Revenu universel, utopie et réalité

Penser le contexte pour des solutions sociales et collectives

Le revenu universel, dit aussi revenu de base – pendant un temps on parlait du revenu citoyen – repose, apparemment, sur un scénario simple. Chaque individu reçoit le même revenu ; sans tenir compte de son niveau de richesse. A partir de là, les orientations divergent. Les libéraux fixent le niveau de ce revenu à celui des minima sociaux existants pour lutter contre la « paperasserie » qui bouffe des richesses et pensent le financer par les économies ainsi réalisées. Comme souvent, ils s’appuient sur une réalité. Le RSA d’aujourd’hui est versé à conditions de faire la preuve que la personne est « réellement » pauvre et pour le démontrer il faut remplir un long questionnaire. Se déclarer pauvre est pire encore que d’être pauvre raison pour laquelle, suivant les estimations, un tiers de ceux et celles qui pourraient y avoir droit n’en font pas la demande. Notre société est une société du mépris… On comprend que cette idée d’un revenu universel sans conditions puisse séduire…
La suppression des minima sociaux remplacés par un revenu universel financé par le budget – ou les départements ou les régions, on ne sait pas – pourrait ouvrir la porte à la remise en cause de l’ensemble de la protection sociale. En Finlande, pour rappel, lors de la première mise en œuvre, la proposition était d’un revenu de 800 euros et la suppression de toute la protection sociale. Le gouvernement est ensuite revenu sur cette première mouture pour tester un revenu universel de 600 euros et la protection sociale existante. Continuer la lecture

A Nat Hentoff

Un critique ouvert et intelligent.

Vous avez sûrement vu ce film de Woody Allen, « Accords et désaccords » – « Sweet and Lowdown » pour le titre original – qui racontait l’histoire d’un guitariste amoureux fou de Django Reinhardt, Emmett Ray qui n’arrive pas à rencontrer son idole : il tombe en pâmoison et le rate. En même temps, il se considère comme le plus grand guitariste après Django bien entendu.
Ce film est présenté à la manière d’un documentaire sur un musicien de jazz. A l’américaine la présentation avec interviews de témoins et l’appui d’un critique de jazz. Un homme avec une grande barbe poivre et sel qui commente, sérieusement, la carrière de ce drôle de type qu’incarne Sean Penn qui a participé au scénario.
Ce critique de jazz est vrai critique de jazz, Nat Hentoff. Il ne joue pas son propre rôle mais celui de la critique de jazz dans toute son acception et son abstraction. Une critique qui se prend au sérieux alors que ce ne fut pas le cas de Nat qui a toujours su conservé une distance et de l’humour.
Revoir ce visage est nécessaire au moment où il disparaît du monde. Il est mort le 7 janvier de cette année 2017 qui, décidément, commence bien mal.
Voilà ce qu’écrit Michaël Cuscuna, dans la Gazette de Mosaïc Records – un label américain indépendant qui réédite sous forme de coffrets le patrimoine du jazz, avec un livret indispensable à tous ceux et toutes celles qui s’intéressent au jazz :
« After several years of ill health, Nat Hentoff died at the age of 91 on January 7, 2017. His accomplishments as a writer and journalist on the jazz and political are well known. His value as a social commentator was evident in the fact that he angered partisans on the right and the left. Nat was blessed with an exceedingly brilliant mind and a generous, gentle soul. He lives on in his published work. »
Et de livres, Nat en a écrit beaucoup mais ils ne sont, en général, traduits en français.
Il a été aussi le responsable d’un label dont la durée de vie a été de 9 mois en 1960-61, Candid, devenu aujourd’hui mythique tellement Nat a saisi l’avant-garde de cette musique contemporaine de nos émois. Le mécène avait nom de Archie Bleyer et Candid était une filiale de Cadence Records qui avait aussi une revue. Ce label a été ensuite repris par une firme britannique. Pour différencier, il faut regarder les dates, 1960 et 1961… Les musiciens ont nom – voir quelques pochettes qui illustrent cet hommage – Richard Williams, Cal Massey, Clark Terry, Booker Little, Don Ellis pour les trompettistes, Steve Lacy, Cecil Taylor et surtout Charles Mingus…
Il avait 91 ans.
Nicolas Béniès.

Un économiste hétérodoxe, Minsky

Analyser le capitalisme.

Hyman P. Minsky (1919-1996) n’est pas l’économiste le plus connu. Il n’a pas eu le faux-vrai Prix Nobel d’Économie – il est décerné par la Banque centrale de Suède – et a été oublié pendant de nombreuses années, ces années de domination absolue du dit « néo-libéralisme », cette « orthodoxie » qui s’est imposée dans les années 1980. Elle reste hégémonique, notamment dans les manuels et les programmes d’enseignement, alors qu’elle est fondamentalement contestée par la réalité même de la crise systémique du capitalisme ouverte en août 2007. Le refus d’analyse se mêle à la volonté de ces économistes de maintenir leur pouvoir au mépris même de la réalité. Continuer la lecture

Pour l’UP Jazz du 11 janvier 2017

Bonjour,

Avant – que dis-je avant, pendant – les vacances, nous avons évoqué un des grands labels de la Côte Ouest, Pacific Jazz – devenu World Pacific Jazz – de Richard (Dick pour les intimes) Bock. La création du label se fit à l’instigation de Gerry Mulligan en 1952. Bock était réticent.
Pour cette session et pour fêter dignement ce début d’année 2017, nous allons évoquer un autre label qui va s’appuyer sur la fausse vraie existence du style west coast. Lester Koenig en sera l’instigateur et l’âme du label Contemporary Records. Il l’a fondé aux débuts des années 50.
Comme pour Pacific Jazz, il lui fallait un chef de file. Ce sera – cheville ouvrière s’il en fut – le batteur Shelly Manne. Lui et ses hommes – Shelly Manne and his Men – connurent la notoriété en faisant connaître Contemporary. Il intitulera cet album enregistré le 6 avril 1953 « West Coast Sound » et le tour était joué. Il sera réédité sous le nom de « Shelly Manne and his Men vol 1″. Il avait saisi auparavant, en 1952, Howard Rumsey’s Lighthouse all stars » (voir Pacific Jazz).
S’ajouteront le saxophoniste alto Art Pepper, le guitariste Barney Kessel – un des premiers à transcrire le bebop sur la guitare, tout en subissant l’influence de Charlie Christian et celle de Django Reinhardt -, le pianiste Hampton Hawes – il passa une partie de sa vie au pénitencier de San Quentin comme Art Pepper – et deviendra un ami proche de Lester Koenig. Le producteur fut très affecté par la mort du pianiste en mai 1977. Lester Koenig quitta ce monde le 21 novembre 1977. Son fils, John, pris les rênes du label sans parvenir à le faire vivre. Il fut racheté par Fantasy.
Aujourd’hui le label est en sommeil.
Lester Koenig avait commencé par publier du jazz New Orleans sous le label Good Time Jazz pour créer Contemporary aux alentours de 1950-51. Il avait passé un contrat exclusivité avec Shelly Manne. C’est le producteur qui eut l’idée des albums thématiques en reprenant les comédies musicales « en jazz ». Le premier opus, « My Fair Lady » a été un immense succès.
C’est lui aussi qui a créé l’école « West Coast » – qui n’en est pas une on l’aura compris – en intitulant ainsi son premier album enregistré les 6 avril et 20 juillet 1953.
Les créations de Contemporary et Pacific Jazz sont concomitantes.
Lester Koenig fut aussi actif dans le cinéma. On verra que ce sera aussi le cas de Norman Granz.. Il a abandonné cette activité très rapidement du fait du maccarthysme. Il a frôlé – ou a été ? – sur la liste noire. La chasse aux sorcières n’a pas épargné les mondes du jazz…
(à suivre)

Quelques exemples. Les pochettes reproduites ci-après ne sont pas forcément celles qui correspondent à la musique ^qui suit. C’est pour voir surtout le musicien. Les pochettes sont en général sur le modèle de Blue Note. Un travail de photographe et de mise en page.

Art Pepper, « Star Eyes », une composition marquée par le génie parkérien; extrait de l’album « Art Pepper meets the rhythm section », celle de Miles Davis, composée de Red Garland (p), Paul Chambers (b) et de Philly Joe Jones (dr), enregistré le 19 janvier 1957, un quasi anniversaire.

Le bassiste Curtis Counce dans « Complete », un thème de sa composition. Jack Sheldon (tp), Harold Land (ts), Carl Perkins (p) – un pianiste singulier qui se joue des basses avec son coude, mort avant sa trentième année -, Frank Butler (dr) – l’un des grands batteurs de ce temps qui ne voudra pas quitter sa côte ouest pour des « raisons personnelles ». Enregistré le 13 mai 1957.


Le pianiste Hampton Hawes pour « Blues the most, une composition du pianiste fortement inscrit dans la tradition du gospel, des questions/réponses tout en étant totalement lié au bebop. Ce qui montre que les différenciations entre les deux Côtes sont très ténues.Il est en compagnie de « Red » Mitchell, un des bassistes qui comptent – et du Chuck Thompson à la batterie. Enregistré le 28 juin 1955.

The Poll Winner, Barney Kessel, Ray Brown et Shelly Manne, « Minor Mood », une composition de Barney, guitariste, Ray Brown (b) – entre les deux mondes, swing et bebop – et Shelly. Pourquoi « Poll Winner » ? Dans leur catégorie, ils sont les premiers. Enregistré le 18 ou 19 mars 1957.

Ornette Coleman, texan, allait enregistrer ses deux premiers albums pour Contemporary. Le saxophoniste alto avait le goût – qu’il ne revendiquait pas – des provocations. Il en fallait du culot – ou le génie ? – pour intituler ce premier album « Something Else!!! » – quelque chose d’autre avec trois points d’exclamation – dont est tiré « Invisible », composition d’Ornette, avec Don Cherry (tp), Walter Norris (p) – il se séparera très vite du piano – Don Payne (b) et Billy Higgins (dr)

Université populaire Économie le 3 janvier 2017

Bonjour,

L’année commence tôt ou plus exactement, les vacances se terminent tôt dans cette année grosse de tous les dangers.
Le président Hollande nous a présenté dans ses vœux de président sortant en endormant sur des résultats présentés comme bons. La baisse du chômage, la croissance… A croire qu’il n’a pas lu la dernière note de conjoncture de l’INSEE titrée – à croire que les statisticiens nationaux viennent écouter mes cours… – « La croissance à l’épreuve des incertitudes », incertitudes qui dominent un monde que plus personne ne comprend.
Le processus de mondialisation – la démondialisation est un thème uniquement idéologique pour couvrir le retour de l’État-nation sous sa forme répressive – se poursuit même atténué par un protectionnisme quasiment impossible. Seuls les flux migratoires font peur. La libre circulation des hommes, des être humain-es est restée un vœu pieu contrairement à la libre circulation des capitaux. Actuellement, il n’est pas de mots assez durs contre les accords de Schengen sans s’apercevoir – ce monde est décidément Alzheimer -, sa s se souvenir qu’ils promouvaient une Europe forteresse contre l’immigration. Aujourd’hui, c’est le retour aux frontières nationales… Une régression économique et sociale.
Trump aux commandes avec son équipe de militaires envieux, d’extrême-droite et de banquiers laisse planer une énorme menace sur le monde. Poutine, voulant lui aussi légitimer son pouvoir dictatorial déguisé en démocratie, se lance dans une couse poursuite à la puissance dont la Fédération de Russie n’a plus les moyens. Il compte sur… Trump pour lui donner l’illusion d’être redevenu e maître de l’URSS…
Les déstructurations géo politiques se surajoutent aux effets profonds de la crise systémique ouverte en août 2007, cette crise qui n’a reçu aucune réponse.
Il faudrait pourtant s’attaquer à la crise écologique, aux mutations climatiques. Désormais la réalité de cette conjonction de crises s’impose. la prise de conscience est massive… sans être suivie d’effets de la part des gouvernants. Les solutions sont à portée de mains à condition de sortir de l’idéologie libérale liberticide. L’expérience a été faite de sa nocivité. Il faut désormais trouver, comme on dit, d’autres paradigmes, d’autres théories, forger une autre idéologie.
Paradoxalement, dans ce moment de vide, de crise idéologique qui laisse les capitalistes sans vision globale, la gauche pourrait imposer des réponses liées au changement social en forgeant une vision liée à la compréhension de la crise. Au lieu de suivre cette voie, elle s’enferme soit dans le libéralisme – Vals ou Macron « qui n’est pas de gauche et pas de droite » – soit dans le retour à l’État-nation.
Le discrédit du politique est profond. Les gouvernants ne sont plus légitimes. les partis ne représentent plus l’instrument essentiel pour « faire » de la politique. Faute de développer une vision d’avenir. Ils s’enferment dans le passé sans voir ce qui est en train de se transformer. Une forme de capitalisme est en train de sombrer. la défendre est une erreur, s’en servir pour promouvoir une autre société, plus égale, plus fraternelle, plus libre, ^plus humaine est un des solutions praticables.
Sans cette vision, la crise politique, de légitimité ne peut que s’approfondir. Le « mouvementisme » – « En marche », « La France insoumise » et d’autres moins visibles mais qui existent – est une réponse provisoire. Il faudrait tout changer. Le « bouscule tout » a déjà commencé mais il faudrait qu’il prenne en compte les structures, le système et pas seulement les représentations ou les êtres humain-es.
La démocratie est en sursis. Personne officiellement ne la remet en cause. Ce n’est pas la peine. Elle se suicide…
La guerre au Moyen Orient pose la même question. Les printemps arabes n’ont pas été soutenus. L’opposition démocratique a Bachar El-Assad a été livrée à elle-même sans moyens. Les « dictatures démocratiques » – tentons cet oxymore – sont en train de s’installer, en Turquie, en Russie, sur le continent africain… Les lois ne sont plus appliquées sans réactions de la part des puissances occidentales. le libéralisme économique a besoin des dictatures. Elles lui permettent d’imposer ses dogmes.
Bref un monde, celui qui fut le nôtre, est en train de basculer… (voir évidemment « Le basculement du monde ». Je le présenterai le samedi 21 janvier au Brouillon de culture à Caen.)

Vous ai-je souhaité une bonne année ?
Nicolas Béniès qui vous donne rendez-vous le mardi 3 janvier. A 17h30 au Panta Théâtre.