L’idéologie libérale en crise

Brainstorming chez les économistes officiels.

La crise systémique du capitalisme qui commence en août 2007 a ouvert un basculement du monde dont les conséquences se font sentir sur l’idéologie. Le libéralisme a fait la preuve de son incapacité à analyser le monde, le capitalisme. La théorie néo classique des marchés auto-régulateurs a volé en éclats. Continuer la lecture

Les mots pour le croire

La religion libérale

« La novlangue néolibérale » reparaît augmentée pour tenir compte du renouvellement (faible), du discours dominant depuis l’entrée dans la crise systémique du capitalisme en août 2007. Une nouvelle interrogation surgit. La crise a totalement discrédité les théories néo-classiques sur lesquelles s’appuie le néolibéralisme. Après le temps du choc, elles restent présentes, latentes souvent, références moins affirmées des politiques économiques. Les justifications changent un peu mais les croyances comme autant de fétiches restent. Alain Bihr construit des explications sur cette résistance. Stimulantes.
N.B.
« La novlangue néolibérale. La rhétorique du fétichisme capitaliste », Alain Bihr, coédition Page 2/Syllepse.

Musiques Noires

Une somme.

Jérémie Kroubo Dagnini, auteur d’une thèse sur les musiques jamaïcaines, a voulu interroger les musiques noires pour comprendre leur origine, leur place et leur devenir. Il a fait appel, à des sociologues, ethnologues, philosophes, musiciens… pour évoquer leur diversité. Toutes ont en commun la culture des esclaves déportés lors de ces criminelles « traites négrières », porteurs de ces tambours capables de parler. Le verbe est premier, associé au rythme. Les contributions parlent de jazz, de reggae, de la « dub poetry », du hip-hop, du rap, du gwoka, du zouk… tout en évoquant des questions clés comme le féminisme et la révolte. Révolte contre l’ordre établi, révolte contre l’oppression qui donnent à ces musiques la capacité d’être des musiques de la jeunesse. Continuer la lecture

Sur une théorie de l’Esthétique

Réflexions, à partir de Adorno et du jazz

Les rapports Adorno et le jazz sont marqués du sceau de l’incompréhension. Il est de notoriété publique – il n’est que de lire le témoignage de Leonard Feather – que le philosophe fréquentait, lors de son exil aux États-Unis, à New York, les clubs de jazz et connaissait une partie de cette musique en train de se faire. Il a refusé au jazz toute analyse…

Erreur d’analyse
Adorno n’avait donc pas l’excuse de l’ignorance contrairement à la thèse défendue par son biographe, Stefan Müller-Doohm. D’autant qu’il était aussi compositeur.(1) Mais, pour lui, le jazz ne fait pas partie de la musique. C’est du bruit.(2) C’est son point de départ. Il n’écoutera que les musiciens qui le confortent dans son hypothèse. En fait, il ne prend en compte que les orchestres de danse existants en Grande-Bretagne à ce moment-là, sauf à citer Duke Ellington et les Revellers – deux groupes qui n’ont rien à voir. Pour le moins, sa démonstration manquait de consistance d’autant qu’il concluait que « le jazz aurait une affinité avec le fascisme. » Il en déduisait que l’interdiction du jazz – non respectée (3) – en Allemagne était une erreur des autorités. Continuer la lecture

Connaître avant de parler

Deux livres pour appréhender l’Islam.

CandiardUn frère dominicain, Adrien Candiard, membre de L’institut dominicain d’études orientales, propose un vade-mecum pour « Comprendre l’Islam ou plutôt pourquoi on n’y comprend rien ». Pas seulement à cause de toutes les bêtises entendues dans les bouches des politiques ou des journalistes dont le seul but est de susciter la haine et la guerre entre des communautés pour leur plus grand profit, du moins le croient-ils. Mais aussi parce que l’Islam dont on entend parler n’a rien à voir avec la réalité de cette religion profondément divisée entre des courants antagoniques qui semblent se référer au même texte, le Coran. Cette division n’est pas propre à l’Islam bien entendu. Elle se retrouve dans toutes les religions. Partout, des sectes pensent détenir la seule vision possible des textes sacrés.
Ce petit livre, 119 pages, issu de conférences de l’auteur, permet de se retrouver entre les différentes tendances existantes qui, pour les plus importantes – les Sunnites et les Chiites – remontent à la mort du prophète. Le salafisme est une autre variante plus tardive. Continuer la lecture

Marxisme et Pragmatisme.

Des honnêtes hommes, Trotski/Dewey
La fin et les moyens : d’une discussion à une présentation.

Dans ces années 1930, marquées à la fois par la crise systémique profonde du capitalisme et par l’installation du stalinisme – surtout après 1934, date de l’assassinat de Kirov prétendant à la direction de l’URSS à la place de Staline -, s’instaurait une sorte de nouvelle morale. Elle allait servir de justification à la fois aux procès de Moscou – 1936-37 -, aux capitalistes et aux fascismes en se résumant dans la formule « la fin justifie les moyens ». Pour Staline, réfutant toute dimension internationale à la Révolution et prônant contre toute la tradition marxiste le « socialisme dans un seul pays », le rôle des Partis Communistes se résumait dans la défense de la patrie du socialisme, cette morale servait de paravent à la contre révolution politique de l’URSS. Tous les moyens étaient bons s’ils permettaient de défendre l’URSS, le pouvoir de la bureaucratie stalinienne. Ces moyens allaient de la politique « classe contre classe » dénonçant les sociaux-fascistes suivie de la politique dite des « Front populaire » d’alliance avec des partis de la bourgeoisie et, enfin – pour cette période – le pacte Germano-soviétique de 1939. De quoi donner le tournis…
L’ennemi principal de la bureaucratie stalinienne, Trotski et les « trotskistes » de tout poil, centre des procès de Moscou. On parle alors d’« hitléro-trotskistes », formule qui resservira… Continuer la lecture

Présentation de Max Weber.

Une sociologie pragmatique

Max Weber fait partie des théoriciens les plus cités et, suivant son traducteur Jean-Pierre Grossein, le plus mal compris. Pour des raisons qui tiennent à la fois à la traduction d’un allemand volontiers touffu et d’une simplification de cette pensée dont les concepts sont souvent évolutifs. Rançon de ce pragmatisme, école dont se réclame ce sociologue. Ainsi le lien effectué entre le protestantisme et le capitalisme n’est pas aussi simpliste, dans le texte wébérien, que la présentation des manuels de sociologie. Tout est dans les nuances.
La présentation de Grossein, à partir d’un choix de textes, sous le titre « Concepts fondamentaux de sociologie » (Tel/Gallimard) permettra, peut-être, de le lire au plus près de sa pensée.
Sous le titre « Leçons de méthode wébérienne », le traducteur essaie de saisir méthode et concepts de cette théorisation des sociétés. Tout en notant, avec un peu d’ironie, « le caractère déroutant de la terminologie wébérienne ». Il réussit pourtant à dérouler, malgré la pédanterie du propos, une sorte de fil directeur tout en soulignant les difficultés mêmes de la traduction. Il insiste particulièrement sur « la conceptualisation idéaltypique » comme base de la méthode du sociologue. Weber insiste sur la nécessité de l’Histoire et de la psychologie pour appréhender les phénomènes sociaux. Il voudrait construire – ce fut là son échec – une théorie globalisante des sociétés.
Hormis les textes retraduits souvent par ses soins, Jean-Pierre Grossein propose un « Glossaire raisonné » et un « Lexique franco-allemand ». Un outil essentiel pour comprendre, analyser, critiquer cette œuvre importante et qui a une influence marquante dans la sociologie.
Nicolas Béniès.
« Concepts fondamentaux de sociologie », Max Weber, Tel/Gallimard, Paris, 2016.

JAZZ, il faut aussi le lire…

Réflexions.
Le jazz est, il faut le rappeler, une musique sans nom dont les contours ne sont pas définis avec précision. Son identité est mouvante et ses frontières extensives sauf pour quelques « Ayatollahs » incapables d’être de leur temps. Le « champ jazzistique » n’est pas réductible à des dogmes. Il est en constante évolution et suppose de rompre avec la tradition, avec les « grands ancêtres » tout en les connaissant, tout en jouant avec les mémoires pour construire une mémoire de l’avenir.
Polyfree, Outre MesurePhilippe Carles et Alexandre Pierrepont ont voulu, à l’aide de contributeurs divers, dessiner une « carte au trésor » du jazz contemporain pour essayer de l’appréhender dans le contexte d’une interrogation générale sur la place de la culture et des anti-arts. Ils compilent des réflexions récentes – les années 1970-2015 – pour indiquer que la critique reste active. « Polyfree » est le titre de cette « terra incognita » que les auteurs nous invitent à découvrir. Le résultat, au-delà de sa curiosité, de son étrangeté lié à la diversité des points de vue et des affluents nouveaux du jazz, permet à la fois de s’interroger sur les mystères du jazz et sur sa place dans les anti-arts de ce 21e siècle. Une interrogation qui part du jazz pour s’élargir à l’ensemble des disciplines artistiques.
Nicolas Béniès.
« Polyfree », sous la direction de Philippe Carles et Alexandre Pierrepont, Editions Outre Mesure

Sésame ouvre-toi

A propos d’un philosophe incompris et qui voulait l’être, Wittgenstein

Wittgenstein fait partie de cette petite cohorte de philosophes – on se demande même si ce qualificatif convient lui qui se targuait de n’avoir pas lu Aristote – qui se présentent au lecteur comme illisible. Il répétait que personne ne pouvait comprendre ses écrits faute de clés nécessaires. Une de ces clés, pour lui, était dans l’esprit du lecteur. Son argumentation est souvent « minimum ». Il donne à lire le résultat de ses tribulations conceptuelles. Il faut donc avoir l’illumination de la découverte.
On sait que Deleuze, dans son abécédaire à mis en cause les « wittgensteiniens » dans leur souci de tuer la philosophie. Il n’avait pas lu Wittgenstein mais seulement les disciples. Or, Wittgenstein, par sa propre démarche, n’a pas de disciple. Il n’a que des lecteurs qui, par la rencontre avec ses écrits, construisent leur propre manière de s’approprier le monde et de sortir de la philosophie. Comme Marx, Wittgenstein voudrait réfléchir sans philosopher.
Il fallait un mode d’emploi pour lire, simplement lire, Wittgenstein et s’ouvrir à ses interrogations. D’autant qu’il fait aussi œuvre d’anthropologue. Ce professeur de Cambridge a eu pour ami Bertrand Russell et comme « ennemi intime » Keynes. Pour dire que ces années 20/30 sont des années d’intenses débats sur la manière d’appréhender le monde. Ce sont des années aussi où les « mathématiques pures » semblent l’emporter comme le libéralisme sur le terrain économique.
La critique de Wittgenstein sera plus profonde qu’on ne le croît au premier abord pour les mathématiques qu’il ne pense que « appliquées » comme celle de Keynes sur le libéralisme.
Rola Younes, dans cette « Introduction à Wittgenstein », ouvre des portes et, quelque fois des fenêtres pour nous inviter à lire attentivement cet auteur. En 112 pages, elle nous présente une biographie résumée et les « deux » Wittgenstein, celui du « Tractatus logico-philosophicus » et celui des « Recherches philosophiques », tout en traçant des ponts entre les deux.
Une lecture agréable pour nous inciter à nous replonger dans cette œuvre étrange qui ouvre des champs nouveaux à la réflexion. Une vraie caverne d’Ali Baba…
Nicolas Béniès.
« Introduction à Wittgenstein », Rola Younes, Repères/La Découverte.