A propos de méthode d’analyse

Le texte qui suit je l’ai écrit en 1995 pour un numéro spéciale de critique communiste sur Marx. Il porte sur le travail préalable de Marx qui donne quelques clés de la méthode utilisée par Marx dans le Capital. « Les Gründrisse », en fait des manuscrits non publiés, permettent de comprendre la loi de la valeur qui débute Le Capital. Le titre, « Faut-il brûler les Gründrisse ? », doit être compris comme « Le Capital » a permis de dépasser ces manuscrits qui se sont dissous dans les analyses de ce livre I, quintessence de la méthode de Marx et fondation de concepts essentiels pour appréhender ce mode de production capitaliste et ses métamorphoses, ses régimes d’acculation différents au cours de son histoire tourmentée.

FAUT-IL BRÛLER LES « GRÛNDRISSE » ?

Écrire sur Marx est un peu une gageure aujourd’hui. Le marxisme serait mort dans l’écroulement du Mur de Berlin… Trop souvent la référence à l’œuvre de Marx s’estompe derrière les commentateurs, ou, pire encore, le stalinisme, quelquefois présenté comme « l’orthodoxie marxiste ». Le marxisme orthodoxe n’existe pas. C’est une invention stalinienne. L’essai de Luckas, publié dans “ Histoire et conscience de classe ”, intitulé “ Qu’est-ce que le marxisme orthodoxe ? ”, est un plaidoyer pour la méthode marxiste, et donc pour la poursuite de l’élaboration théorique. Le marxisme vivant suppose d’interroger les concepts, les catégories que l’on trouve dans son œuvre, pour savoir s’ils sont toujours efficaces pour comprendre et transformer la société capitaliste. La référence à Marx est nécessaire à condition d’y injecter la réalité du capitalisme, et de son évolution. Il faut conserver à l’esprit qu’il s’adresse à « des lecteurs qui veulent apprendre quelque chose de neuf et par conséquent aussi penser par eux-mêmes ».1 C’est, peut-être, ce qui fait peur… C’est aussi de cette manière qu’il faut comprendre son refus d’être… marxiste, entendu comme le refus de la scolastique, de la répétition sans fin de citations tirées de leur contexte.
Il est vrai, par contre, que les termes comme socialisme, classe ouvrière, et même capitalisme ont perdu de leur sens, sans perdre de leur pertinence. Ces concepts demandent à être redéfinis, pour récupérer l’actualité qu’ils n’auraient jamais dû perdre. La réticence à les utiliser se traduit le plus souvent par des approximations dangereuses pour l’analyse même du mode de production. Le “ Financial Times ” – journal des financiers de la City de Londres, et haut lieu de la pensée libérale – est conscient des nécessités conceptuelles, et a défendu, à la fin de l’année 1993, l’utilisation des termes de capitalisme et d’impérialisme. Ce n‘était pas la première fois que ce journal citait les concepts marxistes, ou les marxistes. Il avait publié, il y a quelques années, un hommage à Rosa Luxembourg et à son livre “ L’accumulation du Capital ”, lecture nécessaire, disait l’auteur, dirigeant d’une banque, pour comprendre les crises et les krachs. Les économistes anglais portent plus haut le cynisme de leur classe que les français.
C’est vrai que le capitalisme apparaît, désormais, comme l’horizon indépassable, tuant de ce fait même toute imagination, restreignant le champ des possibles. La crise des idéologies dont on parle partout est une crise de représentation du monde, d’impossibilité de penser le futur, sinon comme la répétition du passé et du présent aseptisés. Le succès du film « Forrest Gump » aux États-Unis est un révélateur de cette tendance, comme la mode des commémorations. Les affrontements, les tensions, les luttes – des classes en particulier – disparaissent dans un passé reconstruit à coup de consensus, comme “ ouaté ”. L’idée même de progrès est battue en brèche, comme si la société capitaliste était figée pour l’éternité. Continuer la lecture