Le précaire, un nouveau statut dans le salariat ?
Le point de départ des analyses de la précarité se trouvent en deux ouvrages fondateurs qui tous deux voulaient lutter contre le concept caoutchouteux d’exclusion, très à la mode dans les années 1970-80, qui ne permettaient pas de situer la question. Robert Castel dans « Les métamorphoses de la question sociale » (Fayard, 1995 réédité en Folio) créait le concept de « désaffiliation » pour indiquer les salariés sans statut, de ces statuts construits dans la période 1955-1975 par les droits du travail et de la Sécurité sociale et Serge Paugam celui de « disqualification sociale », dans le livre qui porte ce titre (PUF, 1991).
Ces théorisations s’inscrivent à la fois dans le contexte économique, le changement de période dans l’histoire du capitalisme qui s’ouvre en 1974-75 – soit la fin des « 30 glorieuses » – et dans un ensemble de théorisations portant sur les formes de l’Etat-providence, plus exactement du « Welfare State ». L’essai de Gosta Esping-Andersen, « Les trois mondes de l’Etat-providence » (PUF, 1999) est l’une des références essentielles. La forme sociale de l’Etat va de pair avec la construction de solidarités collectives, de droits égaux pour toutes et tous.
Le livre collectif, « Précarités : contraintes et résistances », poursuit dans la voie ouverte par ces sociologues. Il se termine par une interview de Robert Castel en forme de synthèse de ses travaux et s’ouvre par une contribution de Serge Paugam qui s’attaque à une définition du concept de « pauvreté » pour compléter celle de Simmel. L’assistanat qui est la marque de la pauvreté, s’entremêle avec l’emploi pour faire accepter des situations de sous-emploi. Le terme d’activité qui remplace celui d’emploi est très révélateur de cette évolution. L’angoisse de la pauvreté joue aussi son rôle dans la dégradation des conditions d’emploi, de travail, de salaire et, plus globalement comme y insiste les auteurs, des conditions de vie.
Actualiser la réflexion sur les précarités – et le pluriel est d’importance- est une nécessité pour tout le mouvement syndical. Cette précarité envahit tous les domaines. Elle supporte plusieurs définitions ressortant de domaines différents. Domaine de l’emploi, le salarié précaire est celui qui n’a pas de CDI, de contrat de travail à durée indéterminée ou n’est pas fonctionnaire dans les fonctions publiques ; domaine du travail, un travail inintéressant, en deçà des qualifications ou l’impossibilité de se réaliser dans son travail ; domaine du quotidien, des modes de vie devenus incertains, un équilibre déséquilibré dans une absence de futur où l’individu est déstructuré.
Le concept de précarité s’explique par les remises en cause des acquis sociaux qui avaient été obtenus dans la période allant du milieu des années 50 aux années 1970, dans cette onde longue à tendance expansive où la croissance était au rendez-vous. L’entrée dans l’onde longue à tendance récessive en 1974-75 change la donne. L’objectif des capitalistes est désormais d’augmenter le profit en diminuant la masse salariale totale qui passe par la déstructuration de ce « welfare state » et un retour – Marx le décrivait dans « Le Capital » – à la volonté de précariser l’ensemble des salariés. Les gouvernements se serviront du chômage de masse pour faire accepter ces attaques. Toutes les mesures de traitement social du chômage iront dans le sens d’un plus grande précarisation. Le RSA, dernier avatar, est marqué par le libéralisme, un revenu contre de l’activité.
L’autre intérêt de cet ouvrage – la deuxième partie – est d’aborder les aspects de la précarité dans la vie en dehors du travail. Les conséquences sur la vie de famille, sur les relations avec les autres, sur le regard de la société, un regard qui évolue en fonction des cycles économiques courts de récession ou de reprise. La troisième partie rend compte des résistances nécessaires à l’affirmation de sa dignité. C’est aussi dans les mobilisations collectives que s’effectue la prise de conscience d’intérêts communs.
Nicolas Béniès.
« Précarités : contraintes et résistances », sous la direction de Daniel Bertaux, Catherine Delcroix et Roland Pfefferkorn, L’Harmattan/Logiques sociales 263 p.