JAZZ : festival, festival…

Concert chez soi

Les festivals de jazz comme tous les autres sont annulés. Survivront, peut-être, les petits. Une sorte de revanche contre les mastodontes qui devront, forcément perdre du poids. Une nouvelle configuration devrait se mettre en place, comme dans les autres domaines de la vie collective. L’intervention de l’État et des collectivités territoriales sera nécessaire, vital pour que la culture puisse avoir les moyens de rester un service public et permettre la création sans référence au marché.
Pour l’heur entre confinement et déconfinement, le concert de Ray Charles au Palais des Sports, à Paris, les 21 et 22 octobre 1961 est un grand moment. Le coffret de trois CD, « Ray Charles The Complete 1961 Paris Recordings » permet de le revivre. Le « genius » est à l’orgue, une rareté dans sa production qui permet des liens avec le gospel et la soul music. A écouter fort avec ses voisins.
« Ray Charles, The Complete 1961 Paris Recordings », livret de Joël Dufour, Frémeaux et associés

Travail de mémoire
Alain Goraguer ? Ce nom ne vous dit peut-être rien mais si vous avez écouté Boris Vian, en cette année de son centenaire, vous avez entendu soit les compositions soit les arrangements de ce pianiste/chef d’orchestre. Ferrat, Gainsbourg ont fait appel à lui. Un disque sous son nom commandité par Boris qui fera les notes de pochette, « Go, Go, Goraguer » montrera l’étendue de son talent. « Le monde instrumental d’Alain Goraguer, jazz et musique de films 1956-1962 » permet de le retrouver. Ne ratez pas ce rendez-vous.
Coffret de trois CD, Frémeaux et associés, livret de Olivier Julien

JAZZ, sur la piste de l’Oiseau

Pour les 100 ans d’un oiseau de feu, de sang pour illuminer le monde
Charlie Parker ? Il en est qui ne connaissent pas. Ne savent pas que cet oiseau bizarre, « Bird », est capable de tutoyer les cimes, les cieux et même le soleil. Il sait s’envoler vers des contrées inexplorées, vers une jungle qu’il est seul à reconnaître comme si ces paysages s’offraient à lui pour lui éviter toute répétition. « Je l’ai déjà joué demain » lui faisait Julio Cortazar dans « L’homme à l’affût » pour illustrer la volonté de Charlie Parker de ne jamais se copier, même dans le futur. Cortazar avait bien cerné le génie et l’impossibilité de se faire comprendre par d’autres sinon de se laisser transporter dans ces contrées étranges que personne n’avait visitées avant lui. Et ne les visiteras après lui. Elles restent inaccessibles. Le Bird aurait 100 ans cette année. Un âge canonique qui ne l’empêche pas d’être un fantôme actif et vivant.
Découvrir Parker, au-delà du film de Eastwood, est un grand moment. S’il fallait une figure au génie, il faudrait le choisir. Coule du saxophone alto des vies, des rêves, un temps spécifique accéléré, diffracté dans un espace toujours redéfini. Un univers en constante permutation, ouverture. Parker est le créateur du nouveau langage du jazz, après la deuxième guerre mondiale, le be-bop. Continuer la lecture

Jazz, le passé dans le présent.

Petit voyage dans les temps du jazz via les nouveautés

La musique sur le Net est en perte de vitesse. Le streaming ne fait plus recette. Le retour du Vinyle est un indice. La musique compressée est-elle encore de la musique ?
Les parutions de CD restent multiples. Certains prétendent qu’elles sont trop nombreuses. Il faut, pourtant, répondre à tous les goûts. A travers ses âges, le jazz s’est démultiplié. Sous ce vocable se dissimulent plusieurs époques, plusieurs styles, plusieurs références. Faut-il, pour autant, le mettre au pluriel ? Je ne le crois pas. Il reste une musique issue de la déportation des Africains sur le sol américain, du brassage en résultant de la fusion entre les cultures africaines, européennes et amérindiennes. Le tout procédant d’un processus d’acculturation. Depuis, les affluents se sont multipliés pour dessiner un paysage plus coloré, plus touffus dans un environnement idéologique – le dit libéralisme ou le post modernisme – qui fait s’évanouir le collectif. L’impression du pluriel vient de l’éclatement des formes du jazz, comme dans toutes les disciplines artistiques. La décomposition n’est pas visible seulement sur le terrain politique, elle est aussi à l’œuvre culturellement. Le jazz est, de ce point, de vue, un bon révélateur.

Il n’empêche que tout n’est pas à jeter. Le processus de décomposition se traduit par des enregistrements qui valent le détour. Le 21e siècle n’est pas vide mais la révolution esthétique se fait attendre. Continuer la lecture

Stan Getz, le retour

Paris pour le jazz.

Janvier 1959, la Ve République fait ses premiers pas, la guerre d’Algérie se poursuit et Paris se donne des airs de capitale du jazz. Stan Getz in Town, « The Sound » en personne est à Paris. Les concerts sont, comme d’habitude, organisés par Franck Ténot et Daniel Filipacchi sous l’égide de leur émission pour Europe N°1 « Pour ceux qui aiment le jazz » et à l’Olympia comme il se doit.
Pour ne rien gâcher, Stan – appelez-le Stanislas et pas Stanley – fait appel au plus parisien des batteurs américains, Kenny Clarke, au guitariste Jimmy Gourley, un autre expatrié, à Martial Solal et Pierre Michelot, respectivement au piano et à la contrebasse. Des musiciens qui partagent, à l’époque, une même esthétique et une même admiration pour le saxophoniste. Le batteur et le contrebassiste ne se quittent guère en cette in des années 1950, ils font partie du trio du Bud Powell.
Bientôt Stan Getz voguera vers les cieux du Brésil et de la Bossa Nova. Pour l’heure, comme il est logique pour une telle rencontre, les standards sont le matériau adapté. Getz sait les caresser à rebrousse poil pour faire surgir l’inattendu de ces lambeaux de culture.
Stan, lorsque la maladie lui laisse quelque vacance, peut se révéler un hôte agréable qui sait reconnaître le talent comme il le fait, ici, avec Martial Solal. Le saxophoniste ténor est, pour ce concert, en forme. Il se permet même de citer indirectement Lester Young – lui aussi à Paris dans ce début 1959 – en se surnommant « Miss Stan Getz », en référence à la manie du « Président » – surnom de Lester – d’appeler tout le monde « Lady ».
Trois plages, toujours des standards et avec les mêmes, seront enregistrés dans les studios de Europe N°1 pour parfaire le retour de Stan Getz avec cet album, un Stan Getz qui ne sait pas se faire oublier.
Nicolas Béniès.
« Stan Getz 1959 », Live in Paris, Frémeaux et associés.

Memphis Slim

Du blues qui tâche.

Memphis Slim ? Le nom de ce bluesman sonne tellement parisien que tout-e amateur-e de piano, de blues, de boogie woogie français semble tout connaître et avoir tout entendu de ses enregistrements et performances. Le concert proposé dans la collection « Live in Paris » vient apporter un démenti et propose une nouvelle pierre – presque une pierre participant de la fondation du mythe Memphis Slim – à la connaissance du périple du chanteur/pianiste. Continuer la lecture

Jazz. Quand un lion rencontre un tigre…

Willie Smith et Jo Jones, un duo pour définir le jazz.

Deux sessions – remastérisées et complétées par des inédits – sont l’objet de ce coffret de deux CD pour une rencontre entre deux mémorialistes du jazz et de Harlem. Le pianiste Willie « The Lion » Smith et le batteur, grand-père de la batterie, Jo – pour Jonathan – Jones. Le premier a marqué de son sceau Harlem et le piano « stride » des années 1920-30, le second a participé au « son » spécifique de l’orchestre de Count Basie via la structuration de la section rythmique marquant les 4 temps à égalité. La naissance d’une nouvelle dimension du swing.
« The Lion », le surnom de Willie Smith, proviendrait de sa participation à la Première Guerre Mondiale, résultat de sa bravoure au front. C’est une possibilité. La troupe d’Africains-Américains conduite par le lieutenant James Europe a été plusieurs fois citée et décorée par le haut commandement français sans être jamais reconnue par les Américains. « Tiger », le surnom de Jo Jones, provient de son premier métier « tap dancer », « sandman », danseur de claquettes lorsqu’il avait l’âge d’aller à l’école.
Les deux larrons se retrouvent d’abord le 16 février 1972 pour évoquer les thèmes qui ont frappé leur histoire personnelle. Aucune nostalgie de leur part, aucun « c’était mieux avant » plutôt une conjugaison au présent de leur art, de leur talent, de leur génie. Continuer la lecture

Compléments au souffle de la révolte, quelques références…

Pour faire attendre cette parution, un article que j’avais publié le 9 novembre 1998, ça ne rajeunit pas…

Pour une mémoire vivante…

Frémeaux et associés est un label indépendant qui fait volontiers dans la conservation du patrimoine. Il vient de publier un curieux coffret de 4 CD, Anthologie sonore du socialisme, 1789-1939, avec des documents inédits. Il débute par l’Internationale chantée par Marc Ogeret enregistrée en 1968. Une une version intégrale, au moins tous les couplets connus, écho de mai 68 qui se souvenait des révolutions précédentes. Le coffret se termine par la Marche socialiste de 1932, joué par l’orchestre Parlophone. Les voix de Léon Blum, de Paul Faure, d’Oscar Louis Frossard, de Vincent Auriol, les chants de la Commune en différentes périodes, des chansons du mouvement ouvrier, de la Révolution française, les chansons de Montéhus… Tout un pan de notre histoire, de notre mémoire, celle que nous voulons conserver. Du passé il faut savoir ne pas faire table rase. Un livret de 200 pages, illustré de photos, commençant par une chronologie de l’histoire de ce mouvement ouvrier français remontant à la Révolution française, dû à Jean-Yves Patte qui a utilisé abondamment le fonds de L’Ours, Office Universitaire de Recherche sur le Socialisme. Fallait-il publier ces voix ? Les retrouver c’est comme renouer avec nos fantômes, retrouver des proches, des amis-ennemis, des échecs, des joies mais aussi toutes les peines, celle de nos pères, de nos mères toutes nationalités confondues. La France voudrait oublier qu’elle a été terre d’asile, terre d’accueil, qu’elle s’est faite par l’agglomération de tous ces immigrés pour construire une nation, une formation sociale en même temps qu’un mouvement ouvrier. Les entendre, c’est leur laisser, une nouvelle fois, la chance de nous atteindre, la chance de nous retrouver. Continuer la lecture

La saga du siècle, du jazz et de Louis Armstrong, volume 15


Les incidences d’une grève.

Pour mémoire : Louis Armstrong est né le 4 août 1901, quasiment avec le siècle. Il incarne le jazz dont il fut le génie tutélaire. Daniel Nevers s’est lancé dans cette grande aventure de l’intégrale qui ne peut être exhaustive. Il n’est pas vraiment possible, ni intéressant de reprendre tous les enregistrements publics des groupes, Big Bands conduits par le trompettiste, génie incandescent puis grande vedette du show biz. La carrière de Sidney Bechet, soit dit en passant, suivra la même trajectoire. Tel que, les 15 volumes parus à ce jour permettent à la fois de suivre les évolutions de sa musique, de revenir sur la chronologie du 20e siècle et d’apercevoir les changements sociaux et sociétaux des États-Unis. Louis Armstrong a façonné les références culturelles de la première moitié du siècle dernier et laissé sa marque sur toutes les musiques dites de variété.
L’après seconde guerre mondiale le verra accéder au rang de star, traînant sa gouaille et sa voix, un peu moins la trompette – mais ce n’est pas le cas en cette année 1948 – sur toutes les scènes du monde, utilisé par le Département d’État américain comme ambassadeur. Au début des années 1960, Dizzy Gillespie sera lui aussi un « ambassadeur » de la diplomatie américaine. Une manière de se payer, de nouveau, un grand orchestre.
L’année 1948 avait commencé, avec le volume 14. Satchmo, comme tout le monde l’appelle et comme il se présente « Louis, Satchmo Armstrong » en oubliant Daniel son deuxième prénom – s’était tourné vers les petites formations. L’ère des Big Band tiraient à sa fin. Il fallait trouver un autre format. Le volume 14 montrait les premiers pas de la formule présentée notamment au festival international de jazz de Nice sous l’égide de Hughes Panassié. En juin 1948, pour des émissions de radio à Chicago et à Philadelphie, le « All-Stars » – le nom est adopté après des hésitations comme le raconte Daniel Nevers dans le livret – se met en place. Continuer la lecture

Un intitulé étrange, « Jazz From Carnegie Hall »

Un concert exceptionnel

Le Carnegie Hall, sis à New York City, est des hauts lieux des concerts d’abord classiques, symphoniques même si des vedettes de la chanson française comme Charles Aznavour s’y sont produites. Il avait ouvert ses portes, entrouvert serait plus juste au jazz dés 1932 pour accueillir Benny Goodman et son orchestre en 1937 et les concerts organisés par John Hammond en décembre 1938 et 1939, « From Spiritual To Swing ». Une histoire qui aurait pu être d’amour mais il n’en fut rien, du moins en cette fin des années cinquante.

Kenny Clarke au premier plan

Pourquoi, en tenant compte de cette mémoire, appeler une série de concerts et de tournées qui prenaient exemple sur les « Jazz At The Philharmonic » – JATP pour les intimes – « Jazz From Carnegie Hall » ? Une idée du britannique Harold Davison confondant volontairement tous les philharmoniques pour bénéficier de la renommée du lieu. Le titre n’a sans doute pas plus d’importance qu’anecdotique mais il est révélateur des méconnaissances de l’époque de la vie aux Etats-Unis. Il faudrait faire une étude des relations du jazz et des salles de concert exception faite de ces JATP voulus par Norman Granz pour faire reconnaître le jazz, les musicien-ne-s et casser les codes des frontières entres les branches de la musique et lutter contre le racisme. Continuer la lecture

JAZZ, De Bechet à Jaspar

Mémoires.

La mémoire du jazz se conjugue souvent au pluriel. Quelque fois même elles se télescopent pour faire surgir un futur qui le fait paraître totalement différentes. C’est une des raisons pour lesquelles les rééditions sont nécessaires. Pas n’importe lesquelles. Celles qui font l’objet d’un travail de mémoire, de poètes pour expliquer, mettre en scène le passé et en faire un lieu de possibles.
Jouer avec la mémoire, les mémoires, c’est le propre du jazz qui n’oublie rien. L’oubli est un gouffre. Là git sans doute la difficulté du jazz, l’inclure dans le murmure du temps.
La collection Quintessence dirigée par Alain Gerber nous propose deux plongées dans cette mémoire, Sidney Bechet d’abord, Bobby Jaspar ensuite, pour faire des rapprochements étranges et porteurs d’avenirs. Continuer la lecture