Revenu universel, utopie et réalité

Penser le contexte pour des solutions sociales et collectives

Le revenu universel, dit aussi revenu de base – pendant un temps on parlait du revenu citoyen – repose, apparemment, sur un scénario simple. Chaque individu reçoit le même revenu ; sans tenir compte de son niveau de richesse. A partir de là, les orientations divergent. Les libéraux fixent le niveau de ce revenu à celui des minima sociaux existants pour lutter contre la « paperasserie » qui bouffe des richesses et pensent le financer par les économies ainsi réalisées. Comme souvent, ils s’appuient sur une réalité. Le RSA d’aujourd’hui est versé à conditions de faire la preuve que la personne est « réellement » pauvre et pour le démontrer il faut remplir un long questionnaire. Se déclarer pauvre est pire encore que d’être pauvre raison pour laquelle, suivant les estimations, un tiers de ceux et celles qui pourraient y avoir droit n’en font pas la demande. Notre société est une société du mépris… On comprend que cette idée d’un revenu universel sans conditions puisse séduire…
La suppression des minima sociaux remplacés par un revenu universel financé par le budget – ou les départements ou les régions, on ne sait pas – pourrait ouvrir la porte à la remise en cause de l’ensemble de la protection sociale. En Finlande, pour rappel, lors de la première mise en œuvre, la proposition était d’un revenu de 800 euros et la suppression de toute la protection sociale. Le gouvernement est ensuite revenu sur cette première mouture pour tester un revenu universel de 600 euros et la protection sociale existante.

Combattre les inégalités.
Pour les associations défendant le revenu universel – Benoît Hamon s’en réclame -, il s’agit fondamentalement de lutter contre la pauvreté et la misère et de donner un revenu déconnecté de l’emploi – et non pas du travail. Certains associations s’appuient sur des formes de travail non contraintes, non « marchandes » qui pourraient se développer grâce à ce revenu. Il est proposé, pour le financer, une réforme fiscale redistributive qui impose plus les riches que les pauvres. Dans ce cadre, il faudrait diminuer la TVA et augmenter l’impôt sur les revenu. Un champ de réflexion s’ouvre.
Il faut reconnaître qu’il permettrait l’automaticité des revenus et ne stigmatiserait plus les pauvres. Il exercerait une pression sur les employeurs qui pourraient plus proposer n’importe quel emploi avec des conditions de travail dégradées. La notion même de compétitivité changerait pour s’axer sur l’innovation et non sur le prix de vente le plus bas, le « low cost ». La limite à ce programme, c’est l’existence même de la concurrence internationale et la liberté de circulation des capitaux. Si ce revenu universel est trop élevé, les délocalisations seront nombreuses et les pertes d’emploi ne pourront plus financer ce revenu. L’obstacle le plus important, c’est le capitalisme lui-même et, plus encore le régime d’accumulation à dominante financière qui continue de perdurer. S’il faut d’abord détruire le capitalisme pour imposer le revenu universel… il faut déterminer quelles seraient les forces sociales capables d’imposer cette perspective.
Il faut répondre aussi à la question du niveau de ce revenu. Aujourd’hui le RSA est de 535 euros par mois pour une personne seule et sans enfant. La proposition de porter à 500 euros par mois ce revenu universel pèserait 400 milliards d’euros par an soit 18% du PIB, d’après les calculs de Guillaume Duval dans Alternatives économiques de novembre 2016. Le porter à 1000 euros, ce que réclament la plupart des associations, pèserait le double soit 36% du PIB.
Suivant la même source, l’ensemble des minima sociaux représente 23 milliards d’euros en 2013 soit 1,1% du PIB. Les rapports actuels – dont celui de Sirugue – visent plutôt à fusionner les minima sociaux qu’à créer un revenu universel.
Difficile de parler de revenu universel sans s’encombrer de définitions floues.Si l’on suit Milton Friedman, la solution est radicale : le revenu universel signifie la fin de toute dépense publique. Ni éducation nationale, ni système publique de santé, suppression de tous les services publics ;;; pour laisser toute la place au marché seul à même, suivant cet auteur aussi libéral qu’il est possible de l’être, l’équilibre général…
L’ambiguïté provient de ces ancrages théoriques, idéologiques différents qui expliquent le succès du terme plus que du concept.

Pour appréhender la possibilité de cette politique économique et lever les ambiguïtés il faut d’abord analyser le contexte que je vais juste rappeler (Pour le reste « Le basculement du monde » donnera l’argumentation) pour ensuite indiquer le type de revendications adaptées au mouvement social. La lutte des classes est la seule manière de pouvoir gagner.

1. le contexte dans lequel le monde se trouve est celui d’une crise systémique soit l’effondrement d’un monde, d’un capitalisme, celui des années 80 dominé par la finance et le courtermisme, lui-même étant une réponse à l’ouverture d’une nouvelle période en 1974-75. C’est le sens de systémique. On pourrait dire « crise de civilisation ».
Les gouvernements n’ont pris la dimension de cette crise. La crise politique qui en résulte – la panne de vision d’avenir – est profonde et pourrait remettre en cause la démocratie elle-même. Ils restent enfermés dans l’idéologie libérale en faillite depuis août 2007, l’entrée dans la crise financière.
Tous les économistes – comme Jean Tirole – qui cherchent à nier ce basculement se tourne vers la révolution numérique pour justifier leur aveuglement. D’après eux, le monde serait à la veille d’une robotisation totale qui ne laisserait aucune place aux emplois industriels. Ils partagent l’idée de la fin du travail, confondant dans ce même mouvement emploi et travail. Pour eux, le revenu universel est la seule planche de salut. Il financerait le travail bénévole.
Ce bluff de la révolution numérique et de la fin du travail provient d’une incompréhension totale des modalités de fonctionnement du capitalisme. La création de valeur provient de la dépense du travail humain. Si cette dépense disparaît le capitalisme disparaît à son tour. Le travail salarié est concomitant à la valorisation d’un capital.
L’emploi sera toujours nécessaire par contre l’interrogation véritable porte sur le travail et les conditions. A la différence de ce que laissent croire les partisans du revenu universel, les formes du travail changeront comme elles ont changé lors des deux révolutions industrielles précédentes. Le contenu du travail se transformera mais les métiers changent peu et les emplois de travailleurs salariés resteront nécessaires, sinon vitaux pour l’avenir du système. Les machines ne créent pas de richesses supplémentaires. Il faut relire Smith, Ricardo et Marx.

2. Que répondre face à ces bouleversements ? D’abord la réduction du temps de travail, un moyen efficace pour lutter contre le chômage et le stress au travail. De nouvelles maladies existent désormais qui sont liées à l’intensification du travail et à la culture du résultat autant dans les entreprises que dans les services publics. Pour combattre le « bun out », vivre mieux, la RTT massive est une voie qui a fait ses preuves. La mise en œuvre de la troisième révolution scientifique et technique pourrait le permettre tout en augmentant la productivité.
Et cette revendication pourrait favoriser l’unité entre chômeurs et non-chômeurs.
Dans le même temps, les minima sociaux doivent être augmentés au niveau du SMIC. Si la société n’est pas capable de donner un emploi, elle doit permettre aux personnes de vivre. Un revenu sans condition dans ce cas là et automatique.
Ce corps de revendications qui va de pair avec une réforme fiscale et la lutte contre les inégalités peut non seulement permettre la mobilisation mais aussi de lever les ambiguïtés théoriques et pratiques.
Nicolas Béniès.
A lire : Alter Eco, art cité
L’Économie politique n° 67 : « Faut-il défendre le revenu de base ? »