Barclay et la révolution technologique de l’après seconde guerre mondiale.
Paris et la France découvrent, en même temps quasiment que les États-Unis par l’effet d’une grève des enregistrements de 1942 à 1944 – le « Petrillo ban » – la nouvelle révolution du jazz, le be-bop. Charles Delaunay qui reçoit au siège de Jazz Hot les premiers enregistrements de Dizzy Gillespie et de Charlie Parker sur le label « Guild » sait que le jazz d’aujourd’hui (1945) est là. La controverse sur le be-bop sera une des origines de la scission du Hot Club de France.
Il fallait trouver les moyens de diffuser cette révolution. Delaunay le fera via son label, « Swing » – puis Vogue pour éviter les procès avec Hugues Panassié – mais il ne sera pas le seul.
Un pianiste de bar, Édouard Ruault bouleversé par le jazz, se lance dans la reprise d’enregistrements venant des États-Unis, sous le label « Blue Star ». Pas toujours de grande qualité , ces disques mettent à la disposition du public français les parutions américaines. A l’époque, les relations commerciales entre la France et les États-Unis sont encore marquées pat la guerre et, pour l’industrie phonographique par la grève. Comme disait Boris Vian pour signifier la qualité médiocre des reproductions et l’absence de concurrence « Mieux vaut Blue Star que jamais ».
Comme souvent en cette période – le film de Jacques Becker, « Rendez-vous de juillet », le montre bien – le Édouard livre les disquaire à vélo. Ce sera le début d’une aventure qui durera jusqu’à sa mort. Des débuts de la fortune à la ruine. Un itinéraire d’un enfant du siècle, du jazz au yéyé en passant par la grande chanson française. Édouard sera plus connu sous le nom d’Eddie Barclay.
J’en entends qui se récrie. Eddie Barclay, l’homme à femmes, en costume blanc, un verre de whisky à la main, un gros cigare à la bouche, rigolard, conviant toute la jet set à Saint-Trop ferait partie de notre patrimoine ? Que Nenni ! Pourtant…
Eddie Barclay, curieusement, se classe dans cette catégorie même si il refusait de parler de ses débuts qu’il voulait oublier . Il fut « Arrangeur, Interprète & Producteur », comme l’indique justement le titre de ce coffret de 3 CD. Le livret de Jean-Baptiste Mersiol retrace cette carrière ignorée. Avec sa première compagne, Nicole, Il découvre, en 1948 aux États-Unis, la révolution technologique, le 33 tours qui remplacera le 78 tours. Ils l’imposent en France et construisent un studio à la pointe du progrès. Après Blue Star, ce sera Riviera puis Barclay.
Beaucoup avait oublié qu’il avait dirigé un grand orchestre, accueilli Quincy Jones, alors débutant et enregistré avec lui un album intitulé « Et voilà » où tous deux figurent sur la pochette. Quincy, en 1958, était venu étudier avec Nadia Boulanger.
Le troisième CD de ce coffret est consacré aux labels qu’il a créés et à ses vedettes. Logiquement, le premier thème, « Blues for Barclay », est dévolu à Django Reinhardt qui enregistra pour Blue Star et se termine par Lény Escudero, « Pour une amourette » en passant par Eddie Constantine, Dalida, Orlando, Les chaussettes noire, Henri Salvador…
Les deux premiers CD donnent un échantillon des enregistrements réalisés par « Eddie Barclay et son orchestre » de 1954 à 1961.
Une visite nécessaire.
Nicolas Béniès
« Eddie Barclay 1946-1962 », coffret de 3 CD, Frémeaux et associés.