Jazz, une musique qui n’oublie rien.

Mémoires d’avenir

« Lucky Dog » – pourquoi les chiens ne seraient pas heureux ? – est un groupe à géométrie variable fondé par le saxophoniste, ténor et soprano, Frédéric Borey. Il suit la voie ouverte par le groupe de Don Cherry, « Old and New Dream », une devise qui lui sied à merveille. Lui et ses compagnons, qu’il entraîne dans son infortune, nous baladent entre vieux et nouveaux rêves, dans un espace qu’ils arrivent à rendre particulier et qui demande à être visité. Chacun, dans le groupe à la fois suit son inspiration et la partage avec les trois autres pour créer un son d’ensemble. Manière de lier l’individuel et le collectif en processus créatif. Continuer la lecture

1+1+1=3=1

JAZZ (3)

Le trio, un combat pour l’égalité.

georgelet_zelnik_chesnelUn trio, ici un piano – François Chesnel qui s’affirme comme l’un de ceux qui savent faire vivre les temps du jazz -, une contrebasse – Yoni Zelnik, maître du temps tout en conservant un son rond et une musicalité intacte capable de faire vivre même un air des Beattles pourtant fatigué – et une batterie – David Georgelet qui s’est choisi Shelly Manne comme influence première en privilégiant les balais pour donner à la batterie une place mélodique, pour être un interlocuteur à part entière -, un trio donc et un vrai qui permet à chacun de converser tout en formant un ensemble. Une sorte de quadrature du cercle que ce triangle. L’inspirateur premier est évidemment Bill Evans et ce trio mythique de la fin des années 60 avec Scott LaFaro et Paul Motian. Ce dernier nous a récemment quittés et cette manière de jouer la batterie nous le rappelle et renforce l’émotion ressentie à l’écoute de cette musique qui se donne en douceur, mais cette douceur recèle une violence étrange qui se découvre à chaque écoute. Il est tout autant loisible de penser la référence à Keith Jarrett et à son trio, DeJohnette et Peacok.
Toutes ces influences quasiment revendiquées n’empêchent pas les trois lascars de construire leur propre territoire. Ils réussissent une sorte d’art de la conversation plus difficile qu’on ne le croit. Laisser s’exprimer l’autre pour réaliser un consensus qui donne tout son sel à ces réalisations.
Commencer par cette composition de Monk « Think of one », penser comme un même s’ils sont trois, est tout un programme et un programme tenu. Monk est celui par qui tout commence et finit. Monk reste inscrit dans notre monde, dans notre entrée dans la modernité. « Ugly Beauty » repris aussi est une sorte de définition de l’esthétique du jazz, cette beauté laide ou cette laide beauté devrait susciter – comme tout oxymore – des tonnes de réflexions. Le trio nous en offre une pour dépasser les antagonismes, penser la musique comme un résultat issu de processus multiples qui inclut la laideur.
« The Wee Small Hours » est le titre d’un standard et celui de cet album qui vous restera dans l’oreille comme la nostalgie d’un futur…
Nicolas Béniès.
« The Wee Small Hours », Georgelet, Zelnik, Chesnel, Petit Label, contact@petitlabel.com

JAZZ, Faire frucifier l’héritage

Pianoless quartet

Un quartet sans piano ? Une des réponses possibles, Gerry Mulligan avec Chet Baker ? Mais là, vous auriez tout faux. Pour ce qui est des références. Non pas que Yoann Loustalot ; le trompettiste du groupe, refuserait l’influence de Chet mais, à l’écoute, nous pencherions plutôt de Don Cherry mâtiné – c’est difficile à éviter – de Miles Davis et un peu d’Art Farmer pour la douce sonorité du bugle. Don Cherry ? Vous êtes sur la voie. Le pianoless quarter est plutôt celui de Ornette Coleman de ces années 60 où il recevait un tombereau de légumes divers lui évitant de faire le marché…
Lucky DogFrédéric Borey, l’âme de ce quartet et saxophoniste ténor, a décidé de faire vivre cette musique, cette tradition sans copier les illustres ancêtres. Ses compositions, comme celles de Yoann Loustalot, dessinent un monde différent de celui des années 60. l’angoisse, l’incertitude profonde qui marque notre environnement, les mutations climatiques, écologiques obligent à s’interroger sur notre avenir. Yoni Zelnik, bassiste rigoureux et gardien du rythme permet à chacun de pouvoir s’envoler tandis que Frédéric Pasqua dessine des climats à l’image de Billy Higgins chez Ornette.
Appeler son groupe « Lucky Dog » en affichant un chien à l’œil triste qui pourrait vous sauter à la gorge pour calmer sa peine, sa mélancolie mais ce peut-être aussi – comme le laisse deviner le recto de la pochette – un appel à la tendresse, à la caresse, sorte d’oxymore qui décrit bien le contexte dans lequel nous nous agitons, la barbarie qui tente d’envahir notre quotidien. Suffirait-il de renouer avec la fraternité.
Cette musique est drôle, intelligente, caressante et inhumaine faite de ce rire qui provient autant de l’angoisse que de l’allégresse.
A découvrir et à suivre. Ils sont en concert en ce moment.
Nicolas Béniès.
« Lucky Dog », Fresh Sound New Talent.