Vider les Poches

Christian Bourgois est le dernier éditeur en date à lancer une collection de Poche, « Satellites » qui se veut « galaxie littéraire à la croisée de Bourgois et Globe » suivant l’éditrice.
La tête de pont : le prix Nobel de littérature Norvégien Jon Fosse – traduit par Jean-Baptiste Coursaud – « L’autre nom », les deux premières parties d’une septologie, la grande œuvre de l’auteur, pour faire connaissance avec une forme particulière de l’écriture centrée sur le discours intérieur avec des effets miroirs éblouissants.
Le premier récit de Maurice Pons, « Métrobate », qui n’a rien perdu de sa pertinence et dit beaucoup en peu de mots sur cette époque étrange de la Libération où souvent le pire prend lz place du meilleur.
« Fantaisies guérillères » est une extrapolation de Guillaume Lebrun du mythe de Jeanne d’Arc dans une création à la fois langagière et historique du début du 15e siècle d’une école de prophétesses dont le but est de sauver le royaume. Il faut entrer dans ce monde étrange et proche.
« L’affaire de Road Hill House », roman policier « vrai » d’un crime d’enfant qui a remué le Royaume-Uni en 1860. Kate Summerscale – traduite par Eric Chédaille – se livre, en journaliste, à une reconstitution pour dessiner l’image de la société victorienne et de ses secrets de famille pour un « true crime » comme on dit. Le style est un peu lourd mais le jeu en vaut la chandelle.

Un chef d’œuvre oublié
« Nous » d’Evgueni Zamiatine – ici suivi de « Seul », la première nouvelle publiée de l’auteur – avait déjà été réédité par Actes Sud en 2017, mais cette nouvelle traduction de Véronique Patte repose sur l’original. Le premier roman de science fiction qui a inspiré Orwell notamment. « Un acrobate du temps » (Giuliano Da Empoli dans sa préface), un visionnaire qui imagine l’avenir à partir de l’analyse de la société stalinienne en train de se constituer en 1929. A ne pas rater.
« Nous », Evgueni Zamiatine, traduit par V. Patte, préfaces de G. Da Empoli et Vincent Perriot, dessinateur, postface de Jorge Semprun, L’Imaginaire/Gallimard.

Roman d’espionnage historique
Julian Semenov, auteur culte en Russie, a eu accès aux archives des services secrets soviétique et raconte le régime nazi de l’intérieur par l’intermédiaire de l’espion infiltré Stierlitz. En 1945, les dignitaires du régime cherchent des portes de sortie. La galerie de portraits d’ouverture est une leçon d’histoire contemporaine.
« Ordre de survivre », Julian Semenov, traduit et annoté par Monique Slodzian, 10/18

Polar
Edward Bunker raconte le pénitencier de San Quentin, sur la Côte Ouest des Etats-Unis où règne une division raciale intrinsèque et où les trafics sont rois. Une amitié entre un jeune arrivé dans cet enfer et un vieux prisonnier est le fil conducteur de la description de l’enfer.
« La bête contre les murs », E. Bunker, traduit par Freddie Michalski, avant propos de François Guérif, Rivages Noir/Les iconiques

James Lee Burke raconte une adolescence dans le Texas du début des années 1950

Histoire et mémoire mêlées en une fiction réelle

James Lee Burke fait une nouvelle fois la preuve qu’il est un des grands écrivains du Sud des États-Unis, un Faulkner contaminé par le polar pour faire éclater la réalité du monde. « Les jaloux » pose un adolescent, Aaron Holland Broussard, dans l’environnement du boom du pétrole – le film « Geant » avec James Dean et Rock Hudson le décrit aussi – qui a généré d’énormes fortunes, de la mafia toute puissante, la surexploitation des Mexicains et une police qui semble impuissante comme un racisme endémique. Les souvenirs des deux guerres sont encore présents pour le père du jeune homme qui noie sa mélancolie dans l’alcool alors que la mère se réfugie dans une dépression endémique. Continuer la lecture

Jake Lamar sur ses traces

Rêves de souvenirs

« Viper’s Dream » et le titre dévoile le récit qui baigne dans cette fumée qui envahit souvent les loges des musicien.ne.s, un rêve qui repose sur des histoires racontées par les fantômes qui s’agitent à New York, ville qui sait habilement mêler le passé, le présent et l’avenir dans ces fumées sortant de terre. Les légendes, les faits se sont tellement pénétrés qu’il est difficile et même inutile de les démêler. Jake Lamar, né dans le Bronx mais vivant en France depuis 1993 raconte l’arrivée de son Alabama natal d’un apprenti trompettiste qui, dans les années 1930, voudrait devenir musicien à Harlem. Faute de talent minimum, il devient homme de main d’un trafiquant de marijuana juif et devient un des caïds de Harlem. Continuer la lecture

Vider vos poches (4), James Lee Burke


Robicheaux au milieu de nul part, perdu dans le temps

James Lee Burke aime les fantômes. Ils arrivent à être plus vrais que les vivant.e.s souvent proches des morts. En Louisiane, le vaudou reste présent et sait invoquer les morts-vivants. « Une cathédrale à soi » est une peinture quasi intemporelle – jamais n’apparaît une date pour se repérer dans le temps – du Bayou et des errances de Dave Robicheaux associé à Cletus, l’ami de toujours, réceptacle de toutes les violences, de toutes les violences face aux néo-nazis en train de peupler les États-Unis bien après la chasse aux sorcières, comme si le maccarthysme avait marqué de son empreinte terrifiante la terre comme les villes américaines.
L’intrigue vient, comme souvent, de Shakespeare, de Roméo et Juliette qui prend l’apparence d’un couple de jeunes gens, Isolde Balangie et Johnny Shondell issues comme il se doit de deux familles de gangsters ennemis, qui ont fait fortune dans le trafic d’esclaves pour l’origine de leurs fortunes.
Un bourreau venant du fond des âges, 1600 en l’occurrence, veut se faire pardonner tous ses sévices – il était aux côtés de Mussolini – pour retrouver la paix de son cercueil et cesser d’encombrer les humains dans leur lutte pour le mal. Shondell semble être une incarnation de Trump ou l’inverse, on ne sait plus. Le fil se casse de temps en temps mais l’auteur sait d’un seul coup retrouver la grâce ou le malheur de son histoire.
Le brouillard du bayou sait cacher tous les trésors, toutes les turpitudes tout en dévoilant aux esprits fous les réalités enfouies au fin fond de nos cerveaux. « Les morts s’accrochent aux vivants » avait écrit Javier Cercas, James Lee Burke en fait une nouvelle démonstration.
Pourtant rien n’est jamais définitif surtout l’amour des jeunes gens mêmes s’ils savent chanter notre nostalgie, nos souvenirs.
N.B.
« Une cathédrale à soi », James Lee Burke, traduit par Christophe Mercier, Rivages/Noir

Colères ouvrières face au mépris de classe

Colères ouvrières et lutte pour la dignité
Pascal Dessaint, auteur de romans « noirs », a voulu comprendre une image récente de deux cadres d’Air France qui, lors d’une occupation des salarié.e.s du siège de l’entreprise avait perdu leur chemise restée dans les bureaux. Image commentée forcément défavorablement, fustigeant comme il se doit la violence sauvage de ces contestataires. Etait-ce, se demanda l’auteur, la première fois que ces débordements de colère désespérée contre la morgue patronale de droit divin avaient lieu ?
Remontée de la mémoire conservée dans des journaux comme l’Illustration une image – encore une mais un dessin cette fois – d’une défenestration d’un cadre des « Houillères & Fonderies de l’Aveyron » – dont le siège est à Paris -, Jules Watrin dans le contexte d’une grève des puits pour exiger à la fois une augmentation des salaires et du respect. La colère gronde devant l’intransigeance de la Compagnie qui ne veut pas céder, ce 26 janvier – il fait froid – 1886. La foule des grévistes veut la démission de Watrin, jugé responsable de toutes les misères. La direction réelle est hors d’atteinte des grévistes et sait envoyer au front ses pions pour se faire massacrer et, ensuite, s’en servir comme d’une arme contre les grévistes.
Zola vient de publier « Germinal ». Il est immédiatement accusé d’avoir fourni de « grain à moudre » intellectuel aux hordes anarchistes ouvrières. Comme le fera remarquer un journaliste du « Cri du peuple », les mineurs – femmes et hommes – n’ont guère le temps de lire… Continuer la lecture

Polar, quand le polar se fait Histoire, du 16e siècle à 1962, de la Provence à Marseille

Plongée dans les guerres de religion en Provence

Le prétexte de cette plongée : le trésor que Charles-Quint aurait laissé dans l’Église d’Aix, enterré sous les dalles. Pour le découvrir, il faut décrypter deux quatrains – dont un en français en forme de rébus – objet de toutes les recherches et des rivalités. Catherine de Médicis fera appel à Nostradamus pour trouver les clés de compréhension. Jean d’Aillon mettra en scène son personnage principal, Yohan de Vernègues, fil conducteur de l’enquête, qui louvoiera entre moines assassins envoyés par l’Inquisition, les croyants catholiques et reformés rivalisant de violences pour imposer leur loi et leur pouvoir au-delà même de leur religion. Richelieu, en bon centralisateur, y mettra un terme. Sans compter les intrigues internes à la Cour du Royaume de France et la cohorte de jeunes et jolies demoiselles au service de la Reine Catherine. Un mélange explosif et meurtrier. Continuer la lecture

Polar De Naples à nulle part et partout en passant par Chicago lieu d’exil des Japonais-Américains


Visions de morts et d’amour

Retrouver le commissaire Ricciardi et Naples qui s’apprête à fêter les 10 ans de la marche sur Rome et l’arrivée au pouvoir du Duce, de Mussolini – le 29 octobre 1922 – est un plaisir presque coupable. Le polar se fait poésie pour conter l’amour qui traverse les océans sous la forme d’un boxeur célèbre et célébré, d’un crime crapuleux au nom d’un amour égaré dans les plis de la folie et du commissaire lui-même incapable de répondre à l’être aimée, secoué par les souvenirs de sa mère et de sa propre maladie, héréditaire comme il se doit. Continuer la lecture

Histoire et culture des États-Unis.

Une nouvelle biographie de Miles Davis et ce n’est jamais trop. Miles a vécu dans sa chair le racisme et ses conséquences. Adulé à Paris, il ne perce pas à New York et se drogue. Le drame des musicien.ne.s de jazz – un terme contesté aux États-Unis mais valorisant en Europe, comme il le notait lui-même. Il s’agir de Great Black Music bien entendu.
Jerome Charyn pense qu’il était temps, pour terminer ses aventures, d’installer Isaac Sidel à la Maison Blanche. Que peut faire un ancien flic et ancien maire de New York – Charyn ne s’éloigne pas trop de la réalité – à la Maison Blanche ? Pas grand chose. Depuis, Trump a conduit une sorte de putsch, de coup d’État comme, pour l’instant, une tentative avortée mais une tentative. Charyn n’a pas osé écrire qu’un Président pouvait sauter dans sa voiture pour prendre la tête des manifestants à l’assaut du Capitole et empoigner par un agent de la sécurité pour l’empêcher de commettre ce crime. Trump a testé, un autre ou lui-même pourrait le réaliser. Il a beaucoup fait pour discréditer tout le système de la démocratie américaine sans parler de ses nominations à la Cour Suprême. Lire Charyn, c’est pénétrer dans certaines arcanes de ce monde étrange. Continuer la lecture

De la Turquie et de la Russie, un roman écrit en prison et un polar en forme de saga

La Turquie en cellule
« Madame Hayat », le roman de Ahmet Altan écrit de sa prison, est un hymne à la liberté. Le portrait de femme, superbe, est amoureusement décrit. Les yeux du jeune homme sont emplis de ce portrait. Entre deux âges – curieuse expression – elle éclate du soleil de la sensualité. Beauté étrange, elle possède ce pouvoir d’attirer les regards. Continuer la lecture

Polar et histoire des États-Unis

Atlanta 1956
Thomas Mullen poursuit la saga des flics noirs d’Atlanta avec « Minuit à Atlanta », troisième volet de l’histoire de la ville, bastion du racisme et de tous les préjugés du Sud des États-Unis.
La cohorte de 8 flics noirs censée surveiller uniquement leur quartier – « Darktown » une dénomination habituelle de tous les ghettos noirs à cette époque et titre du tome premier – est l’objet de la haine des flics blancs qui ne les acceptent pas et c’est un euphémisme. Cette fiction, inscrite dans la réalité historique – les recherches de l’auteur en font foi -, s’organise autour de deux figures : Boggs, fils de Pasteur et habitant des beaux quartiers noirs, bien éduqué et Smith provenant des quartiers pauvres qui a vu son père, ex-soldat de la première guerre, lynché à cause de son uniforme. La description de la vie à Atlanta après la deuxième guerre a de quoi révolter devant l’étalage de la bêtise meurtrière raciste. Continuer la lecture