La poésie saisie par l’indicible

Poésie noire et lumineuse
Nelly Sachs, en compagnie de sa mère, sortira in extremis de l’Allemagne nazie le 16 mai 1940, alors qu’elle a reçu l’ordre de rejoindre un camp d’extermination, pour se réfugier à Stockholm. Se pose alors pour elle la question qui agite les rescapé.e.s, comment écrire ? Que devient la poésie face à cet effondrement de toutes les valeurs humaines ? La poésie est-elle possible pour dire l’indicible ? Elle répondra de deux façons. D’abord en se plongeant dans la tradition juive, particulièrement le Talmud, un recueil d’interrogations, qui fournit des bribes de réponses – le rire en est une – qui suscitent de nouvelles questions et le rythme – à l’instar du jazz qui transforme un thème par l’accélération ou le ralentissement du tempo – pour provoquer un tremblement de la pensée en le transformant en une force de vivre inaltérable.
« Exode et métamorphose », titre de ce recueil, outre une présentation nécessaire de Jean-Yves Masson de l’autrice contient « Dans les demeures de la mort », écrits de 1943 à 1947, « Eclipse d’étoile » de 1947-48 et « Personne n’en sait davantage » de 1952-57 qui donne la vision du monde de Nelly Sachs, d’un monde habité par des fantômes côtoyant les vivants, une cohabitation dansante souvent, soulevant les questions de la mémoire et du travail nécessaire pour la sauvegarder. « Exode et métamorphose », daté de 1958-59, brasse tous les thèmes y compris philosophiques – elle évoque Spinoza -, en synthétisant la situation des rescapé.e.s ni dans le monde ni en dehors, toujours l’exode, toujours la nécessité d’une métamorphose, toujours sur la brèche entre la vie et la mort, toujours le même et toujours différent.
Les notes permettent de comprendre quelques références bibliques ou théâtrales – elle écrit aussi pour le théâtre –, entre autres, pour éclairer le texte qui bénéficie d’une traduction, de Mireille Gansel qui respecte le rythme de cette poésie déséquilibrée par le génocide.
Nicolas Béniès
« Exode et métamorphose », Nelly Sachs traduit par Mireille Gansel, Poésie/Gallimard

Littérature, quand les souvenirs rejoignent la mémoire.

Pour un travail de mémoire.

Contre tout espoirDans la folie de la communication – qu’il ne faut confondre ni avec l’information ni avec la conversation – les mots volent leur place aux concepts. Lorsqu’il est question de l’ex-URSS, les termes comme « communisme » associé à « régime totalitaire » abreuvent le bréviaire des tueurs d’espoir. Une manière tout aussi dangereuse de tourner le dos à un bilan nécessaire de ce 20e siècle, de cette expérience révolutionnaire transformée sous le stalinisme en son contraire, un régime bureaucratique, sanguinaire et antidémocratique. Il faudrait expliquer les causes de ce développement en forme d’oxymore.
220px-Mandelstam,_Cukovsky,_Livshiz_&_Annenkov_1914_Karl_BullaPour ce travail de mémoire, les « Souvenirs » de Nadejda Mandelstam (1899-1980) sont un premier envoi. Le titre même est une invite à la réflexion, « Contre tout espoir ». Le tome 1 conte, par un découpage de thèmes, la vie de son poète de mari, Ossip qui terminera sa vie dans un camp de transit, le 27 décembre 1938. Il avait 47 ans. Continuer la lecture