Jazz, Uni, plus fort le trio

Un trio où 3=1

Réunir un saxophoniste ténor, Frédéric Borey, un organiste, Damien Argentieri, et un batteur, Alain Tissot, pour construire une musique d’ensemble sans leader – même à tour de rôle – est à la fois une leçon de démocratie et de synthèse. L’orgue est, d’habitude, depuis au moins Jimmy Smith, un instrument orchestre, envahissant, empiétant sur tous les autres, là il se coule dans les voix des deux autres pour répondre aux sollicitations et aux questions posées. Le saxophone, instrument roi, accepte ces nouvelles contraintes en laissant planer les esprits de Lester Young, Stan Getz, Wayne Shorter, Larry Young…
Les compositions se placent sur le terrain de la balade pour nous faire marcher en s’arrêtant souvent pour contempler un paysage. Elles, se font murmure pour, soudain, se faire plus agressive, plus revendicative. Le cri, la révolte, sous jacente peut jaillir de l’un ou de l’autre, canalisés par l’ensemble pour rester dans l’architecture générale. Il arrive qu’on perde le fil, le son de chacun des instruments pour sombrer dans un ailleurs forgé par ce trio. Continuer la lecture

Frédéric Borey « Butterflies trio »

Dites-le avec des fleurs;;;musicales.

Frédéric Borey aime le trio cher au cœur de Sonny Rollins, saxophone ténor/contrebasse/batterie qui suppose une mise en commun pour un engagement de tous les instants. Cette modalité de trio a été aussi utilisée par Warne Marsh, saxophoniste un peu oublié mais pas du trio, Damien Varaillon à la contrebasse et Stéphane Adsuar à la batterie.
La proposition est explicite : le vol des papillons en escouade serrée pour butiner les fleurs du jazz qui sont autant de « fleurs du mal » pour inviter à la rêverie, pour sortir, de notre routine qui institue le gris comme seule référence. Le trio survole le monde habituel des conventions pour s’affranchir de la pesanteur, voleter autour de nos habitudes, faire semblant de les respecter pour, par l’intermédiaire d’une violente douceur, faire perdre pied, imposer la lévitation. Continuer la lecture

Jazz, François Bernat et Miles

Pérégrinations autour de Miles Davis.

« Hommage à la musique de Miles » est un titre d’album qui suscite d’abord le rejet. Encore Miles, toujours Miles ! Le cordon ombilical est fait d’un bois dont on ne fait pas de flûtes. Même Alexandre Le Grand semblerait incapable de trancher ce nœud gordien avec son glaive. A l’écoute des arrangements de ce quartet – devenant quintet sur trois titres – par le contrebassiste/leader François Bernat, on s’aperçoit d’avoir raté la subtilité que contient le titre non pas « hommage à Miles » mais « à la musique de Miles », glissement distancié qui fait toute la différence. Le groupe erre et nous fait zigzaguer à l’intérieur des compositions marquées par le génie du trompettiste/chef de groupe.
Bernat et ses compagnons, Frédéric Borey au saxophone ténor, Antonino Pino à la guitare, Olivier Robin à la batterie et Yann Loustalot lorsque le quartet s’élargit en quintet, ne copient pas. Ils laissent l’auditeur reconnaître le thème pour le faire entrer dans l’univers de Miles avec cette familiarité qui s’acquière au fur et à mesure des écoutes successives pour le perdre dans d’inquiétants méandres où il ne se reconnaît plus. Sensation délicieuse de s’égarer dans des contrées que l’on croyait connues. Une visite étrange de trois périodes davisiennes : les débuts avec Parker – « Milestones » -, le « Cool » – « Boplicity » -, le quintet avec Wayne Shorter – « Iris » – sans compter la rencontre avec Gil Evans et avec Jacky McLean pour ce « Little Melonae », le prénom de la fille de McLean, une des grandes compositions du saxophoniste alto new-yorkais.
Cet album est un aboutissement de concerts lors desquels les arrangements ont été rodés. Un véritable travail de studio trop rare en ces temps d’accélération forcenés. Prendre le temps est une des conditions de la réussite est une des manières de résister à cet air du temps souvent catastrophique
Prenez le temps de goûter cette musique qui joue avec le temps, contre le temps pour que la mémoire ne disparaisse pas tout en la conjuguant au présent.
Nicolas Béniès.
« Hommage à la musique de Miles », François Bernat quartet, D’Addario, rens : www.francoisbernat.com

Jazz, une musique qui n’oublie rien.

Mémoires d’avenir

« Lucky Dog » – pourquoi les chiens ne seraient pas heureux ? – est un groupe à géométrie variable fondé par le saxophoniste, ténor et soprano, Frédéric Borey. Il suit la voie ouverte par le groupe de Don Cherry, « Old and New Dream », une devise qui lui sied à merveille. Lui et ses compagnons, qu’il entraîne dans son infortune, nous baladent entre vieux et nouveaux rêves, dans un espace qu’ils arrivent à rendre particulier et qui demande à être visité. Chacun, dans le groupe à la fois suit son inspiration et la partage avec les trois autres pour créer un son d’ensemble. Manière de lier l’individuel et le collectif en processus créatif. Continuer la lecture

Picasso rencontre un trio de jazz

Peinture et musique.Quel rapport entre Picasso – plus exactement quelques-unes de ses œuvres – et un trio qui s’appelle « Unitrio », une redondance pour affirmer le primat du collectif sur l’individuel tout en permettant aux individus – Damien Argentieri à l’orgue, Frédéric Borey au saxophone ténor et Alain Tissot à la batterie – de s’exprimer à la fois comme soliste et comme compositeur. Continuer la lecture

Le temps d’écouter, la sélection de CD de jazz de Nicolas Béniès

Vagabondages entre passé et présent

La collection des grands concerts parisiens
fa5619propose d’entendre Count Basie pour des concerts enregistrés à l’Olympia en 1957, au Palais de Chaillot en 1960 – il faut lire la rescription de l’arrivée massive de ces êtres dégénérés, en habits impossibles à décrire, se vautrant sur les fauteuils devant le regard effaré des ouvreuses habituées aux habits de soirée que fait Julio Cortazar dans les Cronopes et les Fameux – et encore à l’Olympia en 1962 dans le cadre des émissions d’Europe 1 « Pour ceux qui aiment le jazz » de Franck Ténot et Daniel Filipacchi. Des ambiances souvent survoltées, une communion entre l’orchestre et les publics, une musique toujours jeune. Michel Brillié – co-dirigeant de cette collection avec Gilles Pétard – s’essaie à tracer un portrait de Basie trop flou, trop imprécis. Il ressort de ce texte un enthousiasme pour l’art du chef d’orchestre et pianiste, maître du tempo, qui fait plaisir à lire sans que les informations réunies ici soient suffisantes.
« Basie Count 1957 – 1962, live in Paris, La collection des grands concerts parisiens », coffret de deux CD, Frémeaux et associés. Continuer la lecture

JAZZ, Faire frucifier l’héritage

Pianoless quartet

Un quartet sans piano ? Une des réponses possibles, Gerry Mulligan avec Chet Baker ? Mais là, vous auriez tout faux. Pour ce qui est des références. Non pas que Yoann Loustalot ; le trompettiste du groupe, refuserait l’influence de Chet mais, à l’écoute, nous pencherions plutôt de Don Cherry mâtiné – c’est difficile à éviter – de Miles Davis et un peu d’Art Farmer pour la douce sonorité du bugle. Don Cherry ? Vous êtes sur la voie. Le pianoless quarter est plutôt celui de Ornette Coleman de ces années 60 où il recevait un tombereau de légumes divers lui évitant de faire le marché…
Lucky DogFrédéric Borey, l’âme de ce quartet et saxophoniste ténor, a décidé de faire vivre cette musique, cette tradition sans copier les illustres ancêtres. Ses compositions, comme celles de Yoann Loustalot, dessinent un monde différent de celui des années 60. l’angoisse, l’incertitude profonde qui marque notre environnement, les mutations climatiques, écologiques obligent à s’interroger sur notre avenir. Yoni Zelnik, bassiste rigoureux et gardien du rythme permet à chacun de pouvoir s’envoler tandis que Frédéric Pasqua dessine des climats à l’image de Billy Higgins chez Ornette.
Appeler son groupe « Lucky Dog » en affichant un chien à l’œil triste qui pourrait vous sauter à la gorge pour calmer sa peine, sa mélancolie mais ce peut-être aussi – comme le laisse deviner le recto de la pochette – un appel à la tendresse, à la caresse, sorte d’oxymore qui décrit bien le contexte dans lequel nous nous agitons, la barbarie qui tente d’envahir notre quotidien. Suffirait-il de renouer avec la fraternité.
Cette musique est drôle, intelligente, caressante et inhumaine faite de ce rire qui provient autant de l’angoisse que de l’allégresse.
A découvrir et à suivre. Ils sont en concert en ce moment.
Nicolas Béniès.
« Lucky Dog », Fresh Sound New Talent.