Videz vos poches. (Re)lire les classiques

Anniversaires

Flaubert, 200 ans et toujours vivant
« La tentation de Saint Antoine » est un projet qui a suivi l’auteur à partir de 1848. Il écrira que « Saint Antoine n’est une pièce, ni un roman non plus. Je ne sais quel genre lui assigner. » Disons, avec Gisèle Séginger, autrice de la présentation et du dossier, qu’il s’agit d’une œuvre totale, peut-être poétique surtout. De quoi redécouvrir cet auteur lié trop souvent au scandale de « Madame Bovary », même s’il avait dit, provocateur, « Emma c’est moi ».
« La tentation de Saint Antoine, GF.

51 ans après
Jean Giono est mort le 8 octobre 1970. La célébration des 50 ans s’est heurtée au confinement. Folio avait réédité « Le hussard sur le toit », avec une belle couverture noire pour signifier sans doute que l’auteur, qui parlait d’une épidémie de choléra, avait anticipé le COVID. Il faut regretter des caractères trop petits mais les réactions décrites sont « actuelles ».
Folio avait aussi réédité le portrait d’un « Giono, furioso » par Emmanuelle Lambert, prix Fémina 2019, vivant et loin des clichés
« Le hussard sur le toit », « Giono Furioso », Folio. Continuer la lecture

Explorations dans Le Capital de Marx

Sous « Le Capital », un monde s’agite

Le livre I du Capital et particulièrement la Section I suscitent souvent d’étranges réactions allant jusqu’à proposer de la lire quasi à la fin (cf. la préface de Althusser à la réédition en poche chez Flammarion) ou de ne pas la lire du tout en fonction de sa difficulté. La réputation d’illisibilité sert de prétexte pour éviter de se confronter à Marx. C’est une erreur pour plusieurs raisons. La première tient à la nécessité – ne serait-ce que pour le critiquer – de connaître les concepts, les « abstractions réelles » dit-il – et la méthode d’analyse du capitalisme. Et, dans le même temps, de fréquenter l’un des grands penseurs de notre monde moderne.
Comme si ce n’était pas suffisant, Serge Ressiguier propose dans « Marx en liberté » une autre entrée bien résumée dans son sous-titre « Humour et imaginaire dans Le Capital (Livre I, section 1 à 3) » en éclaircissant toutes les références soit des auteurs classiques – Virgile, Suétone par exemple – soit de la Bible, en insistant sur les figures de style. Il nous fait visiter les mythologies et les contes que citent Marx, met en évidence les associations, comparaisons, métaphores, personnifications et prosopopées pour indiquer ce qu’elles induisent quant à la compréhension de la pensée de Marx. Last but not least, il souligne les références des citations explicites ou implicites présentes dans le texte.
Le plaisir est double. D’une part les concepts s’animent d’une vie propre. La marchandise, ce condensé de Capital, prend différents aspects, s’incarne dans des images pour passer d’une chose à un rapport social. D’autre part, c’est quasiment un cours de culture générale. Marx n’est pas pour rien un grand penseur. Dans la traduction de Roy qu’il a corrigée, il réécrit en partie pour le lecteur français.
Une introduction qui s’adresse au plus grand nombre pour oser lire, enfin, Marx. On peut regretter que l’auteur, dans une volonté compréhensible de mettre Marx au présent, se livre à quelques raccourcis.
Nicolas Béniès
« Marx en liberté », Serge Ressiguier, Le temps des cerises, 20 euros.
Le Livre I du Capital a bénéficié en 2016 d’une nouvelle traduction de Jean-Pierre Lefebvre aux Éditions sociales, Folio, en deux volumes, a publié les trois livres du Capital reprenant l’édition de La Pléiade.

Une référence ?

Comment battre le virus ?
Ludmila Oulitskaïa a écrit ce scénario, « Ce n’était que la peste », en 1988. Il part d’une histoire réelle à Moscou en 1939. Un biologiste, Mayer, travaille sur la souche de la peste. Et il contamine 800 personnes qui assistaient à sa présentation. Le NKVD – la police politique de Staline – intervient, confine, isole, tue si nécessaire pour éviter la propagation. Et y réussit ! Au prix de la légitimation de la répression et de toutes les remises en cause des libertés. La question posée à toutes les démocraties d’aujourd’hui. Faut-il, pour combattre le virus, bafouer les libertés ?
Nicolas Béniès
Ce n’était que la peste, Ludmila Oulitskaïa, traduit par Sophie Benech, Gallimard.

Sur l’Art Ensemble of Chicago

Histoire d’un groupe de jazz

L’Art Ensemble Of Chicago a été découvert à Paris au début des années 1970. Toute une génération a été biberonnée à sa musique qui, par ses mémoires en acte, a fait pénétrer dans tous les mondes du jazz. Ces quatre – Joseph Jarman et Roscoe Mitchell aux saxes, Lester Bowie à la trompette, Malachi Favors à la basse – dans l’ordre d’apparition sur la scène parisienne, puis 5 avec l’ajout de Don Moye aux percussions ont joué un grand rôle dans la compréhension du jazz. Partie prenante de l’AACM – Association for the Advancement of Creative Musicians –, association de Chicago pour rendre les musiciens créatifs, ils revendiquent un projet politique, démocratique et social. Paul Steinbeck, dans « The Art Ensemble of Chicago », fait, bizarrement, œuvre de pionnier en signant la première étude du groupe. A l’américaine : en multipliant les citations, les témoignages, une manière un peu lassante parfois mais qui redonne vie à un groupe phare. Il ne faut pas le rater si vous voulez appréhender un peu de ces années de feux.
Nicolas Béniès
« The Art Ensemble of Chicago », Paul Steinbeck, préface et traduction de Ludovic Florin, postface de Alexandre Pierrepont, Presses Universitaires du Midi (PUM)
NB Il faut saluer la volonté de Ludovic Florin de faire connaître les travaux sur le jazz.
On trouvera les recensions du travail d’Alexandre Pierrepont sur ce site.

Du jazz par tous les bouts

Un nouveau label pour un objet étrange.
Phonofaune se lance… et atteint sa cible

Phonofaune propose deux livres disques qui posent la volonté d’éclectisme du label tout en voulant réunir paroles et musiques. Le premier, « Artisticiel », se veut « Cyber-improvisations et réunit Bernard Lubat au piano dialoguant avec deux machines, des logiciels conçus par Gérard Assayag et Marc Chemillier dans le cadre de l’IRCAM. Un résultat étrange qui interroge le concept même d’improvisation et la manière de faire de la musique. Le livre est un modèle du genre. Un texte de George Lewis explique ses relations avec les machines, lui aussi dans le cadre de l’IRCAM, et les auteurs des logiciels explicitent leurs projets. A lire, à commenter, à poursuivre. Continuer la lecture

Deux témoignages, blues et jazz

Sur les premiers temps du blues et du jazz
Robert Johnson et Louis Armstrong

Annye C. Anderson fait partie de la deuxième génération de la fin de l’esclavage. Elle sait raconter son enfance qu’elle a passé aux côtés de Robert Johnson, le musicien qui en l’espace d’enregistrements réalisés en 1936-1937, peu avant sa mort – il n’avait pas 30 ans – a révolutionné les mondes du blues en les unifiant. Il est une des grandes références encore aujourd’hui. Ses poèmes sont toujours chantés dont ce « Sweet Home Chicago » qui se retrouve dans le film « Blue Brothers » de John Landis. « Mon frère Robert Johnson », le titre du livre, est un témoignage de la vie des Noirs dans ce sud raciste des États-Unis. Le chapitre « La vie posthume de Robert Johnson » est une charge contre les « escrocs » qui se sont appropriés son œuvre. Un témoignage intéressant au-delà même de Johnson. Continuer la lecture

Un pianiste, un parcours

Un récital comme une plongée dans les mémoires

Pour ce double album, le pianiste Jimin Oh-Havenith nous convie à un voyage étrange dans le temps, en mêlant les pièces très connues du répertoire comme le « Prelude in C major » de Bach qui ouvre l’album avec d’autres qui restent dans la pénombre comme « Le bananier » de Gottschalk ou « Für Alina » de Pärt, qui termine l’album, une composition de 1976. Le titre « Known » – connaître – s’inscrit dans « Now » – maintenant. Tout un programme. Le pianiste revisite tous les thèmes en construisant des sortes de ponts entre les époques. Un voyage qu’il ne faut pas rater.
« K[NOW]N », Jimin Oh-Havenith, Audite Forum.

Coups de cœur littéraires

Pour une BD sociale et politique
« Le choix du chômage »
Benoît Collombat, journaliste et Damien Cuvillier, dessinateur qui sait évoquer les situations par la (à peine) caricature et par la juxtaposition de deux personnages ou situations. Collombat fait la démonstration que « De Pompidou à Macron », la lutte contre le chômage est resté une « story telling », une histoire que les politiques se racontent au coin d’un feu de fantasmes. « Tout a été fait pour vaincre le chômage » est une affirmation entendue encore qui n’a aucune réalité. Une démonstration nécessaire et une leçon de politique économique. L’objectif est toujours le même : baisser le coût du travail et le chômage est d’une arme efficace pour ce faire. C’est aussi une « Enquête sur les racines de la violence économique », le sous titre de ce brulot qui permet aussi de comprendre une des raisons de l’abstention massive.
Futuropolis, préface de Ken Loach Continuer la lecture

Pour Claude Bolling

Prince des alliances et du jazz français.

Claude Bolling s’est fait connaître – comme Michel Legrand – par ses musiques de film à commencer par Borsalino en dosant les souvenirs des années 1920-1930 avec la musique dite classique et les jazz plus modernes. Portrait d’un coloriste et arrangeur.
Il gardait les oreilles grandes ouvertes tout en servant le propos du réalisateur. Il avait été aussi sollicité pour illustrer les séries télévisées françaises comme, la plus connue, Les Brigades du tigre. Condensées d’évocations diverses pour retrouver un climat qui donne au public la sensation d’être transporté dans un ailleurs connu sans être reconnu. Le paysage sonore est un élément essentiel pour donner aux images sonores la profondeur qui s’impose. La leçon de Gershwin n’avait pas été oubliée : le spectateur doit pouvoir siffler la mélodie, condition essentielle du succès. Continuer la lecture