Une anthologie nécessaire. Pour Barney.

A Barney Wilen, souvenirs et mémoire.

Barney WilenUn coffret de trois CD pour raviver une flamme à mon sens par trop éteinte, ce n’est pas trop. C’est même, si j’en crois l’intitulé « Premier chapitre 1954 – 1961 », le début d’une série. Un travail de mémoire mené par Alain Tercinet, nécessaire, vital. Pour plusieurs raisons.
D’abord pour le personnage central de cette saga, Barney Wilen. Né à Nice d’un père américain et d’une mère française, il naviguera dans ce premier temps, entre les deux continents. Il deviendra ainsi un ambassadeur bon teint entre le « Jazz sur Seine » – titre du troisième album sous son nom, en 1958 avec Milt Jackson au piano, pour Phillips – et le jazz sur Hudson pour construire un son original qui tient beaucoup, comme tout le monde à cette époque, au phrasé de Lester Young dont il est, peut-être, le continuateur le plus évident. Le mimétisme que l’on sent poindre de ses débuts se transforme en une digestion qui permet à Barney de devenir lui-même. Il sera ensuite influencé par le découpage du temps et le phrasé rugueux de Sonny Rollins pour se pâmer ensuite dans ceux de Coltrane. Comme tout le monde mais lui ne se perdra jamais de vue. Ce n’était pourtant pas facile. Art Pepper qui avouait s’être perdu dans Coltrane, incapable jouer comme il devait jouer, avec sa sonorité. Il avait même demandé à un critique s’il le reconnaissait, s’il avait conservé quelque chose de sa sonorité d’hier. L’arrivé d’un nouveau génie est toujours difficile à surmonter.D’autres, comme le saxophoniste ténor « Tina » – ainsi surnommé à cause de sa petite taille – Brooks disparaîtront du train des souvenirs. Continuer la lecture

Billie Holiday est née le 7 avril 1915. 100 ans après, le génie est toujours là.

A la recherche de l’amour perdu

Billie HolidayBillie Holiday – son « vrai » nom, Fagan semble-t-il, n’a guère d’importance – s’est créée comme la vocaliste d’un siècle qui en compta de très grandes, dans le jazz. Inutile de les citer, elles restent dans nos têtes comme autant d’envols d’oiseaux magnifiques d’un jardin oublié. Billie, avec sa voix de tête, enrhumée – comme le son du saxophone ténor de Lester Young – fait penser à une corne de brume qui résonnerait pour nous prévenir des écueils qui nous attendent, de ces rochers invisibles à l’œil nu qui peuvent provoquer le naufrage. Une manière de découper les mots pour en extraire la musique et une signification nouvelle, une façon de transformer subtilement la musique pour la faire accoucher des mots qu’elle contient, le tout pour faire entrer l’auditeur(e) dans un monde étrange où rien n’est à sa place, où tout est structuré autour de cette voix qui sait murmurer des vérités éternelles, qui cherche désespérément, à travers le poids des mots, l’amour, celui d’une petite fille pour son père, pour celui qui lui dit de faire et de ne pas faire, qui permet de dessiner les contours du monde réel. Elle recherchera le confort de cet homme trop tôt disparu. Elle sera, et elle le racontera sur tous les tons, du fait de cette absence, une gosse de cette rue qui ne pardonne rien.
Elle saura, comme personne, creuser les émotions en tragédienne accomplie, tout en maniant l’ironie et l’humour sans esprit de sérieux tout en prenant au sérieux la seule chose qui compte, la musique. Continuer la lecture

Louis Armstrong en France, 1948

Chapitre 14 des aventures d’un enfant du siècle

En février 1948, 14 ans après sa première venue en France, Louis Armstrong se produit au deuxième festival de jazz avec son « all stars » à Nice. Une manifestation organisée par Hughes Panassié avec le concours de la ville de Nice et La Radio Diffusion Française qui permettra à Paris Inter de faire entendre ces concerts soit en direct soit en différé. Pas toujours bien enregistrés ou conservés, ces concerts restent comme traces d’une libération mais aussi d’une scission qui marquera longtemps ce monde du jazz, celle du Hot Club de France fondé au début des années 1930.
Louis Armstrong vol 14Un contexte particulier illustré par ce festival de Nice et par la venue salle Pleyel de « Dizzy » Gillespie et son orchestre les 20, 22 et 29 février de cette même année 1948. La plupart des discographies datent ce concert – et j’ai repris cette date dans « Le souffle de la liberté, 1944 le jazz débarque », C&F éditions – du 28 février, oublieuses de cette année bissextile. La remarque vient de Daniel Nevers dans le livret qui accompagne cette « Intégrale » soulignant au passage que Louis et Teagarden y assistèrent or le 28 ils étaient en concert… Un élément important qui indique que les exclusions ne faisaient partie des travers des musiciens de jazz. Continuer la lecture

La dignité, un mot oublié ?

Une marche de 30 ans.

La marcheA l’automne 1983 des marcheurs se mettent en mouvement. Ils et elles vont traverser la France, faire 1500 kilomètres pour revendiquer rien de moins que les droits élémentaires de tout être humain, l’égalité, la fraternité, la liberté et surtout la dignité. Bouzid Kara fait partie de cette première cohorte, avant le succès retentissant mais éphémère. En 1984, il publie ce livre « La marche ». Actes Sud le republie avec des photos de Farid L’Haoua pour que le travail de mémoire reste à l’ordre du jour. Cette marche c’était un cri. A-t-il été entendu ? Notre société a-t-elle changé ? La revendication a-t-elle été prise en compte ? Ce témoignage repose toutes les questions concernant notre manière de vivre ensemble. Des interrogations nécessaires au moment où la recherche de boucs émissaires bat son plein. La marche c’est aussi une sorte de leçon philosophique pour aller à la rencontre de l’Autre. De faire le premier pas…
Nicolas Béniès.
« La marche. Les carnets d’un marcheur », Bouzid, Sindbad/Actes Sud.

Un témoignage inestimable sur la guerre d’Algérie.

Un enfant du 20e siècle.

Né en 1915, avoir vécu 1936 puis devenir instituteur dans le bled algérien en 1940 pour ensuite enseigner à Bougie et avoir vécu la guerre d’Algérie en France est un parcours personnel qui rejoint l’Histoire. Gaston Revel a conservé ses carnets, sa correspondance et ses photographies mis à la disposition du public et présentés par Alexis Sempé, professeur d’Histoire. « Un instituteur communiste en Algérie » est sans doute un titre trop modeste qui ne dit pas l’importance du contenu. Pourtant, c’est bien d’enseignement et d’engagement pour la laïcité, pour la défense des droits qu’il s’agit. Instituteur et communiste, c’était être placé au premier rang pour comprendre « les événements » comme on disait à l’époque. Un témoignage inestimable sur l’école, la République, la nécessité de l’engagement et du combat.

N.B.

« Un instituteur communiste en Algérie. L’engagement et le combat (1936 – 1965) », présentation et notes par Alexis Sempé, préface de Jacques Cantier, La Louve Éditions.

Au hasard des éditions

Une lutteuse.

Écrire une biographie (résumée) de Rosa Parks semble étrange. Lucien Chich a su ramasser l’essentiel de la vie de cette femme qui a décidé, un jour de décembre 1955 de ne pas respecter les lois ségrégationnistes de cet Etat d’Alabama – qui sera célèbres pour des meurtres de défenseur des droits civiques – en refusant de monter à l’arrière du bus qui l’a ramenait chez elle. La mobilisation commençait… Aujourd’hui plusieurs lycées et collèges de la région Rhône-Alpes portent ce nom…

Nicolas Béniès

« Je suis…Rosa Parks », Lucien Chich, Jacques André éditeur.

 

Sur Haïti.

Cette île, qui s’est appelée Saint-Domingue, a une histoire et une histoire de lutte et de libération. La révolution française avait décidé l’abolition de l’esclavage que Bonaparte, Premier Consul, avait rétabli contre toute attente. Jean-Pierre Barlier, dans un livre précédent, « La Société des Amis des Noirs 1788-1791 », avait raconté les origines de la première abolition de l’esclavage le 4 février 1794. Dans cette suite, « L’échec de l’expédition de Saint-Domingue (1802 – 1803) et la naissance d’Haïti », il s’attache à décrire la barbarie coloniale et l’emprisonnement de Toussaint-Louverture qui avait cru aux promesses de cette révolution, à la liberté, l’égalité et la fraternité. En même temps, il décrypte le projet colonial du futur Napoléon. Il accumule les témoignages, suit les pas de l’armée française pour montrer que toute volonté d’asservir une population est un acte profond de barbarie et explique, en partie, le sous-développement actuel. Toussaint Louverture restera, pour l’éternité, l’image de la révolte. Son nom sera porté par beaucoup de jazzmen et de partisan des droits civiques aux États-Unis. Une page de notre histoire par trop ignorée.

N.B.

« L’échec de l’expédition de Saint-Domingue et la naissance d’Haïti », Jean-Pierre Barlier, Éditions de l’Amandine, 195 p.

 

 

Marseille, capitale de la culture.

En complément du dossier de ce numéro, « Ici, Ailleurs » est le titre d’une exposition qui veut réunir les artistes de la Méditerranée, « fabrique de civilisation » disait Paul Valéry. Jean-François Chougnet a réuni des artistes dont le seul lien est l’appartenance à cet espace. Beaucoup de noms nous ont inconnus, raison de plus pour aller les découvrir. Ce catalogue permet de les présenter.

N.B.

« Ici, Ailleurs. Une exposition d’art contemporain », Skira/Flammarion.

 

Parcourir

Et si le but ultime d’un voyage n’était pas le lieu d’arrivée mais le parcours lui-même ? Ces récits de voyage vers le Tibet en font la démonstration. Ils nous entraînent vers ce pays mystérieux, à la fois matériel et immatériel. La difficulté d’y parvenir, les rêves qui se construisent dans la préparation, le temps du parcours vers ce lieu chargé de spiritualité et d’histoires font de ce voyage un voyage initiatique. Que cherchent ces explorateurs ? Pourquoi d’aussi grandes souffrances ? Les réponses diffèrent. Le premier de ces récits date de 1783, le dernier de 1944, manières de se rendre compte à la fois des permanences – trouver la paix intérieure – et des transformations. Un recueil d’Histoire, d’histoire littéraire – les styles évoluent, les regards changent – et de plaisir tout court de la lecture.

N.B.

« Tibet. Vers la terre interdite », présenté par Chantal Edel, préface de Sylvain Tesson, Omnibus/Presses de la Cité.

Articles publiés dans l’US Mag d’avril 2013

 

Biographie de Stivell

Musique et révoltes.

Ecrire une biographie d’Alan Stivell – une grande première -, lui qui a fait découvrir la harpe celtique au monde entier, travail que son père avait commencé, suppose de faire référence à toutes les luttes sociales, linguistiques et de libération qui a secoué cette région depuis plus de 40 ans. Laurent Bourdelais, poète et professeur d’histoire s’y est essayé. Un hymne à la Bretagne, au Morbihan plus spécifiquement vient sous la plume de cet enfant qui n’est pas de ce pays. Pour découvrir à la fois les textes, le contexte social de ces années là et pour (re)faire connaissance avec le musicien.

 

N.B.

« Alan Stivell », L. Bordelais, Editions Le Télégramme, 334 p.

Avec Jacques Prévert…

PREVERT, Pour toujours…

Jacques Prévert est né le 4 février 1900, à Neuilly. Il fut sans doute mauvais garçon et surtout piéton de Paris à l’instar d’un Léon Paul Fargue – dont « Le Piéton de Paris » justement et « Méandres » sont réédités chez Gallimard, dans la collection L’imaginaire, pour juger de sa postérité. Saint Germain des Prés, Montparnasse ont été ses quartiers de prédilection. Doté d’un père alcoolique, et d’une mère aux yeux bleus si profonds il vécut l’école buissonnière. Bien ou mal on ne sait. Les deux sans doute comme le reconnaissent ses poèmes aigres-doux. Anar, antimilitariste et anti-flic farouche, il ne pouvait être des bien-pensants. Il ne le fût jamais. La guerre, la première, le cueillit adolescent. Il ne s’en remettra jamais. Après son service militaire à Constantinople et sa rencontre avec Marcel Duhamel qui lui servit de mécène, il vit en oisif avec toute sa tribu jusqu’à la rencontre avec les surréalistes lui ouvrant de nouvelles perspectives. Un écrivain, un poète – il n’aimait pas le terme, un poète, on s’assoit dessus avait-il coutume de dire – mêlant, c’est assez rare, les cultures populaires et savantes. Comme si ce dromadaire – pour ne pas dire chameau – les avait digérées. Un cas. Continuer la lecture

Entretien avec Henri Renaud

SOUVENIRS, SOUVENIRS

Les commémorations liées à la fin de la seconde guerre mondiale se poursuivent. Elles obligent à un retour en arrière sur les années de la guerre et de l’après-guerre. Concernant le domaine du jazz, beaucoup d’erreurs ont été commises. Sous prétexte que les Nazis considéraient cette musique comme « décadente », beaucoup d’auteurs en ont conclu qu’elle avait disparu, et qu’il faudra attendre le débarquement pour la voir réapparaître. Vision fausse. A l’inverse de la réalité. Le jazz n’avait jamais eu autant droit de cité que dans ces années de guerre et d’occupation. Il retrouvait là, dans ce contexte particulier, sa nature. Il exprimait la révolte et la revendication fondamentale de liberté, de dignité. A interroger Christian Bellest – trompettiste à l’époque dans « Le Jazz de Paris » -, il apparaît évident que les concerts de jazz réunissaient plus de monde qu’avant la guerre, et qu’après la guerre. Les « jam-sessions » continuaient, avec des risques. Il fallait éviter les patrouilles pour rentrer chez soi au matin, à cause du couvre feu et de l’absence de laissez-passer, se réfugier sous les porches et compter sur la chance. Cette chance l’a protégée. D’aucuns, dans l’orchestre, étaient engagés dans la Résistance, d’autres non. Mais tous exprimaient leur révolte en jouant cette musique « de sauvages ». Il était souvent en compagnie de Django Reinhardt qui continuait à se produire, protégée par sa réputation et par les amateurs de jazz qui existaient aussi dans l’armée allemande. Par contre, se rappelle encore Bellest, il était interdit de danser. Charles Delaunay qui dirigeait la firme « Swing » semble avoir précédé les désirs des occupants en « francisant » les titres des chansons américaines.1Une façon, sans doute, de se moquer du nazisme…

Le témoignage d’Henri Renaud, que nous publions ci-dessous, montre que les disques américains arrivaient en France, avec une étiquette blanche, et qu’ils étaient reproduits. Personne, par contre, même pas les Américains, ne savait qu’une révolution se préparait, celle du Be Bop, celle de Charlie Parker et de Dizzy Gillespie, à cause du « Pétrillo ban », la grève des enregistrements qui dura de 1942 à 1944. Le choc fut d’importance… Continuer la lecture