoup, comme tout le monde à cette époque, au phrasé de Lester Young dont il est, peut-être, le continuateur le plus évident. Le mimétisme que l’on sent poindre de ses débuts se transforme en une digestion qui permet à Barney de devenir lui-même. Il sera ensuite influencé par le découpage du temps et le phrasé rugueux de Sonny Rollins pour se pâmer ensuite dans ceux de Coltrane. Comme tout le monde mais lui ne se perdra jamais de vue. Ce n’était pourtant pas facile. Art Pepper qui avouait s’être perdu dans Coltrane, incapable jouer comme il devait jouer, avec sa sonorité. Il avait même demandé à un critique s’il le reconnaissait, s’il avait conservé quelque chose de sa sonorité d’hier. L’arrivé d’un nouveau génie est toujours difficile à surmonter.D’autres, comme le saxophoniste ténor « Tina » – ainsi surnommé à cause de sa petite taille – Brooks disparaîtront du train des souvenirs. Continuer la lecture

Combattre la déflation ?


Le double jeu de Mario Draghi

La Banque Centrale Européenne (BCE) née en juin 1998 dans le cadre de la mise en œuvre de l’Union Économique et Monétaire prévue par le Traité de Maastricht, est la seule institution véritablement supra nationale, indépendante de tout pouvoir politique, de l’Union Européenne. Elle est chargée de la politique monétaire de la « zone euro » et décide, sans concertation, à la fois de la création monétaire et des taux d’intérêt de refinancement des banques – taux directeur et taux d’escompte. Elle n’est contrôlée par aucune institution politique. Continuer la lecture

Une fusion étrange, venue d’ailleurs. Le jazz et la France

Jazz et culture française. Entre Histoire et mémoire

Laurent Cugny – musicien, pianiste et arrangeur – s’est lancé dans une entreprise un peu folle, bien dans l’esprit de cette musique étrange, au nom non défini, le jazz, écrire « Une histoire du jazz en France ». En trois tomes pour trois moments constitutifs de cet anti-art mais aussi de la construction de la culture française.
Le premier tome nous emporte du milieu du 19e siècle à 1929 pour indiquer les prolégomènes qui expliquent la popularité de cette musique et son ancrage dans la société française.
Longtemps, la société américaine, colonie de peuplement au départ, a copié la vieille Europe exportant ses opéras, opérettes et autres spectacles. Dans le milieu du 19e, la situation change subtilement. Les spectacles appelés « Minstrels », des comédiens blancs grimés en noir, arrivent en Europe, en France en particulier. Avec eux, arrivent les danses comme le Cake Walk – ainsi appelé parce que le couple vainqueur de la compétition remportait un gâteau – qui sera joué, notamment, par la Garde Républicaine. Le coule de danseurs Irène et Vernon Castle commenceront à diffuser ces nouvelles danses, comme le « one step ». Ils joueront un grand rôle dans les habitudes d’écoute. Laurent Cugny a raison d’y insister. Continuer la lecture

Le coin du polar

.

James Lee Burke au Texas

Burke, dieux de la pluieUn tueur au Texas ne pouvait s’appeler que « Prêcheur » pour représenter notre monde pétri de contradictions, tourmenté entre barbarie et réparations, le tout couronné, surtout aux Etats-Unis, par une référence continuelle à la Bible, au « Good Book » comme on dit dans ce pays étrange qui, comme le jazz, n’a pas de nom. James Lee Burke, écrivain du Sud dans la lignée de Faulkner, sait dessiner ce type de personnage inoubliable. Il vole la vedette aux « Bons », eux aussi ballottés entre cauchemars des guerres passées et la guerre d’aujourd’hui. Des rencontres étranges entre des survivants de la guerre de Corée et celle d’Afghanistan, traumatisés par ces expériences qui sabotent leur raison de vivre et d’aimer. « Dieux de la pluie » est un roman dur et âpre sur ce monde qui part de tous les côtés. Un grand roman comme souvent avec cet auteur, sans doute le plus important de sa génération.
NB
« Dieux de la pluie », James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Thriller.

Tête de chien, une insulte ?

Travail ludique de mémoire.

« Les Têtes de Chien », comme son nom ne l’indique pas, est un groupe de chanteurs « a capella » qui veulent faire vivre la tradition, redonne un souffle de vie à des traditions oubliées pour les bousculer et leur faire dire quelque chose de notre présent. Il propose une création étrange et pleine de promesses, « Entre ciel et terre, chants populaires du légendaire chrétien » et intitulée « La Marelle ». Une manière de jouer avec ces chansons venues du fond des âges qui racontent la vie de tous les jours d’ancêtres qui auraient pu être les nôtres. Ils proposent de les détourner pour leur donner une nouvelle actualité. Ils commencent par Paris, à partir du 10 avril et ils seront en tournée avec le spectacle « La grande ville ».
NB
Infos sur www.reverbnation.com/têtesdechien

Deux festivals de jazz

JAZZ
Le printemps est là !

« Banlieues bleues » à peine terminé en ce début du mois d’avril – un festival qui a tenu quelques-unes de ses promesses – que s’ouvre « europa djazz », ex festival du Mans. Depuis quelques temps déjà, il prend ses aises sur presque toute l’année en multipliant les initiatives surtout en direction des collégiens et des lycéens et en organisant concerts, conférences. Se prépare aussi « Jazz sous les Pommiers » à Coutances, qui suit une voie semblable. Ces deux festivals de nos printemps – le premier fête sa 36e année, l’autre sa 34e – se sont imposés comme des lieux incontournables pour les musicien(ne)s d’aujourd’hui. Ils réussissent un tour de force : présenter à la fois des figures connues, quelque fois des légendes comme Pharoah Sanders qui se produira à Coutances le vendredi 15 mai, ou des inconnu(e)s qu’il faut découvrir.
Les organisateurs, toujours sur le fil du rasoir de la baisse des subventions publiques malgré leur notoriété, sont obligés à la réussite. Il faut attirer du public pour justifier des crédits publics. Curieuse société que la nôtre qui oblige au succès ! Malgré cette épée de Damoclès, ils continuent de programmer des artistes jeunes qui ont besoin de ce coup de pouce. Les résidences servent aussi à permettre à un(e) musicien(ne) de créer une performance. Ce sera le cas à Coutances. Airelle Besson, trompettiste, présentera son travail de l’année. Le jazz fait ainsi la preuve de sa vitalité. De jeunes musicien(ne)s se tournent vers cette musique sans que, paradoxalement, le public ne rajeunisse…
« Europa djazz » a invité Vincent Peirani et Emile Parisien pour un « régional tour » (jusqu’au 10 avril) pour mettre en bouche avant les « Rendez-vous du printemps », une sorte de sacre, avec des Nuits – de la salsa, du jazz manouche, des fanfares – et un final, du 6 au 9 mai dans la belle Abbaye de l’Epau – fondée en 1229 par la Reine Bérangère de Navarre – qui verra Matthieu Donarier et Sébastien Boisseau pour un duo saxophone/contrebasse, la saxophoniste Alexandra Grimal, Louis Sclavis, Dominique Pifarély – un violoniste sensuel et actuel -, Airelle Besson, Paolo Fresu et beaucoup d’autres…
Coutances, localité de la Manche avec sa cathédrale en guise de promontoire, chevauchera les dates du Mans en commençant, cette année, le vendredi 8 mai avec le film « Whiplash » à propos duquel le batteur Mourad Benhamou donnera un aperçu de son talent, pour aller jusqu’au samedi 16 mai. Comme à l’habitude, le festival s’adapte au jeudi de l’Ascension. Le dimanche est réservé aux fanfares – ils ont prévu le soleil – et le mardi au blues. Larry Garner sera l’invité de cette soirée. On ne l’a pas vu sur les scènes françaises depuis longtemps et il ne faudra pas le rater… Kenny Garrett, Jacky Terrasson, Joe Lovano, Guillaume Perret – un saxophoniste qui s’affirme –, Henri Texier, un habitué, Paolo Fresu comme beaucoup d’autres… seront de ce feu d’artifice des jazz. Je donnerai, comme tous les ans, une conférence sur le 70e anniversaire de la fin de la guerre en faisant écouter la révolution de ce temps, le bebop.
Ces rendez-vous sont des moments de découvertes, de musiques, de musicien(ne)s. Il ne faut pas rater les concerts de midi, sous chapiteau, qui font, souvent, les madeleines de demain.
N.B.
Rens. Europa djazz, 02 43 23 78 99, www.europajazz.fr,
Jazz sous les Pommiers, 02 33 76 78 50, jsp@jazzsouslespommiers.com

Télémaque

Une poésie sans mots.

Télémaque catalogueTélémaque, peintre français né à Haïti en 1937, fait l’objet d’une exposition au Centre Pompidou et d’un livre proposant une monographie de ses œuvres couvrant les années 1958 à 2014. 250 reproductions pour faire connaissance avec cet artiste jouant avec ses souvenirs, objets du quotidien qui servent de points de repères, pour les noyer dans la mémoire de notre temps. Il aime la concurrence avec la poésie, déniant aux mots leur capacité de prendre la place de la peinture. Les explications des auteurs permettent d’interroger les œuvres pour pénétrer dans un univers étrange qui oblige à voir autrement.
NB
« Télémaque », Gérard Durozoi, David M Lemaire, Alexia Guggémos, Henri Griffon, Flammarion, exposition jusqu’au 30 avril.