Histoire de génération(s)
Michel Legrand fait partie de notre paysage musical, à la fois auteur de musiques de films, pianiste de jazz, chanteur, arrangeur, chef d’orchestre, accompagnateur, auteur de succès inaltérables qui restent dans les mémoires de toutes les générations, autant françaises qu’américaines. Il nous a quittés le 26 janvier 2019. Il n’a, sans doute, pas voulu voir la pandémie et la Covid19. Comme on le comprend !
Lui consacrer un coffret de 10 CD, une sorte de tome 1 couvrant les années 1953 – il a 21 ans – à 1962, permet de (se) rendre compte de sa palette mais aussi des changements effectués à la fois dans la musique et dans la société. « Le monde musical de Michel Legrand » est le titre générique de ce travail de mémoire qui reprend, presque chronologiquement, les enregistrements qu’il a signés dans ces années.
En 1953, au début du labyrinthe – le hasard joue aussi un grand rôle dans ses réalisations -, Jacques Canetti lui fait découvrir la musique en vogue aux États-Unis qui ravit les teens, le rock and roll, le rockabilly. En compagnie de deux autres compères – il faudra aller les entendre dans les coffrets signés par Henri Salvador – Boris Vian, pour les paroles et Henri Salvador sous le nom de Harry Cording pour le chant. Ces trois là n’aiment pas cette musique qu’ils considèrent comme une perversion du jazz et du blues. De ce rock, ils en feront une parodie ironique et drôle… qui fera un succès à leur grand désarroi.
Il est moins connu que Michel Legrand avait orchestré des thèmes de rock pour les 45 tours ou 33 tours 25 cm pour faire danser. Ces albums n’ont pas été réédités. Les entendre permet de remonter le temps. Pas de quoi se relever la nuit mais un petit air de ces années cinquante qui commentent, à sa manière, l’arrivée des temps nouveaux. Il enregistre sous le nom de Big Mike. L’album « I love Paris » sera un grand succès alors qu’il ne touche aucunes royalties. Pour le récompenser, Philips lui permet d’enregistrer à New York avec les musiciens de jazz de son choix. Et son choix est grandiose, Miles Davis, John Coltrane, Bill Evans, Herbie Mann, Ben Webster… C’est le début d’une amitié avec Miles, qui connaissait aussi Boris Vian. « Legrand Jazz » repris dans ce coffret reste un grand – oui je sais – album à écouter jusqu’à plus soif.
Sur cette lancée, Hollywood fera appel à lui. La musique de « L’affaire Thomas Crown » joue un rôle essentiel dans l’intrigue de ce film, ses collaborations avec Jacques Demy, « Les parapluies de Cherbourg » et « Les demoiselles de Rochefort » sont de tellement grands succès qu’il n’est pas possible de les ignorer, sans parler de « Peau d’Âne ». Les collages de toutes les musiques, la musique classique et le jazz en particulier, lui avaient permis de trouver un son et un agencement particuliers. Sa sensibilité, sa collaboration avec les cinéastes lui ont permis aussi de dessiner une musique du temps du cinéma qui lui aussi commence à changer. Il participera à La Nouvelle Vague, Godard notamment qui ne laisse jamais une occasion, à cette époque, de collaborations pour faire encore et encore du cinéma et offrir un œil neuf au public. Un regard qui suppose une musique neuve, elle aussi. Godard comme Legrand mélange toutes ses influences, ses références pour les transcender et, ainsi diriger, regards et sons entremêlés, le monde vers d’autres horizons, vers une révolution dans laquelle le jazz occupe la place centrale.
Se retrouvent dans ce coffret les musiques de ces années 1960, de ces années de révolution.
Il ne faut pas oublier et le coffret supervisé par Olivier Julien responsable du livret ne l’oublie pas, le pianiste de jazz. En 1959, l’album en trio – Guy Pedersen à la contrebasse et Gus Wallez à la batterie -, « Paris Jazz Trio » (réédité dans la collection du regretté Alain Tercinet, Jazz In Paris) venait le démontrer. Il est aussi inclus dans ce coffret.
1962, Michel Legrand à 30 ans. Son travail est déjà immense. Il lui faudra se réinventer. On attend avec impatience la suite de ses aventures. Ce coffret permet de s’élancer vers un passé plein d’avenir. Les années 1950-60 ont encore des trésors inexplorés. Entrez ! Michel Legrand vous attend.
Nicolas Béniès
« Le monde instrumental de Michel Legrand », coffret de 10 CD sous la responsabilité d’Olivier Julien, Frémeaux et associés