Polar, Faire vivre toutes les mémoires


Série cracovienne

Maryla Szymiczkowa poursuit Sofia Turbotynska dans sa découverte d’elle-même, de son environnement dans sa ville de Cracovie en cette fin du 19e – partie de l’empire austro-hongrois – à travers des enquêtes à la mode Agatha Christie, inspirée des grands romanciers polonais. Après « Mme Mohr a disparu » consacré à la petite bourgeoisie et à ses modes de vie et ses préjugés, « Le rideau déchiré » – un titre de Hitchcock – s’attache à un début de prise de conscience de Sofia sur la réalité du bourbier qu’est la ville via des plongées dans le quartier juif et les récits de prostituées.
Le point de départ, le meurtre de sa femme de chambre, Karolina. Sofia enquête. Les soupçons se portent sur un jeune révolté que la police tue sans autre forme de procès qui ne l’empêche pas de poursuivre pour faire surgir un pacte de corruption, avec l’aide du procureur.
Plus enlevé que le précédent, apuré sans doute de quelques références qui avaient tendance à alourdir le style, l’intrigue elle-même gagne en profondeur. Sofia commence à se séparer de son milieu pour appréhender un monde qu’elle ne connaissait pas et se livre à ses yeux étonnés. Continuer la lecture

Polar portugais un brin chinois

Coïncidences ?
« Château de cartes » mettait en scène le journaliste portugais Marcelo Silva qui dressait un tableau de la corruption existante dans les élites de son pays. Exilé volontaire à Berlin, il a le mal du pays et revient à Lisbonne. Il n’est plus journaliste, il n’est plus rien et va se trouver au cœur de toutes les intrigues, aucun gangster, policier, politicien ne croît aux coïncidences. « La Grande Pagode », références évidentes aux luttes politiques et économiques que se livrent la mafia chinoise et le gouvernement chinois sur le sol portugais pour consolider leurs positions. Au moment où Marcelo débarque, la ministre chargée de la signature du traité avec le gouvernement chinois qui doit sauver les finances est mouillée dans un chantage du chef de la mafia chinoise et doit démissionner. Son chauffeur a été tué et on ne sait par qui.
Son amour, une journaliste a écrit un livre interdit de lecteur, le fils de la ministre est amoureux de la journaliste et dépend un peu trop de sa mère… toutes les intrigues se nouent au nez et à la barbe de Marcelo qui n’y comprend goutte. Nous non plus mais on le suit. D’autant qu’il nous fait visiter Lisbonne, qu’il nous régale des plats traditionnels et des sites importants pour faire aimer sa ville. Presque en dehors de lui, il dévoile des lambeaux d’un pays en train de se laisser dévorer par des appétits contradictoires. Les assassinats viennent ponctuer ces histoires, racontées avec la drôlerie et l’humour de quelqu’un qui ne se sent pas concerné, du moins pas totalement. Il se laisse envahir par ses souvenirs, ses émotions qui l’empêchent d’avoir une vision rationnelle du contexte.
Rafraîchissant par sa construction faite de rencontres aléatoires mais cohérentes, ce polar qui ne dit pas son nom décrit une société prise en étau par des forces extérieures liées à un système de corruption internes dans un Portugal réel et fictif tout à la fois. Le drame se noue dans les rencontres, le journaliste servant de réceptacle sans jouer véritablement un rôle actif. Miguel Szymanski fait preuve d’une grande perversité en livrant son héros aux forces obscures et mystérieuses du hasard et des coïncidences tout en permettant d’apercevoir le contexte. Du grand art, même si, parfois, il cède un peu trop à la tentation de s’arrêter dans cette ville qu’il aime.
Nicolas Béniès
« La Grande Pagode », Miguel Szymanski, traduit par Daniel Matias, Éditions Agullo.

Le coin du polar… polonais

La Pologne réelle, corruption à tous les étages

Wojciech Chmielarz est un des grands auteurs « noirs » polonais. « La Colombienne », son livre précédent, avait présenté ses deux doubles révoltés Mortka, l’inspecteur chargé des enquêtes – dit le « Kub » -, et son équipière, le lieutenant Suchocka – dite « La Sèche » – que l’on retrouve dans cette nouvelle enquête à tiroirs, inscrite cette fois dans le marigot politique.
Une jeune femme d’origine ukrainienne, journaliste en herbe et baby-sitter d’un politicien retiré, viré par ses pairs pour corruption, un mal très répandu, qui cherche à revenir sur le devant de la scène politique. Le tout se passe dans « La Cité des rêves », qui donne son titre au roman, un ensemble huppé avec gardien et jardin intérieur. Continuer la lecture

Polar, l’Est raconte…

A l’Est que du nouveau.

Du côté de Varsoviee
Zygmun Miloszewski est salué, à juste raison à la lecture de « Te souviendras-tu de demain ? », comme un romancier qui compte. Il met en scène un couple de vieux amants mariés, Ludwik et Grazyna, vivant de nos jours à Varsovie. Par un mirage miraculeux, ils se trouvent reportés dans le temps, dans un Varsovie de 1963 sans rien perdre de leur mémoire de femme et d’homme de 80 ans. Le décalage est grand. Leurs souvenirs du temps de leur jeunesse ne leur servent pas totalement. La Pologne, Varsovie n’est pas tout à fait la même. Le pouvoir n’appartient pas au Parti Communiste qui se trouve dans l’opposition et offre, du coup, une alternative au pouvoir en place lié à la France. Les deux amants se perdront-ils totalement ? Rien n’est sur, l’incertitude reste le lot de tous les personnages qui tentent de surnager dans un univers décalé. L’uchronie, procédé à la mode – avec des « si », ce serait une autre Histoire – permet à l’auteur de dresser un portrait actuel de cet ville étrange qu’est Varsovie.
Une fois ouvert, l’intrigue colle au cerveau et le livre ne se referme qu’à la dernière ligne qui laisse encore l’esprit vagabonder pour essayer de saisir les données nécessaires à une explication rationnelle. Un travail obligé. Plongée dans Varsovie revue et corrigée est une expérience qui ne vous laissera pas tranquille. A lire de toute urgence.
N.B.
« Te souviendras-tu de demain ? », Zygmun Miloszewski, traduit par Kamil Barbarski, Fleuve éditions.

Et de celui de la Slovaquie.
Dans ce relatif jeune pays, issu de l’éclatement de la Tchécoslovaquie, le roman noir n’avait , paraît-il, pas de représentant, pas d’auteur. Arpad Soltesz, journaliste de son état, vient combler ce vide. Et de magistrale façon. « Il était une fois dans l’Est » est une saga complexe dont le centre est constitué par les agissements de la police secrète nommée « SIS ». Le révélateur de l’enchevêtrement des corruptions est, forcément, un journaliste qui mène l’enquête avec le concours de policiers qui se veulent intègres. Le point de départ, un enlèvement et un viol d’une adolescente qui trouve les ressorts nécessaires pour s’échapper. S’ensuit un, imbroglio de pressions, de détournements, d’accusations, d’arrestations, de juges truands, d’avocat véreux pour dessiner une fin de 20e siècle plus grise que noire et ouvrir la porte à un 21e siècle qui ne vaut guère mieux.
Soltesz, avec humour et un peu de distance, refuse la coupure des bons et des méchants. Les personnages apparaissent dans leurs contradictions, dans leurs rôles divers mariant le crime et la philanthropie. Il donne une image « grise » de la Slovaquie faite de trafics d’hommes et de femmes pour truander l’Union Européenne et ses subventions, via la communauté Tsigane, sans se préoccuper du sort des individus. Et si la police secrète était la seule à avoir le souci de l’ordre public, une morale même sans contrôle démocratique ? Question redoudable s’il en fut.
Souvent un peu lourd, indigeste dans la volonté de tout décrire, le roman se dévore pourtant tout en interrogeant sur le monde tel qu’il ne va pas.
La Slovaquie s’inscrit désormais comme un des pays importants du roman noir.
Nicolas Béniès
« Il était une fois dans l’Est », Arpad Soltesz, traduit par Barbora Faure, Agullo éditions.