Jazz d’aujourd’hui

Mélange d’influences

Les pianistes d’aujourd’hui sont soumis à des vents d’influence qui soufflent follement. Difficile de les ignorer. Tempêtes, orages que sont Bill Evans et Keith Jarrett en particulier ou les compositeurs français, Debussy, Ravel liés au jazz par toutes les fibres de leur musique. Les impressionnistes français ont été macérés dans le jazz pour faire subir aux jazz leur manière d’être.
Transcender ces ouragans pour composer son propre souffle, c’est le défi pacifique de toustes les musicien-ne-s. Gaëtan Nicot a voulu le relever en construisant un quartet pour décrire ses émotions, dresser un portrait de Paris, se servir d’un orage prenant la forme d’une « rhapsodie » – titre de cet album -, de rêves habités par la musique, forger un imaginaire qui sait se servir des souvenirs comme d’une chanson de Barbara. Comme pour l’ensemble des planètes du jazz, les mémoires jouent un très grand rôle, de ces mémoires vécues ou imaginées, musicales ou poétiques.
Pierrick Menuau, saxophone, Arnaud Lechantre, batterie et Sébastien Boisseau, contrebasse savent converser avec le pianiste pour amener les touches nécessaires à la construction de thèmes qui se veulent autant de contes de notre temps. Un quartet qui fait penser à celui de Wayne Shorter sans se refuser quelques incursions du côté de Dewey Redman ou même de Albert Ayler.
Une musique réjouissante et mélancolique contre le monde tel qu’il ne va pas. A découvrir.
Nicolas Béniès.
« Rhapsodie », Gaëtan Nicot Quartet, Tinker Label distribué par Socadisc

jazz, Deux pianistes, deux mondes,

deux « premier album »

Un trio
« Fairly Wired », nom de ce trio « assez branché » qui veut planter quelques graines pour ce premier album. « Seeds » donc puisque l’anglais s’impose. David Erhard, piano, Jean-Charles Ladurelle, contrebasse et Xingchi Yan à la batterie ont décidé de partager leur amour d’une musique qui a des relations avec le jazz ne serait-ce que par la constitution du trio et l’influence de Keith Jarrett mais aussi de la musique mécanique chère à Carla Bley ou à la musique minimaliste de Steve Reich mais la filiation la plus directe est celle du trio Reis/Demuth/Wiltgen.
Si ces influences s’entendent, la volonté de trouver sa propre voie est perceptible même si ce n’est pas toujours simple. Le danger de la cohabitation de structures simples et répétitives est de lasser l’auditeur. Il faut faire preuve d’énergie, croire dans sa musique. Ils commencent à y réussir.
Faites l’expérience de ce trio. Pour découvrir de jeunes musiciens en quête d’un futur à partir des traditions qu’ils revendiquent. De plus, c’est un vrai trio.
Nicolas Béniès.
« Seeds », Fairly Wired, pour l’instant sans label infos sur www.fairlywired.tumble.com

Omri Mor, au carrefour de toutes les cultures
Israël pourrait avoir une place particulière dans le monde. Le pays est relié par toutes les fibres de sa population à l’Occident et même à l’Europe et se trouve au cœur d’un Moyen Orient dont les musiques ont conquis le monde, musiques du corps et de l’esprit, musiques de danses populaires et qui restent savantes. Comme le jazz lui-même. Si le pays s’ouvrait, reconnaissait les droits des Palestiniens, il pourrait faire naître des chefs d’œuvre qui pourraient transformer le monde.
Omri Mor se veut le porteur de toutes ces traditions, de toutes ces voix. Le piano est l’instrument idéal, à cheval sur le mélodique et la percussion. Classique, jazz, musiques arabo-andalouses, Chaâbi algérien mais aussi le rock se retrouvent dans sa musique.
Pour ce premier album sous son nom, « It’s About Time », sous la direction de Karim Ziad, batteur – remplacé sur une composition par Donald Kontomanou -, il s’est entouré de son ancien employeur, le bassiste Avishaï Cohen – remplacé par Michel Alibo dans quatre plages – et un vocaliste, M’aalem Abdelkbir Merchan sur « Marrakech », la seule composition qu’il n’ait pas signée.
Une virtuosité au service d’un projet de réconciliation et de dépassement pour ouvrir la porte à un monde débarrassé de ses préjugés. La musique est belle et sait faire danser. Sur un volcan !
Nicolas Béniès
« It’s About Time », Omri Mor, Naïve

Jazz et piano en quatuor (2)

De la lecture à la musique.

Sébastien LovitotComment faire du jazz lorsque la malchance d’être un fil de prof de philo s’abat sur vous ? Vous n’êtes pas responsable. Et pourtant… Vous vous sentez sans doute redevable de ces morceaux de culture ingurgités tout au long de votre jeune vie ? Comment faire cohabiter cette référence mémorielle avec le jazz ? Entretemps, vous êtes devenu pianiste de jazz. Il vous faut vous libérer de tout ce fatras. Par la musique ? Une bonne idée qui permet de justifier des compositions au climat différent. Errer dans le château de Kafka où les portes mystérieuses s’ouvrent pour des labyrinthes de vies possibles, croiser Erri de Luca, Marguerite Yourcenar – un curieux rêve d’Hadrien pour approcher une forme musicale dont il ne reste pas grand chose, comme un fantôme qui viendrait envahir des nuits trop froides, trop dénuées d’humanité -, James Baldwin et son Harlem qu’il dessinait de paris et terminer par une évocation de Jimi Hendrix qui sut marquer d’une empreinte indélébile la musique tout entière pour s’en aller, seul, sans cette fraternité appelée de ses vœux. Pour cette boîte à musique, « Music Boox, volume 2 », Sébastien Lovato, pianiste et compositeur, s’est inspiré de tous ces créateurs de sons, utilisant les mots pour faire surgir d’autres significations – Marguerite Yourcenar a voulu rendre hommage au gospel dans un essai insensé de traduction – pour créer un environnement musical épars, éclaté comme toutes les disciplines artistiques de ce 21e siècle qui ne sait pas (encore ?) définir son style, son identité. Il est à la fois très prés du jazz – ses influences s’entendent à commencer par celle de Herbie Hancock et de McCoy Tyner et par-là même celle de Coltrane – et très éloigné pour aller vers la musique contemporaine. Une mention à « Ritournelle » sans doute inspirée par la fille du compositeur qui pourrait servir de berceuse aux enfants du temps. Continuer la lecture

Jazz et piano

Un quatuor romantique

Michel Reiss quartetMichel Reiss est pianiste et luxembourgeois. Y-a-t-il un lien entre son jeu de piano, ses compositions et le fait d’être né dans un paradis fiscal ? A priori non. Même s’il a suivi les cours du Conservatoire de la Ville du Luxembourg pour le côté classique – qu’il a conservé. Il s’est exilé pour étudier à la fois au Berklee College of Music et au New England Conservatory of Music où officiait, il a peu encore, Ran Blake, un des grands pianistes de notre temps. Tous les deux sont situés à Boston, une des grandes villes du jazz d’aujourd’hui qui fait concurrence aux conservatoires new-yorkais (voir le film « Whiplash » pour avoir une idée de cette concurrence). Un apprentissage qui explique que sa manière de pratiquer le piano le rapproche de beaucoup d’autres pianistes de ce temps.
Pour faire vivre ses compositions, il a constitué un quartet pour cet album « Capturing this moment ». Robert Landfermann, contrebasse, Jonas Burgwinkel lui donnent l’assise rythmique nécessaire pour capter le moment et le saxophoniste (soprano et ténor)/clarinettiste Stefan Karl Schmidt vient lui donner la réplique pour une sorte de contre discours qui enveloppe le présent pour faire surgir des mélodies oubliées des mémoires ici rassemblées.
Un quartet qui fonctionne pour une musique romantique qui fait penser aux compositeurs du 19e revus et revisités par le jazz, cette musique du 20e siècle. Peut-être un chemin pour régénérer la créativité… Mais l’absence du swing, de la pulsation du jazz, de l’énergie rend cette musique quelque fois un peu trop nostalgique, un peu trop mièvre…
Ces critiques ne doivent pas éviter d’entendre ce quartet qui tente, qui essaie… C’est un essentiel qui oblige à ouvrir grandes ses oreilles mais son cœur, son esprit pour ne pas rater des découvertes nécessaires pour ouvrir grand le champ des possibles.
Nicolas Béniès.
« Capturing this moment », Michel Reiss quartet, Double Moon Records distribué par Socadisc.

La Norvège chez ECM

Du côté de chez ECM, un pianiste et un bassiste enregistré à Oslo.

La Norvège fait partie de ces pays qui font peu parler d’eux. C’est une erreur le jazz – ou une musique propre qui a ses racines dans le jazz – y connaît un développement spécifique. Depuis Garbarek, il – ou elle – s’alimente des chansons Tord Gustavsentraditionnelles, comme pour cet album signé par le pianiste Tord Gustavsen, « Extended Circle », « Eg Veit I Himmerik EI Borg », je sais que dans le ciel il y a un château. Une réussite qui sait mêler toutes les références, du gospel à John Coltrane. Le saxophoniste de ce quartet, Tore Brunborg, est à suivre. Il nous réservera de grandes surprises. Un quartet soudé – Mats Eilertsen à la contrebasse et Jarle Vesperad à la batterie, partenaire de longue date du pianiste complètent la formation – pour des compositions signées ou arrangées par le pianiste. Une musique qui semble issu des brumes de ce pays mais qui sait parler de nos angoisses et de nos émotions.
aril AndersenPourquoi cette empathie est-elle en partie absente du trio réuni par le contrebassiste Arild Andersen pour « Mira » ? Difficile à dire. Il manque le presque rien. Leur album précédent, enregistré en public, « Live at Belleville » (ECM), était une petite réussite. Le studio, peut-être, ne leur réussit pas. Non pas que Tommy Smith, saxophoniste et flûte Shakuhachi ou Paolo Vinaccia, batteur ou même le contrebassiste ne fasse pas preuve à la fois de virtuosité et de conviction, d’émotion et de froideur mais ils nous avaient introduit, dans l’album précédent, dans un monde tellement habité, original que celui là à un air de contrées souvent visitées. Il reste un trio qui sait s’écouter et faire tourner les idées.
Nicolas Béniès.
« Extended Circle », Tord Gustavsen Quartet ; « Mira », Arild Andersen, Paolo Vinaccia, Tommy Smith, ECM/Concord.