Fiction de la réalité ou réalité de la fiction ?
La mode est d’affirmer, pour un film surtout quelque fois pour un roman d’accoler la formule « tiré d’un fait réel » comme si cette mention délivrait un certificat d’honnêteté. La plupart du temps, ces réalisations ne restent pas, je dirai presque par définition, dans l’actualité. L’art se refuse à un tel compromis qui remet en cause directement la part de l’imagination, du rêve.
Il arrive pourtant que des personnages « réels » – les guillemets s’expliquent par l’interrogation qui est la nôtre face à leur comportement, Chirac était-il plus « réel » que sa marionnette ? – accèdent au statut enviable de personnages de fiction. C’est le cas pour deux récits qui viennent d’être simultanément réédités dans la collection de poche d’Actes Sud, Babel, « Anatomie d’un instant » de Javier Cercas sur le coup d’État avorté en Espagne le 23 février 1981 et « Chroniques de la révolution égyptienne » de Alaa El Aswany, auteur de l’immortel « Immeuble Yacoubian ».
Les deux auteurs proposent une double réflexion. Sur la liberté de l’auteur capable de sonder les cœurs, de rendre compte des imaginations qu’il prête généreusement à ces personnages issus de la dramaturgie politique qu’elle soit d’un coup d’État ou d’une révolution comme sur la capacité de l’imagination d’interroger le monde. Ces récits s’approchent de l’essai politique. Le point de rencontre se trouve dans l’impératif, ressenti par toutes les populations au-delà de leurs différences, de la démocratie. La suite de l’Histoire de l’Espagne le démontre à l’évidence. Les mouvements sociaux dits de Indignés se renforcent les uns les autres dans le monde.
El Aswany nous fait participer aux interrogations multiples de ce début de révolution en Égypte – le livre a été publié en 2011 – à travers des personnages que le romancier permet de suivre en même temps qu’il donne à penser sur les différents affrontements entre coptes et Arabes ou entre les sexes. Une plongée dans un contexte particulier, celui d’un changement fondamental de régime, dans une crise qui est à la fois politique et sociale même si elle prend des aspects religieux.
Cercas se paie le luxe, le temps d’un instant, de donner une profondeur romanesque à ces personnages à la recherche d’un passé dépassé. Ce passé qui s’accroche au présent, ce passé qui ne veut pas mourir. Il faudra cet « instant » pour que l’Espagne entre véritablement dans la démocratie parlementaire et quitte pour de bon les rivages du franquisme. Ce moment est un moment fondateur. L’Espagne actuelle avec ses problèmes récurrents de récession et de montée du chômage a fait oublier le franquisme. Des fragments sont encore visibles. Cercas les met en lumière. Une sorte d’explication du présent par un passé trop souvent occulté.
Deux livres essentiels pour comprendre notre présent.
Nicolas Béniès.
« Chroniques de la révolution égyptienne », Alaa El Aswany ; « Anatomie d’un instant », Javier Cercas ; Babel.