Polar De Naples à nulle part et partout en passant par Chicago lieu d’exil des Japonais-Américains


Visions de morts et d’amour

Retrouver le commissaire Ricciardi et Naples qui s’apprête à fêter les 10 ans de la marche sur Rome et l’arrivée au pouvoir du Duce, de Mussolini – le 29 octobre 1922 – est un plaisir presque coupable. Le polar se fait poésie pour conter l’amour qui traverse les océans sous la forme d’un boxeur célèbre et célébré, d’un crime crapuleux au nom d’un amour égaré dans les plis de la folie et du commissaire lui-même incapable de répondre à l’être aimée, secoué par les souvenirs de sa mère et de sa propre maladie, héréditaire comme il se doit. Continuer la lecture

Le coin du polar.

Histoires napolitaines

Naples, sale et attirante, pleine de nostalgie, d’histoires étranges inscrites dans un passé jamais dépassé, ville qui ne se rassasie pas de son passé fasciste. Les traces architecturales – le bâtiment de La Poste notamment – présentes et niées tout à la fois ne se voient pas comme lieux de mémoire. Le nom même de Mussolini n’est jamais prononcé mais il reste comme une ombre, celle de ses réalisations et des références inscrites dans le sol.
« Le Noël du commissaire Ricciardi » est celui de l’année 1931. Neuf ans que le fascisme exerce sa loi tout en respectant les traditions surtout religieuses. La Crèche de Noël en fait partie. A quoi correspond-elle ? Quelles sont les légendes autour de chacun des personnages ? Le rôle de Joseph, figure paternelle sans avoir lui-même procréé ? Maurizio de Giovanni raconte ces mythes pour comprendre le meurtre d’un douanier fasciste qui fait son beurre sur la population de pêcheurs et de sa femme, tous les deux égorgés chez eux, dans leur bel appartement. Une plongée dans la psychologie collective et une leçon d’histoire religieuse pour comprendre les ressorts des assassinats. Sans oublier Naples, Noël, « une émotion » écrira l’auteur qui ne dédaigne pas les apartés poétiques ni le contexte politique.
Nicolas Béniès.
« Le Noël du commissaire Ricciardi », Maurizio de Giovanni traduit par Odile Rousseau, Rivages/Noir

Londres 1381
Paul Doherty poursuit les aventures et les enquêtes de Frère Athelstan dans « Pèlerinage mortel » qui se situe à l’été 1381 après la Grande Révolte qui a ensanglanté Londres. La révolte des Hommes Justes a été balayée et la paix armée du Roi est impitoyable pour les pauvres.
Frère Athelstan qui a protégé ses ouailles assiste à une multiplication de meurtres par étranglement sans que les victimes ne donnent de signes de résistance. Il faudra toute la sagacité du Frère pour faire la lumière sur ces mystères qui ont quelque chose à voir avec la politique, la guerre et la diplomatie. L’auteur s’appuie ici sur une réalité historique. Dans ces années une nouvelle donnée surgit : des tueurs professionnels affublés d’un statut de diplomates… A découvrir.
Nicolas Béniès.
« Pèlerinage mortel », Paul Doherty, traduit par Christiane Poussier et Nelly Markovic, 10/18

Portrait de femme
« La face cachée de Ruth Malone » est une quasi enquête sociologique des Etats-Unis du milieu des années 1960. Ruth, 26 ans, mère célibataire de deux enfants, voudrait être reconnue. Comme arme, elle possède son physique et l’art de se maquiller, pas seulement son corps mais aussi son esprit. Mal dans sa peau artificielle, elle est ivre tous les soirs en changeant de partenaire. Elle a quitté son mari qui reste souvent à l’épier. Elle habite un petit appartement dans le Queens, un quartier de New York.
Un mauvais jour ses enfants disparaissent. Ils ont été assassinés. Elle est soupçonnée et emprisonnée. Seul un journaliste amoureux d’elle croît encore à son innocence.
Emma Flint a saisi tous les clichés, tous les préjugés d’une époque qui ne voit les femmes que pute ou mère et refuse une mère célibataire incapable, de ce fait, d’élever ses enfants. La face cachée de Ruth c’est d’être une mère aimante malgré et contre le monde. Une plongée dans un univers pas si éloignée du nôtre. Une grande réussite.
Nicolas Béniès
« La face cachée de Ruth Malone », Emma Flint, traduit par Hélène Amalric, 10/18

Le coin du polar

Fiction et réalité

Naples, un personnage mystérieux
Maurizio de Giovanni est napolitain. Ce n’est pas un vain mot. Naples est là devant nous, ses rues sales et étranges, ses constructions, ses palais provenant de rois normands, ses places, ses populations. Maurizio joue avec elle. Dans « La méthode du crocodile », il a créé un deuxième personnage, Giuseppe Lojacono, un inspecteur venant de sa Sicile natale. C’est à travers que la ville se montre. Pour raconter des histoires, ces deux-là n’étaient pas suffisant. Il en fallait un troisième. Ed McBain est venu à son secours. Ses personnages principaux étaient New York et un commissariat où s’agitaient des inspecteurs avec comme tête de proue Carella. Pour Maurizio, ce sera Lojacono. Autour de lui des figures étranges, au passé sulfureux, aux destins difficiles et aux amours contrariées.
La collectionneuse de boules de neigeCette saga commence avec « La collectionneuse de boules à neige », une histoire d’amour brisée par les barrières de classes sociales. L’auteur frappe juste tout en faisant la part belle aux environnements personnels. Le dernier opus, « Et l’obscurité fut », nous fait rester dans ce commissariat de Pizzofalcone pour suivre Et l'obscurité futles vies de ces policiers et policières aux prises avec leur réalité, familiales, sexuelles… Des êtres humains à part entière et pas des super héros. Qui sont aussi policiers. Une drôle d’enquête qui met en scène des familles recomposées, des faillis qui ne veulent pas l’avouer et des enfants qui trinquent comme s’ils portaient toute la responsabilité de la misère du monde. Dans les mailles de cette intrigue, une sorte de poème en prose sur le « joli » mois de mai, sur cette chaleur étouffante qui enserre Naples sans la laisser respirer même pas la nuit. Le monde est scandaleusement barbare. Il appelle la révolte !

Le vrai du faux
atlas-du-crime-parfait_9782746743748La réalité dépasse la fiction entend-on souvent. Vrai et faux tout à la fois. Comment faire la part de la légende dans les escroqueries ? Un escroc entremêle le faux et le vrai pour aller dans le sens des désirs du « pigeon », dans le sens de ses croyances. C’est, en général, un subtil analyste. « L’atlas du crime parfait » de Fabrice Colin répertorie tous les corps tordus, toutes les machineries pour aboutir à extorquer de l’argent ou des renseignements. Il en est d’évidentes, d’autres plus construites. Les premières ressortent du marché de l’art et les deuxièmes du monde de la finance avec, notamment, la dite « pyramide de Ponzi ». Une sorte de vision de nos monde successifs.

Hommage.
soleil de nuitJo Nesbo, auteur norvégien internationalement reconnu, peut-être en panne d’idées, a décidé de rendre hommage à ses maîtres, les créateurs du genre à commencer par Hammett et Chandler. Il en est à son deuxième. Le titre générique de cette série : « Du sang sur la glace ». Il reprend une intrigue et la déplace des États-Unis vers les paysages froids de la Norvège. Une sensation de déjà lu contrebattu par ces noms imprononçable, des environnements blanchis par la neige. « Soleil nuit » est plus réussi que le premier. Mais ce n’est pas vraiment les mondes durs et malades de Jo Nesbo…
Nicolas Béniès.
« La collectionneuse de boules à neige », Maurizio De Giovanni, 10/18; « Et l’obscurité fut », Maurizio de Giovanni, Fleuve noir; « L’Atlas du crime parfait », Fabrice Colin, Autrement; « Soleil nuit », Jo Nesbo, Série noire/Gallimard.