Idées cadeaux, Littérature

Au plus près de l’émotion
« Une si longue absence » est un curieux roman. Au sens strict, mis à part le crime de départ, il ne se passe rien à proprement parler. Mais Andre Dubus III arrive à tenir le lecteur en haleine avec des petits riens, un homme atteint d’un cancer, Daniel Ahern, voudrait dire – c’est le nœud du problème – à sa fille, Susan, qu’il l’aime simplement et… il ne peut pas. La mère de son épouse ne lui pardonne pas, une manière de remplir sa vie, les souvenirs prenant le pas sur la mémoire pour que chacune s’enferme dans une tour d’ivoire empêchant de prendre en compte l’autre et son amour éperdu.
Un grand roman qui parle aussi des États-Unis d’aujourd’hui et de leurs déchirements.
N.B.
« Une si longue absence », Andre Dubus III, traduit par France Camus-Pichon, Actes Sud

Un poème épique,
« Manhattan project », avec chœurs et récitants. Stefano Massini utilise l’art antique du chant pour mettre en scène les jeunes et brillants physiciens autour de Robert Oppenheimer, en 1938, qui étudient la mise au point d’une bombe atomique. Les doutes, les avancées se mêlent dans l’avancée des recherches et dans le poème lui-même capable de souligner toutes les dimensions d’un groupe secret forcément et replié sur lui-même, submergé par les découvertes et la compétition avec l’Allemagne nazie, sans le recul nécessaire pour apprécier la dimension barbare de cette arme ultime.
N.B.
« Manhattan project », Stefano Massini, traduit par Nathalie Bauer, Globe éditions

L’art du feuilleton
« Les mystères de Paris », une réédition en 4 tomes. L’art du feuilleton au 19e siècle, ancêtre des séries pour conter les bas quartiers de la capitale par l’intermédiaire d’un justifier, un aristocrate, une classe sociale déclassée face à des marginaux et en alliance avec certain.e.s pour nettoyer la société des malfaisants. Marx avait jugé cette fresque comme factice et dénuée de toute compréhension. Disons que Eugène Sue voulait divertir, y a réussi et est devenu riche. Les lire ces mystères qui en ont beaucoup perdus comme une borne dans notre histoire littéraire.
N.B.
« Les mystères de Paris », 4 tomes, 10/18

Un poème en prose et un conte afghan
« Les cerfs-volants de Kaboul » se veut découverte de l’Afghanistan. Khaled Hosseini, qui vit aux Etats-Unis, présente son pays dans les années 1970, puis l’exil aux États-Unis. Les difficultés du père – Baba dans la langue de l’auteur – à s’intégrer dans cette société dont il ne comprend pas les codes et à peine la langue, est une description qui sonne juste des sentiments de tous les déplacé.e.s. Le cerf-volant représente l’image de liberté, de l’enfance, de l’amitié mais aussi d’une liberté perdue qui se symbolise dans l’ami perdu du narrateur. Le retour aux pays sous le joug des talibans est l’autre intérêt de ce roman quasi autobiographique, qui fait aussi la part belle aux contes de l’enfance.
N.B.
« Les cerfs-volants de Kaboul », Khaled Hosseini, 10/18

Dans la tête de l’Autre

« L’Autre Nom » est un miroir déformé de deux trajectoires possibles. John Fosse, norvégien et prix Nobel de littérature 2023, au style d’écriture proche de James Joyce, pénètre dans l’univers de deux peintres au nom semblable, Asle. L’un vit en reclus, l’autre a les honneurs du public. Deux existences interchangeables. Pourquoi l’un a réussi et l’autre pas, question éternellement posée qui n’a que de lointains rapports avec le talent – une notion difficile à définir. Le Asle qui a réussi se met dans la tête d’aider son Autre lui-même. L’auteur, à l’instar d’un Claude Simon, nous balade dans les mémoires du – des ? – peintre. Il faut découvrir cet auteur étrange, pas encore très connu en France
N.B.
« L’Autre Nom », Jon Fosse, traduit par Jean-Baptiste Coursaud, Christian Bourgois Éditions.

Une découverte à ne pas rater

« Ravages » de Violette Leduc. Gallimard avait déjà publié ce récit – roman ne convient, autobiographie pas totalement – largement amputé de sa première partie désorganisant l’ensemble, comme le soulignent les deux préfacières Camille Froidevaux-Metterie et Mathilde Forget. « Édition augmentée » dit le sous titre, manière de dire que la censure de l’époque a détruit la construction de cde texte. Violette Leduc sait trouver les mots pour faire ressentir l’amour, ici lesbien, et décrire un viol. Se dégage de cette nouvelle version une force littéraire qui provoque un torrent d’émotion. L’équipe réunie autour de Margot Gallimard a réalisé un travail vital pour rendre vivante l’art de Violette Leduc.
N.B.
« Ravages », Violette Leduc, Hors Série l’Imaginaire/Gallimard.

Science… et médecine légale
« Gravé dans l’os », source de polars. Sue Black est une anatomiste et anthropologue médico-légale, une médecin légiste pour parler autrement, qui nous fait visiter les cas qu’elle a eus à traiter. Elle passe en revue les différents parties du corps pour expliquer comment décrypter les lésions sur les os. Le squelette est un révélateur. A chaque fois, l’enquête pourrait fait l’objet d’une intrigue.
N.B.
« Gravé dans l’os. Les enquêtes étonnantes d’une médecin légistes », Sue Black, traduit par Lucie Modde, Actes Sud

Science… et BD
« Mais où est donc le temple du Soleil ? » et Hergé ? Roland Lehoucq et Robert Mochkovitch, deux astrophysiciens, étudient les références scientifiques de Hergé dans toutes les aventures de Tintin. Apparaît que Hergé s’appuie sur les théories de son temps, sans trop inventer. Les auteurs, sur la base de cette appréciation, développent les avancées actuelles. De quoi réaliser, de manière ludique, un traité sans trop le dire. Un beau cadeau pour les grands qui, sans doute, gardent un souvenir ému de Tintin, Milou et, bien sur, le capitaine Haddock.
N.B.
« Mais où est donc le temple du Soleil ?  Une enquête scientifique au pays d’Hergé », Roland Lehoucq, Robert Mochkovitch, Flammarion

Les réalisatrices
« Moteur ! Elles tournent », le féminisme en action. Un coffret qui réunit trois réalisatrices en deux films et une autobiographie. Agnès Varda, « Cléo de 5 à 7 » – Corinne Marchand inoubliable comme le voulait la réalisatrice -, Chantal Ackerman, « Ma mère rit » – pour que sa fille pleure – et Alice Guy, longtemps oubliée qui fait de « La fée cinéma » la réhabilitation nécessaire d’une pionnière essentielle de cet art du 20e siècle. Plus que les frères Lumière, elle est celle qui permet au cinéma d’advenir. Comme dans les autres arts, les femmes ont longtemps été oubliées, ensevelies sous le poids des mâles. Redonner vie à Alice Guy est vitale pour notre mémoire.
Chaque livre est précédé de deux – ou trois pour Alice Guy – préfacières qui mettent expliquent, mettent en lumière les préoccupations des réalisatrices. A chaque fois, elles permettent d’interroger le film en soulignant la prise de position féministe.
Essentiel.
N.B.
« Moteur ! Elles tournent », L’Imaginaire/Gallimard avec Télérama.

Des cadeaux, encore pour soi, pour d’autres, pour le don et son plaisir

Noël, une histoire de dingues », Mark Forsyth (traduit par Thierry Beauchamp, aux éditions du Sonneur), donne le la des fêtes et des commémorations diverses. La naissance de l’enfant Jésus le 25 décembre est un long processus qui s’appuie plus sur les évangiles officieuses que les officielles. Il faut participer de cette élaboration des « fêtes » pour rire des présentations de ce qui est aujourd’hui considérées comme des dogmes qu’il est impossible de contester. L’auteur, érudit, fait partager sa contestation des réalités, résultat souvent d’un enchevêtrement de strates civilisationnelles occultées pour figer le temps. Une leçon d’histoire des mythes, de leur maturation mais aussi des erreurs d’interprétation qui fait de Coca Cola, par exemple, dans sa campagne de pub de 1929, le créateur du costume du Père Noël.
Des histoires à partager en famille et pour briller dans les diner de fêtes ou non. Pour rire et apprendre.
Une bonne introduction à cette époque de cadeaux à ne pas hésiter à (se) faire. Continuer la lecture

Cadeaux, cadeaux quand tu nous tiens…

Pourquoi se faire des cadeaux ? pourquoi répondre à cette coutume ? La réponse tient en une sensation : le plaisir. Pas seulement aussi le don. Pour échapper un tant soit peu à la fournaise de la marchandisation. Bien sur les achats dits de Noël peuvent être considérés comme une corvée. Aujourd’hui pourtant la pandémie devrait nous obliger à penser différemment, à chercher des voies de sortie de cette société gangrenée par la nécessité de faire du profit.
Ne boudons pas le plaisir de donner et de recevoir. Pas forcément à Noël! Les propositions qui suivent acceptent d’être offertes à tout moment.
Bonnes fêtes – pas forcément non plus Noël ou le Jour de l’an mais d’autres à construire – contre la pandémie, contre ce monde tel qu’il ne va pas.
Je vous souhaite un lot de petits bonheurs pour cette années 2022 qui se présente pas sous les meilleurs auspices. Continuer la lecture

Essai sur une époque de découvertes techniques

Esthétique de la photographie ?

André Rouillé, dans « La photographie » (Folio), l’avait qualifiée « d’art moyen » pour signifier ses liens avec la technologie en la situant « entre document et art contemporain », une situation peu enviable lorsqu’il s’agit de définir une esthétique. Dominique de Font-Réaulx dans ce Beau Livre : « Peinture et photographie. Les enjeux d’une rencontre 1839-1914 » en retraçant les prolégomènes de la découverte donne une explication ontologique. Les bouleversements artistiques du début du 19e qui touchent toutes les disciplines, et d’abord le théâtre avec la découverte de Shakespeare mais aussi la littérature comme les rapports étroits entre arts, science et philosophie – Kant en particulier mais aussi Goethe – construisent un contexte favorable à la naissance de nouveaux domaines artistiques. Contexte révolutionnaire qui se heurte de plain fouet à la réaction politique, sociale, artistique via les différentes académies devenues des chantres du passé et de la sécheresse de la Monarchie de juillet. Font-Réaulx voit dans cet antagonisme la raison de l’impossibilité d’un débat ouvert sur l’importance artistique de cette découverte.
Pourtant l’invention de Daguerre, le daguerréotype, avait encore quelque chose de la peinture : il n’était possible que d’en tirer un seul exemplaire. Paradoxalement, signe des temps, prélavèrent les discussions sur la machine et non la place de la photo dans le domaine des arts. Il faudra attendre les peintres, Ingres en particulier qui pratiquait, on le découvre, la photographie à ses heures, pour faire pénétrer la photographie dans les définitions de l’art. Niepce, pour en revenir aux premiers temps, allait commencer par reproduire les œuvres des peintres. Une dimension, dit l’auteure, souvent oubliée des historiens de la photographie. C’est dommage car les peintres, plus tard, lui rendraient la politesse en se servant de la photographie et en étant influencés par ses images.La nécessité se faisait sentir de trouver de nouvelles formes pour que la peinture puisse continuer à forger des œuvres d’art.
Il faudrait citer tous les photographes de ce temps, à commencer par Nadar, pour apprécier la place de la nouvelle discipline. Ce livre permet de comprendre et d’analyser la force de cette invention.
Et, peut-être, de contester la notion d’art moyen.
Nicolas Béniès.
« Peinture et photographie. Les enjeux d’une rencontre, 1839-1914 », Dominique de Font-Réaulx, Flammarion (édition augmentée)

Cinéma, pour Fellini

Le rêve créateur.
Pour fêter dignement les 100 ans de Federico Fellini (1920-1993), la publication du « Livre de mes rêves » est un cadeau merveilleux qui ouvre des portes à la compréhension de l’œuvre du cinéaste. Toute sa vie, il a noté ses rêves pour vivre plusieurs vies et alimenter ses films. La création provient des sortilèges de la nuit, du sommeil réparateur parce qu’il permet de faire fonctionner l’usine à fantasmes pour faire surgir d’autres possibles, d’autres réalités. Il se raconte que Fellini, à la fin de sa vie, ne pouvait plus dormir suffisamment avec comme conséquence des intrigues moins fournies en images. Savoir dormir est un grand privilège que démontre ce livre. Le souvenir des rêves, même retranscrits, est une reconstruction comme l’avait démontré Georges Pérec. Rêver pour filmer ses rêves est un des summum de l’altruisme, du partage. . Ce grand et Beau Livre retranscrit le manuscrit original, illustré des dessins de Fellini. Le tout introduit par des spécialistes et témoignages, traduit en français à la fin. Indispensable !
N.B.
« Le livre de mes rêves », Federico Fellini, sous la direction de Sergio Toffetti, 584 pages, 450 illustrations, Flammarion, 75 euros.

Faire aimer le cinéma
Un titre oxymorique, « Petite histoire du cinéma » pour permettre de s’introduire dans ce monde étrange et fantastique. L’intérêt est d ans la multiplication des entrées : les films bien sur – une cinquantaine sont passés en revue -, mais surtout les genres – on y apprend l’existence de films « Race Series » en directions de la population africaine-américaine, dés 1920 – et les techniques pour comprendre la manière de « faire ». Petit livre qui ouvre des perspectives et donne envie d’en savoir plus.
N.B.
« Petite histoire du cinéma », Ian Haydn Smith, Flammarion.