Jazz. Michel Portal dansant, Jean-Pierre Jullian gréant

Musique de la vie et de joie de jouer ensemble.

Michel Portal, 85 ans au moment des faits, affirme l’âge d’artères qui se refusent au vieillissement, « MP85 » a été le titre évident de cet album plein de sève. Dans les notes de pochette, il dit s’être précipité dans le studio lors, sans doute, du premier déconfinement. Si l’on ose s’en souvenir, le premier confinement nous a enfermés dans un « chez nous » devenu comme une prison. La libération est venue de la musique et de la formation de son groupe qui réunit plusieurs générations pour une musique qui puise dans toutes les musiques populaires dansantes, à commencer – c’est pourtant le dernier thème – par un chant basque, « Euskal Kantua », un duo.
Bojan Z, au piano et claviers, m’avait raconté que Portal lui avait fait découvrir les mélodies serbo-croates, de son père, qu’il avait oubliées dans le rock et le jazz. Ensemble, ils les évoquent tout en faisant la part belle à d’autres cultures pour danser sous la lune, pour faire la nique au virus, pour démontrer que la vie ni simple ni tranquille mais là simplement. Continuer la lecture

Jazz. La batterie suivant Edward Perraud

Traversées hors temps
Edward Perraud, batteur et compositeurs hors norme. Deux enregistrements, comme deux facettes de sa personnalité, viennent conforter l’appréciation.
D’une rencontre à Chicago, au club Hideout en 2008, reste « The Way Through », une traversée, pour le label « The Bridge » – le pont ! – spécialisé dans ces rencontres entre la France et Chicago, une des villes mères du jazz. Didier Petit, violoncelle, Josh Berman, cornet et Jason Stein, clarinette basse compétaient un quartet décidé à dépayser toutes les populations. Pour traverser, il faut accepter d’abandonner nos œillères musicales. Continuer la lecture

Jazz, Henri Texier ses compagnons, ses fantômes

Henri et les siens, une chance !

« Chance », titre de cet album, signe le sens des rencontres de Henri Texier, rencontres amicales, musicales, d’autres cultures, d’autres manières de voir le monde, de l’analyser pour le connaître et se donne une…chance de le transformer. Les patrimoines du jazz dont se trouve héritier le contrebassiste se mêlent activement à ceux de ses compagnons dont les compositions viennent habiter l’univers de Henri pour partager une maison commune. Univers en mouvement vers une sorte de sérénité striée par des éclats de fureur, face à la négation de la fraternité.
Free jazz, rock, musiques venues d’ailleurs viennent construire un environnement mouvant comme si s’arrêter marquait la fin définitive. Chacun vient apporter sa pierre à un édifice qui tient beaucoup du travail de Pénélope, toujours à faire et à défaire. Rien n’est acquis, tout est temporaire, tout est dans le souffle de vents contraires pour contraindre le laid, le tordre dans tous les sens et faire surgir une beauté toujours défaite, toujours remise en question.
Il faut dire que le quintet fait la preuve d’une unité souvent désunie qui, dans les déséquilibres, donne une sensation d’équilibre comme seuls peuvent le faire les funambules. Sébastien Texier, saxophone alto, clarinette et clarinette basse toujours à la recherche de nouvelles sonorités mêle son chant à celui de Vincent Lê Quang, saxophones ténor et soprano comme à celui de la guitare de Manu Codjia qui semble enfin avoir trouvé sa voie entre toutes ses influences. Gautier Garrigue, batteur subtil et brutal, est le remède qu’il fallait à cette cohorte pour lui donner une sorte d’unité en lien avec Henri Texier tout à tour soliste et maître d’un temps élastique. Une musique qui sait se laisser aller et sortir de tous les cadres tout en étant fidèle au jazz multicolore, facteur d’énergie, de révolte et de bleus.
Nicolas Béniès.
« Chance ! », Henri Texier Quintet, Label Bleu/L’autre distribution.

Facettes de Daniel Zimmermann en dichotomie ?

Le trombone dans tous ses éclats.

Deux albums viennent de paraître qui permettent de dresser un portrait contrasté du trombone jeté dans les eaux troubles du jazz via Daniel Zimmermann, l’un des virtuoses de cet instrument singulier rétif à toutes les cases dans lesquelles on veut l’enfermer. Continuer la lecture

JAZZ, Henri Texier

L’ancien dans le nouveau.Et vice versa

Henri Texier a eu envie, après les concerts pour le 30e anniversaire du Label bleu, de reprendre quelques-unes de ses anciennes compositions, celles du temps de Salhani. Pour ce faire, redonner vie à ces musiques, il a structuré un nouveau groupe. Sébastien Texier est toujours au saxophone alto et clarinette et Manu Codjia à la guitare – qui semble chez lui – mais Vincent Lê Quang ajoute son saxophone ténor et son soprano aux fureurs des deux précédents pour les forcer dans des retranchements qui se sont construits jour après jour, concert après concert, comme Gauthier Garrigue sa batterie. Ce nouveau quintet pour sortir de toutes les ornières ou essayer. « Amir » semble dévoiler de nouvelles facettes, pourtant l’ensemble reste baigné dans les deux précédents albums. Les compositions anciennes y gagnent une nouvelle vigueur tout en laissant l’auditeur dans une atmosphère inchangée. Pour qui n’a pas fréquenté Henri Texier depuis ses débuts, n’est pas sensible aux changements de « feeling » de ces compositions. La cause se trouve, étrangement, dans les nouvelles compositions – « Sand Woman » qui donne aussi son titre à l’album, « Hungry Man », « Indians » – qui ne tranchent pas avec l’atmosphère des albums précédents.
On attend de Texier tellement que, lorsque la rupture n’est pas évidente, la déception affleure. Il reste le plaisir. Celui d’entendre un groupe homogène capable de dépasser souvent ses propres limites pour crier au monde qu’il temps que cesse la barbarie.
Nicolas Béniès
« Sand Woman », Henri Texier, Label Bleu distribué par l’Autre Distribution.

Cadeaux à faire ou à se faire.

Le temps d’écouter…

Un anniversaire.

2016 fêtait les 30 ans du « Label Bleu » créé en son temps – 1986 donc – par la Maison de la Culture d’Amiens. Un label qui a connu bien des vicissitudes dont une faillite pour renaître récemment. Pour que la fête soit complète, le Label Bleu a choisi de proposer une carte blanche à Henri Texier, contrebassiste, qui a enregistré une vingtaine d’albums « Label Bleu ».
Henri, 70 ans aux prunes, s’est entouré de musiciens de générations différentes, de Michel Portal à Edward Perraud en passant par Thomas de Pourquery, Manu Codjia et Bojan Z. Il manque la génération d’aujourd’hui pour parfaire le tour d’horizon des compositions d’Henri qui marque son parcours et celui du Label Bleu.
Il est possible de dater chacune des compositions proposées à la mémoire de l’auditeur qui connaît sans reconnaître ces thèmes habités qu’ils sont par de nouveaux musiciens.
Une expérience nécessaire, un album du présent que ce « Concert anniversaire 30 ans à la Maison de la culture d’Amiens ».
Nicolas Béniès
« Concert anniversaire, 30 ans à la Maison de la Culture d’Amiens », Label Bleu/L’autre distribution.

Une rencontre entre un pianiste et une écrivaine.
Agnès Desarthe, on s’en souvient, était tombé sous le charme d’un pianiste de jazz et en avait fait un livre « Le roi René (Odile Jacob), où elle racontait ses rencontres avec René Urtreger. En forme de revanche, le pianiste a fait de l’écrivaine, une chanteuse. Agnès a pris comme référence – non avouée – Julie London, actrice qui savait murmurer des mots d’amour sans prétendre à être une vocaliste de jazz. Julie avait fait un succès de « Cry me a river ».
« Premier rendez-vous » est le résultat de ces entretiens autour du livre. Ce n’est pas un tête-à-tête. Géraldine Laurent, saxophoniste alto, déchirante dés le début sur « The Man I Love » qu’elle transfigure et donne à cette reprise de standards pour l’essentiel, la touche qui, sinon, leur aurait manquée. Une mention spéciale aussi au violoniste Alexis Lograda sur « Le premier rendez-vous » et « La géante » deux originaux et le dialogue violon/saxophone alto. La voix de l’écrivaine déraille un peu de temps en temps mais pas suffisamment pour nuire à ces entretiens musicaux.
Pierre Boussaguet, contrebasse, qu’il faut entendre sur la composition la plus connue de René, « Thème pour un ami » montre qu’il a tout entendu et sait rendre l’âme de cet « ami » ; Simon Goubert, batterie, sait se taire à certains moments, se faire discret à d’autres tout en montrant sa capacité à exprimer le rythme fondamental nécessaire à toutes les aventures de tous ces musicien-ne-s. Et René bien sur, ses mémoires, son jeu de piano qui ne reste jamais ancré dans le passé et un accompagnement curieux qui ressort plutôt de la conversation, un art de plus en plus rare.
« Premier rendez-vous » est un de ces disques qui vous restent dans l’oreille comme un murmure du temps.
N.B.
« Premier rendez-vous », René Urtreger, Agnès Desarthe, Naïve/Musicast

Jazz « Supersonic » Thomas de Pourquery

Vues de l’espace

Que faire lorsqu’un premier album devient « Meilleur Album de l’Année » aux Victoires du Jazz 2014 ? Dissoudre le groupe et aller voir ailleurs si la musique est plus étrange est une des solutions possible. Thomas de Pourquery y a songé pour son groupe « Supersonic » qui avait repris des compositions de Sun Ra dans le bien nommé « Play Sun Ra ». En réaliser un deuxième était un rêve de producteur mais pas celui du saxophoniste alto/chanteur qui voulait vivre de nouvelles aventures. Continuer la lecture

Jazz. Pour tous les opprimés qui dansent au ciel et ailleurs

Danser sur les nuages.

Henri Texier Sky DancersHenri Texier a toujours voulu se renouveler et trouver des sources d’inspiration dans des cultures rencontrées au hasard de son existence. Cultures souvent de populations annexées, colonisées ou tout simplement ignorées. Les « Native Lands » – soit les Indiens d’une Inde confondue par Colomb avec l’Amérique – sont les grands laissés pour compte de ces États-Unis incapables dans le même temps de rompre avec le racisme.
Il fallait soulever la lourde pierre qui ferme l’accès à leur musique, à leur héritage. Ces Nations indiennes ont été très utilisées à la construction des gratte-ciel. Ils n’ont pas le vertige et dansent sur les constructions en fer donnant ainsi l’impression d’être les maîtres des nuages que les gratte-ciel voulaient atteindre. Un truc de mâles : féconder le ciel. Eux se nommaient « Sky Dancers ». Voilà nous dit Henri l’origine du titre de cet album. Qui répond à une autre préoccupation, nous faire danser pour nous faire comprendre que notre sol est un volcan miné par la crise écologique et les mutations climatiques. Continuer la lecture