Une face cachée de la Libération, le racisme. Le récit de Louis Guilloux.

Mémoire oubliée

Les libérateurs américains acclamés distribuant chocolat, chewing-gum et autres cadeaux arrivent avec leurs préjugés. Beaucoup de témoins ont voulu oublier les pendaisons de jeunes soldats Noirs dont les corps s’affichaient devant des bâtiments administratifs. Le souvenir ne les retiendra pas. Ils sont tombés dans les oubliettes de l’Histoire. Le travail de mémoire est là encore essentiel.
Pendant tout la période qui suit le débarquement, il y aura beaucoup de temps d’attente que ce soit en Basse-Normandie ou, un peu plus tard, en Bretagne. Confinés, ces jeunes gens – il ne faut pas oublier que la grande majorité d’entre eux sortent de l’adolescence, que la guerre est leur première expérience – cherchent à se distraire, s’alcoolisent et commettent des actes répréhensibles, violences, bagarres, viols. Les réactions de l’armée comme des populations ne seront pas les mêmes suivant la couleur de la peau. Continuer la lecture

Féminismes, Madeleine Pelletier, Dulcie September

Redécouvrir Madeleine Pelletier

Christine Bard, spécialiste de l’histoire des féminismes, présente les « Mémoires d’une féministe intégrale », comme aimait se présenter Madeleine Pelletier (1874-1939), première femme médecin aux asiles d’aliénés. Socialiste puis communiste, elle rejoint l’extrême-gauche et la franc maçonnerie pour, partout, mener le combat féministe qui passe, pour elle, par la « virilisation des femmes ». Ses mémoires, éparses, dépendantes du temps qu’elle peut soustraire, permettent de retracer un parcours. Pour ne pas oublier Madeleine Pelletier.
« Mémoires d’une féministe intégrale », Madeleine Pelletier, Edition critique de C. Bard, Folio.
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Videz vos poches. Littérature


Trajectoire littéraire.

Michel Butor, pour des raisons qu’il n’avoue pas, s’est lancé, sans doute à l’instigation de son interrogateur Lucien Giraudo, dans une « Petite histoire de la littérature française ». Il s’amuse à copier, dans le découpage temporel, le Lagarde et Michard de son passé scolaire, tout en le dynamitant par des petites implosions. Une lecture agréable, chatoyante tout en provoquant la réflexion sur les cousinages, les influences et les références. Il permet de découvrir des auteurs un peu oubliés, notamment ceux du Moyen-Âge et de la Renaissance. Les deux périodes doivent être considérées comme un tout, la séparation comme le démontre les historien.ne.s d’aujourd’hui. Redonner la puissance de cette période, marquée du sceau de l’obscurantisme dans nos manuels d’histoire, est une nécessité pour comprendre nos racines.
Chaque partie est complétée par des textes pour faire accéder ce petit livre au rang de prolégomènes d’anti-manuel, jetant les bases d’un nouveau manuel. Il reste pourtant une faille. Butor envisage le surréalisme comme un mouvement qui se réduit à son chef de file officiel, André Breton. De notoriété publique, Breton n’aimait pas la musique. Il disait qu’il préférait celle des mots. De là en conclure, comme le fait Butor, que les surréalistes ont ignoré la musique, c’est aller un peu vite en besogne. Le jazz a occupé une grande partie des réflexions, des études, de Michel Leiris, à l’origine a-t-il dit de sa vocation d’ethnologue, Robert Goffin, poète et auteur d’histoires autour du jazz ou mieux encore Julio Cortazar inspiré par le jazz et les surréalistes (voir « Marelle » par exemple… Butor prend l’arbre (Breton) pour la forêt, les surréalistes. Avouons qu’il n’est pas le seul à commettre cette erreur de perspective peut-être à cause du jazz qui n’est pas forcément considéré comme de la musique.
Nicolas Béniès.
« Petite histoire de la littérature française », Michel Butor, Folio (inédit)

Littérature. Ecrivaine copiée qui refusait de « faire carrière », Claire de Duras


(Re)découvrir une romancière oubliée.

Claire de Duras, duchesse de son état, a été longtemps ignorée par sa postérité. Elle fut pourtant une gloire littéraire des années 1820 avec son premier roman « Ourika » copié tant et plus par des plumitifs et des éditeurs à la marge de toute légalité et de toute morale. La duchesse tint aussi salon – que fréquenta Madame de Staël -, évoluant dans cette « bonne » société royaliste du règne de Louis XVIII, réactionnaire à tout crin. Le futur Charles X, dit le simple à cause de ses idées étroites et imbéciles, frère cadet de Louis, imposait un mode de pensée contre révolutionnaire qui signera sa chute en 1830. La duchesse ne partage pas ces positions, partagée qu’elle est entre une mère royaliste et un père qui a participé à la Convention et à la Révolution et perdit la tête sous le couperet de la guillotine pour avoir refusé de voter la mort de Louis XVI. Elle essaie de résoudre toutes ses contradictions sans renier ce père breton.
Elle sera la grande amie de Chateaubriand, qui la jalousait, sa « sœur » en littérature. Elle l’aidera à obtenir un poste de ministre puis d’ambassadeur par son entregent et par la grâce de son duc de mari. Chateaubriand, fidèle à lui-même, ne reconnaîtra pas son talent contrairement au critique Sainte-Beuve… Continuer la lecture

Cadeaux, cadeaux quand tu nous tiens…

Pourquoi se faire des cadeaux ? pourquoi répondre à cette coutume ? La réponse tient en une sensation : le plaisir. Pas seulement aussi le don. Pour échapper un tant soit peu à la fournaise de la marchandisation. Bien sur les achats dits de Noël peuvent être considérés comme une corvée. Aujourd’hui pourtant la pandémie devrait nous obliger à penser différemment, à chercher des voies de sortie de cette société gangrenée par la nécessité de faire du profit.
Ne boudons pas le plaisir de donner et de recevoir. Pas forcément à Noël! Les propositions qui suivent acceptent d’être offertes à tout moment.
Bonnes fêtes – pas forcément non plus Noël ou le Jour de l’an mais d’autres à construire – contre la pandémie, contre ce monde tel qu’il ne va pas.
Je vous souhaite un lot de petits bonheurs pour cette années 2022 qui se présente pas sous les meilleurs auspices. Continuer la lecture

Vide Poche (2) Relire les classiques

« Les Quarante-cinq » (Folio)
Alexandre Dumas a conçu un de ces romans qui en disent plus sur l’atmosphère du règne d’Henri III que bien des livres d’histoire. Le bouffon sert de narrateur dont l’empathie avec le jeune roi est visible. Il le charrie mais l’aime bien son roi. Une sorte de double. Alexandre Dumas signe là un de ses grands romans qui boucle la trilogie débutée avec « La reine Margot ». Les 45, les mignons du roi, apparaissent comme des soudards dépourvus du moindre sens politique. Les intrigues succèdent aux intrigues. Les enfants d’Henri II sont morts les uns après les autres pour ouvrir la porte au règne d’Henri IV. Un roman foisonnant, touffus qui permet d’appréhender l’univers de ce règne comme la force de l’écriture de ce romancier hors pair. Continuer la lecture

Le jazz dans toutes ses facettes.

Actualités du livre sur le jazz

Coltrane encore et toujours.
Coltrane est mort en juillet 1967. Plus de 50 ans. Et son tombeau est resté ouvert. Sa musique fraternelle, universelle laisse tomber des gouttelettes pour fertiliser un sol qui en a besoin. Il a su faire reculer le gris qui a tendance à envahir le monde. Le « jeune homme en colère » – comme la critique le qualifiait au début des années soixante – s’est transformé en esprit mystique et facétieux, un génie venu habituer notre monde temporairement. Personne ne s’en est vraiment remis. La parution d’un double album miraculeusement retrouvé de 1963 vient, une fois encore, en faire la démonstration. « Both Directions at Once » a été le titre choisi par Universal pour refléter La nouvelle direction prise par Coltrane.
Jean Francheteau, aujourd’hui organisateur de concert, s’est arrêté sur « La décennie fabuleuse », 1957-1967, de « John Coltrane », titre de sa quête. Il passe en revue les enregistrements du saxophoniste, d’abord chez Prestige, puis chez Atlantic et enfin Impulse. Sur ce dernier label, Bob Thiele l’a beaucoup sollicité, au-delà de ce que demandaient les propriétaires. Heureusement. Après la mort de Trane – comme tout le monde l’appelle -, les sorties d’albums posthumes ont permis de le garder vivant. Continuer la lecture

Roman ? Récit ? peut-être Conte moderne ?

Un pas de côté.
Comment définir « Un élément perturbateur », titre du conte signé par Olivier Chantraine ? Un marginal qui ne sait où vivre, mal à l’aise dans le travail d’analyste qu’il effectue pourtant au mieux et ce mieux gêne les dirigeants de l’entreprise dans laquelle il officie sans entrain et par la grâce de son frère, ci-devant ministre des finances ? Ou un malade victime de problèmes psychologiques entraînés par le suicide de son père ? Des questions qui trouveront des débuts de réponse en suivant le curieux et drolatique itinéraire de Serge Horowitz, l’empêcheur de tourner en rond alors que lui a toujours l’impression de tourner sur lui-même.
La première partie est une description presque clinique du travail de bureau, l’open space non compris, avec ses tensions et surtout ses temps morts. Une toile d’araignée de mensonges pour « arriver », se faire « bien voir » – dans tous les sens du terme – qui pollue la vie en société et déteint sur la vie privée sans oublier les inégalités entre femmes et hommes.
Le désintérêt pour ces déguisements conduit Serge Horowitz à une forme de lucidité ironique et humoristique. Ce carnaval fait rire et de bon cœur tout en ouvrant une réflexion sur notre monde tel qu’il ne va pas.
La deuxième partie est plus sur la corruption du monde des affaires, qui porte bien son nom, associé au monde politique pour que le spectacle continue perturbé par les « lanceurs d’alerte, pas toujours reconnus. C’est plus convenu mais tout autant réjouissant.
Il lui faudra se décider à prendre sa vie en mains pour laisser entrer l’oxygène dans sa vie et cette ascension/transfiguration passe par le rejet de ce frère torturé par le désir d’être président de la République. Cet arriviste qui ne recule devant rien pour assouvir sa soif de pouvoir, semble le portrait craché, jeunesse incluse, de notre actuel président. Les références implicites, ombres de celles mises en lumière, donnent un tour étrange de ce conte de nos temps dits modernes.
Nicolas Béniès.
« Un élément perturbateur », Olivier Chantraine, Folio/Gallimard

Le coup de foudre, un coup tordu ?
« Une complication, une calamité, un amour » est un titre qui en dit trop sur le contenu de ce court texte – roman ou nouvelle ne convient pas, il faut retomber sur le conte ? – de 79 pages. Véronique Bizot arrive à transfigurer les mots, les phrases pour les faire sonner comme des poèmes mis au service de l’amour marié, forcément, à la mort. Comment aimer ? Ni avec toi, ni sans toi avait déjà répondu François Truffaut. La quadrature du cercle que cette « union du désespoir et de l’impossible », comme l’avait défini un poète anglais du 17e. Une fois encore se retrouvent ici toutes les facettes du coup de foudre.
Une nouvelle qui, l’air de rien, vous poursuivra. Le sentiment d’avoir partagé un souffle de vie. Avec une dernière question l’amour n’est ce qu’une entourloupe ?
Nicolas Béniès
« Une complication, une calamité, un amour », Véronique Bizot, Actes Sud.

Le cas Alexandre Le Grand (ou pas)

Histoires au présent et Histoire

Pierre Briant est un spécialiste de l’Histoire de l’Antiquité du temps d’Alexandre. Il défend l’histoire croisée et a consacré plusieurs ouvrages à Darius et à l’environnement géopolitique – comme on dirait aujourd’hui – du monde d’alors. Il cherche à comprendre, au-delà des individus aussi « grands » soient-ils, les transformations à l’œuvre.
« Alexandre » est le titre qu’il a choisi pour aborder non pas seulement le roi de Macédoine mais aussi – surtout – les figures, les images de cet Alexandre qui ne fut pas grand pour tout le monde. Ainsi s’explique son sous titre « Exégèse des lieux communs ». Il nous fait voyager dans le temps et dans l’espace, du « Roman d’Alexandre » aux historiens d’aujourd’hui en passant par la période de la colonisation avec un Alexandre colonisateur intelligent, respectueux des populations tout en apportant la civilisation. Continuer la lecture

« Ivanhoé » de Walter Scott

Le Moyen-Age revisité.

Walter Scott IvanhoéPublié en 1820 un roman intitulé « Romance » – une expression idiomatique donc intraduisible -, « Ivanhoé » était une gageure. Le 12e siècle n’était pas très couru. Les Normands venaient d’envahir les îles britanniques et les Saxons tentaient tant bien que mal de résister au « joug normand ». Guillaume était passé par là en 1066, paraît-il.
Le travail historique de Walter Scott fut souvent remis en cause mais il est, d’après le présentateur de cette édition, Henri Suhamy – aussi traducteur -, conforme aux études de ce temps. Au-delà, ce livre inspirera les « romantiques » et, en premier lieu Alexandre Dumas qui ne craindra pas de signer de son nom sa traduction. Le « roman de cape et d’épée » comme on dira en français aura une longue tradition. Elle est reprise aujourd’hui par le polar qui a envahi l’Histoire.
Chez Scott, les vaincus ne sont pas oubliés. Ils représentent même les figures les plus travaillées et les plus valeureuses. Les amours de Wilfried et Rebecca sont tragiques parce qu’impossible. Un chevalier et une juive ne pouvaient vivre cette relation. Elle devait rester secrète. La conscience de cette impossibilité est visible chez Rebecca tandis que le chevalier brise son cœur en silence en osant à peine se l’avouer.
Ce roman souffre des diverses adaptations cinématographiques, ces images qui nous empêchent de goûter à cette prose voyageuse dans le temps. Il faut (re)lire « Ivanhoé » comme si c’était la première fois pour y découvrir les trésors cachés. Au-delà du suspense, des trouvailles de rebondissements il faut aussi y voir un hymne à la justice, à la reconnaissance de l’Autre, de sa culture, de sa participation nécessaire à notre commune humanité. En ce sens, le personnage principal n’est ni Ivanhoé, ni Richard Cœur de Lion – emprisonné au début de ce roman – mais bien Rebecca qui condense le message humaniste de l’auteur.
Ajoutons le plaisir d’une nouvelle traduction, d’une introduction qui situe Walter Scott, la Grande-Bretagne de ce 19e siècle et le roman. Tout l’appareillage de notes permet une lecture renouvelée de ce chef d’œuvre.
Nicolas Béniès.
« Ivanhoé », Walter Scott, traduction et édition de Henri Suhamy, Folio/Classique, Gallimard.