Facettes de Daniel Zimmermann en dichotomie ?

Le trombone dans tous ses éclats.

Deux albums viennent de paraître qui permettent de dresser un portrait contrasté du trombone jeté dans les eaux troubles du jazz via Daniel Zimmermann, l’un des virtuoses de cet instrument singulier rétif à toutes les cases dans lesquelles on veut l’enfermer.

Le Nilok quartet, créé par le contrebassiste Colin Jore, en 2013 a voulu s’étoffer en conviant un cuivre pour donner plus d’épaisseur à ses compositions originales. Le tromboniste a rejoint ainsi Fabien Duscombs, batteur et Yvan Picault, saxophone ténor, flûte, clarinette basse venus en droite ligne de la scène du jazz toulousaine. Le quatrième instrument du groupe, le piano, est quelque peu inconstant. Pour l’album « A wonder plane to… » c’est Xavier Gainche qui tient le manche, mais, pour les tournées ce serait un autre pilote.
Le quartet tel qu’il est constitué fait feu de tout bois. Une énergie vitale qui tient à la fois d’Albert Ayler et d’Eric Dolphy mais aussi de la danse du corps et de l’esprit pour faire tourner toutes les têtes. Une fois pris, il est impossible de rompre le fil invisible qui vous accroche à cette musique. Le credo serait que la force de la musique, du jazz – le terme doit être utilisé – est la force de l’univers, pour reprendre, à peu près, le titre d’une composition de Ayler. Le trombone lui fait des siennes, se tait puis calme le jeu s’envole vers l’aigu, se bouche et entreprend de raconter sa propre histoire pour rejoindre la transe décidée par le quartet. Il fut un temps on aurait dit que ça groove dans une ambiance funky, aujourd’hui on dira que cette musique réunit toutes les directions du jazz, à la fois le funk, la soul et le free jazz pour commencer à construire une musique d’un 21e siècle qui semble porter le deuil d’un 20e, sans pour autant en tirer le bilan. Entrer dans la danse… sans vous laisser détourner par une pochette artistique certes mais qui ne dit rien des musiciens. Une communication à revoir.
Le deuxième album est signé… Daniel Zimmermann. « Dichotomie’s » pour indiquer les séparations, les divisions du monde, de la musique, du jazz. Le trio, Benoît Delbecq, piano, Rémi Sciuto, saxophone basse et Franck Vaillant, batteur, sait aussi accentuer les oppositions entre les différentes ambiances. La question posée explicitement, avoir le beurre et l’argent du beurre est-ce possible ? projette une ombre sur la dichotomie entre le désir et sa réalisation. Dans « Le monde d’après » se peut-il que la réalité se transforme, que la résolution de la crise écologique, des mutations climatiques se résolvent et avoir le sourire de la crémière pour construire une autre route, parallèle à celle suivie jusqu’ici ? Le trombone qui peut tout autant parler que de s’envoler profite des ambiances suscitées par ses compagnons d’errance et tente de construire un autre environnement. Ils ne veulent éviter ni Rabelais, ni l’électronique, ni la référence à l’Original Dixieland Jazz Band, manière de situer leur place dans le jazz et la musique improvisée. Ils s’amusent à constituer, dans le même temps, un bestiaire curieux, volatile. L’utilisation du saxophone basse permet de lui faire jouer plusieurs rôles, celui de bassiste et celui de soliste. En résulte un dépaysement surprenant. Une musique réflexive et pleine de promesses.
Nicolas Béniès.
« A wonder plane to… », Nilok 4tet & Daniel Zimmermann, Alfred Productions/Orkhêstra ; « Dichotomie’s », Daniel Zimmermann, Label Bleu/L’autre distribution