Le polar dans ses modes

Polar politique
« Les morts de Beauraing » est en prise avec les réalités déformées qui nous servent d’environnement. Un attentat a eu lieu dans cette agglomération bruxelloise. Il a visé la communauté catholique et le banc des accusé.e.s est rempli de jeunes belges attirés par le djihad. Un choc. Yves Demeulemeester et Leopold Verbist, associés dans une petite agence de presse, décident d’enquêter. Et la vision simpliste d’un ministre de l’intérieur perd de sa netteté. Se mêlent à eux, une militaire d’active, Ingrid Mertens, qui veut venger la mort de son fils adoptif pour faire imploser toutes les données et faire jaillir d’autres pistes, d’autres intérêts de groupes qui n’ont aucun respect pour la vie humaine et veulent servir Dieu, le grand diviseur de notre temps. Les responsables ne sont pas là où tout le monde regarde. Continuer la lecture

Roman, récit et travail de mémoire


« Seulement, la mémoire, il faut la faire vivre, ne pas la figer, elle doit surtout aider à comprendre »

Le titre est une citation de « Dessous la dure écorce », de Louise Pommeret, qui pourrait aussi servir, et peut être plus encore, pour « L’étoile manquante » de Laurence Lacroix-Arnebourg. Que ce soit en relation avec un père victime d’un travail empoisonnant, un cancer, et de paysages menacés du pays des sucs volcaniques pour balayer histoire et mémoire ou de vies oubliées dans le contexte de la chasse aux Juifs mis en place par le Régime de Vichy, il est question de notre héritage commun, de notre passé jamais dépassé pour construire un avenir. Les deux autrices savent faire vivre des personnages qui incarnent les nécessités du travail de mémoire. Les femmes, oubliées des histoires comme de l’Histoire, font montre de leur capacité de résistance souvent silencieuse pour organiser la survie. La lutte est nécessaire contre toutes les tentatives de falsification, contre tous ces projets dont le but ultime est de faire du profit sans tenir compte de notre environnement, de notre construction mémorielle.
Deux récits – plus juste que roman – qui viennent illustrer la nécessité de conserver vivants notre patrimoine et matrimoine. Il faut se plonger dans la saga d’une famille avant et après l’Occupation comme dans le combat contre la maladie et les promoteurs pour comprendre le passé et en faire une arme pour construire un futur.
N.B.
« L’étoile manquante », Laurence Lacroix-Arnebourg, Atlande ; « Dessous la dure écorce, Louise Pommeret, L’Aube éditions.

D’un western à un simili coup d’État : deux visages du polar à travers les âges

Un auteur à découvrir
W.R. Burnett est toujours à redécouvrir comme auteur de polars, de ces romans noirs qui racontent la pègre de Chicago mais surtout de ces figures d’hommes perdus entre des mondes qu’ils ne comprennent pas poursuivis par un sens de l’honneur désuet. Une partie de son œuvre a été oubliée. Il fut aussi, outre scénariste, auteur de « Western », forme de romans spécifiquement américaine, connue surtout par le cinéma.
La réédition de « Saint Johnson », écrit en 1930, vient à point pour mettre en valeur le talent de Burnett dans cette catégorie. La base de son récit, comme il l’indique dans une note, est la légende du « Règlement de comptes à OK Corral » opposant, à Tombstone (Arizona), deux clans celui des Earp – Wyatt, une figure de l’Ouest, Marshall, dans le livre Wayt Johnson – et celui des Clanton. Le premier chapitre est remarquable. Pas de description du contexte. Une entrée directe dans le monde de ces années d’après guerre de Sécession. Les fortunes et les morts fleurissent, les soûleries brossent le paysage des rues de la ville, prospecteurs et cow boys se partagent les rôles de figurants et Johnson se retrouve seul sur son cheval dialoguant avec les étoiles, personnage traditionnel asocial cher à Burnett même s’il semble du côté de la loi. Propriétaire d’un tripot, il n’est pas dépendant de son salaire contrairement au shérif élu par les habitants et corrompu. La route continue, encore et encore, encore et encore une autre ville, une autre histoire. Figure de la loi et de l’ordre, Johnson est condamné à l’errance, d’aller voir ailleurs s’il peut trouver une place… Le prisme de Burnett est celui de l’individu dans un monde qu’il ne comprend pas sans référence à la lutte des classes. Continuer la lecture

L’extrême droite comme objet d’étude pluridisciplinaire

Un essai nécessaire et stimulant

« Les masques de l’extrême droite » est à la fois une mise en garde contre les illusions des discours, des costumes – dans tous les sens du terme – et des transformations des apparences autant physiques, le choix des couleurs par exemple, que de la rhétorique, le choix des mots pour masquer l’orientation inchangée de l’extrême droite. Le rapport à Poutine – dont ne parle pas Raphaël Llorca, la guerre intervient après la publication du livre – clarifie la stratégie de Marine Le Pen comme d’Eric Zemmour. Continuer la lecture

Ahmed Tiab dans « Vingt stations » (Éditions de l’Aube), mémoire de l’Algérie.

Algérie, la décennie noire

Oran peut-être de nos jours. Un homme monte dans un tramway. Il fera le tour de la ville en « Vingt stations », le titre de ce voyage à la fois dans la ville qui a beaucoup changée livrée aux promoteurs et dans sa mémoire tout en regardant les populations différentes de chaque station dévoilant des inégalités profondes découpant la ville. La mer devient fantomatique dans ce parcours d’un homme mort-vivant dans les affrontements de la « décennie noire ». Les assassinats se sont multipliés – s’en souvient-on encore ? – laissant toutes les populations algériennes en quête de lumière et de justice. Le gouvernement a préféré « faire comme si » il ne s’était rien passé s’abritant derrière une soi-disant « réconciliation nationale » pour rétablir l’ordre d’un pouvoir qui a perdu sa légitimité. Continuer la lecture

Polar écologiste en Australie

Découvrir l’absurdité du monde.
Pascal Vatinel dans « Le chant des galahs » fait pénétrer à la fois dans la région quasi désertique de Goldfields-Espérance, en Australie, dans les us et coutumes des Aborigènes et dans la prise de conscience d’un policier honnête qui découvre son pays et ses corruptions comme ses préjugés meurtriers. Continuer la lecture

Polar milanais

Milan, mélanges de noir et de rose.

Alessandro Robecchi, qui n’a pas renié son passé – il fut «éditorialiste pour Il Manifesto -, dresse le portrait de Milan, une ville italienne considérée comme bourgeoise mais abrite des secrets redoutables. Il met en scène un de ces auteurs de téléréalité qui se pensent de gauche parce qu’ils analysent ce qu’ils proposent aux téléspectateurs comme de la merde mais qui font de larges audiences et eux gagnent beaucoup d’argent. Carlo Monterossi est de ceux là. Alessandro ne craint de se moquer de son personnage dont il souligne avec une verve sauvage et chargée de venin, tous les travers. Continuer la lecture

Le coin du polar. Europe du Nord et La City

Le polar s’emmêle. Stefan Ahnhem décrit une société à la fois gangrené par le racisme anti losers et par les séquelles d’un autre âge, métaphore de la sociologie de ces pays froids et Pascal Canfin se voudrait auteur de polar pour décrire un monde de la finance sans foi ni loi sauf celle de « faire » le plus d’argent à court terme sur fond de tension géopolitiques.

Jeux de rôles meurtriers et un congélateur
L’Europe du Nord n’en finit pas de faire découvrir de nouveaux auteurs de polars souvent à la limite du thriller sans la mécanique du genre qui fait désespérer de l’écriture. Stefan Ahnhem est le dernier arrivé mais déjà il bat des records de vente, dans son pays, la Suède, et un peu aux États-Unis. « Moins 18° » est le dernier traduit en français. Une double enquête se déroulant des deux côtés du détroit d’Oresund séparant la Suède du Danemark avec une place particulière, on le comprendra, pour le ferry qui effectue la navette entre les deux rives. Le passage d’un pays à l’autre est un facteur d’extraterritorialité qui ouvre la porte à tous les excès en donnant un sentiment d’impunité. Continuer la lecture