Comment devient-on un génie ?
John Coltrane, saxophoniste ténor et soprano, a révolutionné les mondes du jazz et au-delà. C’est le dernier génie en date du jazz. Il représente la quintessence de ces années 60, années de révolte, de colère, de barbarie et d’espoirs. Il fait entendre dans son jeu incandescent, dans le « son » qu’il réussit à trouver à force de travail, cet ensemble. Qu’il sait aussi dépasser pour rester notre contemporain. Toutes ses interrogations restent les nôtres.
Jusqu’à présent, aucun livre n’avait su lui rendre toutes ses dimensions. A la fois musicales, spirituelles, humaines et biographiques tout en insistant sur l’essentiel qui se dérobe, le génie. Lewis Porter l’a fait et Vincent Cotro l’a traduit tout en apportant sa propre touche à ce portrait d’un homme dans son temps projeté hors du temps, construisant un espace temps singulier en voulant se perdre dans la musique sans jamais vraiment y réussir. Il dira, je sais toujours où je vais. L’auditeur arrive à en douter quelque fois, tellement il est pris dans ce tourbillon. Il doute de ce qu’il entend. L’intérêt de ce livre est là aussi. Mettre sur le papier la musique de Coltrane. Tout le monde ne lit pas la musique, je le sais bien mais la reproduction de ces partitions permet de comprendre la méthode mise en œuvre. Car méthode il y a.
Cet homme voulait faire le bien en construisant une musique de l’universel en puisant dans toutes les cultures, pas seulement indienne comme on l’a dit trop souvent. Les méthodes d’apprentissage – Hanon pour les pianistes – lui ont beaucoup servi. Il les a prises, comme tout ce qu’il touchait, au sérieux pour se donner une chance d’exister. Tout comme Aragon,1 il a passé sa vie à travailler son saxophone et à créer de la musique que personne n’avait jamais entendue. Aragon lui a voulu exister par les mots, par le langage en refusant la vie. C’est un peu la même trajectoire, marquée aussi, dans les deux cas, par l’absence du père.
Lewis Porter, pianiste lui-même, a voulu tout vérifier de la biographie de Trane – tout le monde l’appelle comme ça – pour redonner son parcours. Il commence par l’esclavage, rappelant que les noms de famille des Noirs provenaient des maîtres Blancs… Coltrane serait un nom d’origine écossaise… Ces noms passant de Blanc au Noir reflète à al fois le racisme de la société américaine en même temps que le brassage des populations sur la plantation, un endroit clos, il faut le rappeler.
Un livre complet permettant de commencer à dresser un portrait ressemblant de celui que personne ne peut écouter sans en être durablement transformé. Là est le mystère !
Lewis Porter, « John Coltrane, sa vie, sa musique », Éditions Outre Mesure/Contrepoints. 368 pages, 32 euros.
Nicolas BENIES.
PS Pas de réponse à la question. Personne ne connaît la formule même depuis la parution de cet article en 2007