L’idéologie libérale en crise

Brainstorming chez les économistes officiels.

La crise systémique du capitalisme qui commence en août 2007 a ouvert un basculement du monde dont les conséquences se font sentir sur l’idéologie. Le libéralisme a fait la preuve de son incapacité à analyser le monde, le capitalisme. La théorie néo classique des marchés auto-régulateurs a volé en éclats.

Gaël Giraud a créé, sur la base du succès de « L’imposture économique » de Steve Keen – dont nous avons rendu compte -, une collection aux éditions de l’Atelier pour publier les réflexions de ces économistes responsables ou anciennement responsables d’organisations internationales. Kaushik Basu est le premier. Ex-économiste en chef de la Banque mondiale (2012-2016), il propose, dans ce livre écrit en 2010, une réflexion sur la nécessité d’élaborer de nouveaux paradigmes, une nouvelle théorie pour se donner les moyens conceptuels de comprendre la crise et d’élaborer des sorties possibles. « Au-delà du marché » est d’abord une critique en règle des théories néo-classiques, de cette « main invisible » attribuée à Adam Smith. Il propose d’en revenir aux « classiques » – Adam Smith, David Ricardo – et à John Maynard Keynes pour construire une « nouvelle pensée économique », sous titre de son livre. Deux originalités : la référence à la micro économie pour appréhender la place des groupes et les risques que fait courir le néo-libéralisme à la démocratie. Un point de vue qui se situe dans l’optique de Karl Polanyi dans « La grande transformation ».
Le second porte plus spécifiquement sur cette révolution des années 1980, la déréglementation financière organisée par les États, qui a permis l’émergence des marchés financiers et leur développement exponentiel. « Reprendre le contrôle de la dette », le titre français, dit bien l’objet. Lord Adair Turner, l’auteur, fut président, de 2008 à 2013, de l’Autorité des services financiers britanniques et son autocritique est mortelle pour les néo-classiques. Il n’a rien vu venir de cette crise d’août 2007, ni ses conséquences en 2008. Il a fallu la faillite de Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, pour susciter un début de réaction. Il en tire la leçon que l’autorégulation des marchés n’est qu’une croyance qu’il faut combattre. Une « réforme radicale du système financier » est vitale pour éviter la nouvelle crise financière qui sera plus profonde que les précédentes. Il propose de réglementer – tout comme Basu -, de redonner sa place à la loi, à la politique contre les marchés, notamment en tournant le dos à la libre circulation des capitaux et à la « titrisation ». Un programme nécessaire.
Pour chacun de ses ouvrages, Gaël Giraud, dans ses préfaces, lance des idées, des politiques possibles visant à limiter les effets des futures crises, tout en évoquant les autres économistes des institutions internationales – le FMI, le nouveau chef économiste de la Banque mondiale – qui, peu ou prou, partagent les critiques des néo-classiques et proposent d’autres conceptions.
Pour le moment, ces économistes ne sont guère suivis. Ni les gouvernements, ni les dirigeants des institutions ne semblent écouter ces voix qui crient à la catastrophe. Par une résilience bizarre, le libéralisme continue d’occuper la première place dans les politiques économiques. Les croyances prennent le pas sur la réalité. Les dirigeants du monde prétendent dissoudre la réalité… au prix de la survie de la démocratie, au prix de la légitimité du politique.
La dette publique, devenue depuis 2005, un thème récurrent pour justifier des politiques de baisse des dépenses publiques et sociales, n’était pas un problème jusque dans les années 1980. Benjamin Lemoine, en une enquête de sociologie économique, démontre dans « L’ordre de la dette » que l’État, en France, a financé ses besoins de financement par des réseaux financiers internes via la Caisse de »s Dépôts et la Banque de France. Une fois encore, la donne a changé par la « titrisation » de la dette publique qui fait la part belle aux marchés financiers.
Toutes ces études sont nécessaires pour remettre le monde un peu à l’endroit. Les économistes dits hétérodoxes représentent l’avenir. Les « néo-classiques » sont des morts vivants…
Nicolas Béniès.
« Au-delà du marché, vers une nouvelle pensée économique », Kaushik Basu traduit par Yves Coleman ; « Reprendre le contrôle de la dette, pour une réforme radicale du système financier », Lord Adair Turner, traduit par Laurent Bury, Éditions de l’Atelier ; « L’ordre de la dette, enquête sur les infortunes de l’État et la prospérité du marché », Benjamin Lemoine, La Découverte.