Histoire des expressions françaises

Trésors et méandres de la langue française

« C’est du pipeau ! » titre Stéphane Gendron pour nous inviter à un voyage dans les expressions françaises à partir du « jargon de la musique et des musiciens » comme l’indique le sous titre de ce faux-vrai dictionnaire. Le pipeau est « une flûte champêtre à 6 trous en bois ou en roseau qui, au Moyen-Âge, se nommaient pipes ou pipets » nous dit-il pour ensuite nous balader dans l’histoire des différentes expressions. Ainsi « c’est du pipeau », apparue dans les dernières décennies du 20e siècle provient de « ne pas se laisser prendre aux pipeaux de quelqu’un » issue d’un piège à oiseaux nommé pipeau, une sorte de faux nid. Continuer la lecture

Une littérature oubliée

Renouveau de la littérature yiddish ?

Benjamin Schlevin (1913-1981), né Szejnman à Brest-Litovsk (en Biélorussie), arrive à Paris en 1934, un Paris marqué par les manifestations de l’extrême droite le 6 février 1934 – qu’il racontera dans son roman – et les réactions de la gauche en train de s’unir dans un contexte de montée du fascisme et du nazisme.
Fasciné par le petit peuple de Belleville qui ressemble dans ces années là, celles de l’entre deux guerres, d’un shtetl multicolore de yiddish aux accents différents, il décide de raconter ce Paris étrange, de ces Juifs venus d’une Europe de l’est en ébullition. Le refus de la guerre d’abord comme la recherche d’un avenir moins sombre obligent à l’exil. Ils arrivent tous « gar di nor » – gare du nord -, pris en charge par les Anciens, petits patrons, en quête de main d’œuvre à exploiter dans leurs ateliers pour nourrir une faible accumulation du Capital. Le quartier du Marais est d’abord leur lieu de chute pour ensuite arriver dans les hauteurs de Paris, à Belleville. Ils partiront ensuite installer leurs ateliers de confection prés des grands boulevard, au « Sentier ». Un Paris disparu englouti dans les transformations de la ville et de l’industrie. Il en reste quelques traces mais trop éparses pour rester des lieux de mémoire. La littérature donne à voir ce monde devenu fantomatique. Continuer la lecture

(Re)découverte d’un écrivain majeur

Faut-il encore et toujours parler de la Shoah ? in

La littérature, la poésie peuvent elles mieux faire ressentir la perte d’humanité imposée par les nazis à toutes les populations juives d’Europe ? Jiří Weil (1900-1959) a vécu à Prague cette période de déportation, de peurs, d’angoisses, de profonde solitude, d’un temps aussi de solidarité. « Vivre avec une étoile est une description quasi clinique d’un homme pourchassé , nié en tant qu’homme qui ne peut que faire preuve d’obéissance servile pour éviter le départ dans un convoi qui ne mène qu’à la mort. Son sort dépend en partie des instances de la Communauté (juive mais l’adjectif n’est pas employé) qui lui trouve un travail, dans un cimetière, tout en dressant des listes de ceux celles qui doivent partir, avec leurs trésors, sans épargner les femmes et les enfants.. Enfermé dans sa terreur, il se blottit dans sa mansarde, quasi à ciel ouvert, souffrant de la faim, attendant l’inéluctable. D’être humain, il en est devenu un fantôme. Il devra à une erreur de cette administration tatillonne de ne pas partir avec les autres porteurs du même nom que lui, liste dressée par les responsables de la Communauté. Continuer la lecture

Rien à voir avec la littérature ?

Autobiographie à deux sujets pour parler de soi sans vraiment se dévoiler

Alain Gerber, à l’aube de ses 80 ans, a voulu retracer son itinéraire profondément ancré dans le jazz. La plupart de ses romans, à commencer par « Le faubourg des coups de trique » (Livre de poche), utilise les rythmes, le découpage du jazz en privilégiant la voix intérieure, la notre, celle que nous entendons sans être la voix «extérieure qui, en général, nous perturbe tellement elle participe du jeu social. Son premier roman, « La couleur orange », devait beaucoup à « La Nausée » même si le début faisait la démonstration d’une voix singulière en ajoutant simplement « tu sais » : « La couleur, tu sais, orange », titre inspiré d’une composition de Charles Mingus pour situer là encore l’importance du jazz. Critique de jazz, son titre de gloire _ gloire très relative-, directeur de la collection « Quintessence » (Frémeaux et associés) il est aussi batteur amateur. Continuer la lecture

Portraits d’émigrants, de lieux disparus pour une histoire et une littérature trop longtemps oubliées

Littérature Yiddish oubliée et… retrouvée

« Les Juifs de Belleville » s’impose comme une référence à plus d’un titre. D’abord par la langue, le Yiddish. Isaac Basileis Singer en est le représentant le plus connu. On a oublié, qu’à Paris, les émigrés juifs d’Europe de l’Est avaient exporté leurs traditions et publiaient journaux et livres et s’étaient réfugiés à Belleville. Benjamin Schlevin -né Szejnman en 1913 en Biélorussie – a publié 17 ouvrages en yiddish qui en fait un auteur inconnu de tous les publics.
Un Paris disparu revit, ce Paris des ateliers de confection où la main d’œuvre est surexploitée pour vendre à bas prix. Une saga historique et social qui donne à voir le quotidien de cette population en train d’essayer de survivre. Deux figures serviront de fil conducteur, deux amis au point de départ arrivés comme tous les autres « gar di nor » et qui suivront deux trajectoires opposées. L‘un, Béni veut « arriver » en amassant pour accumuler, l’autre, Jacquou, défend les opprimés et crée des structures culturelles ou d’assistance dans le contexte de la crise des années 30. La Shoah marquera la fin de cette histoire. Jacquou survivra pour témoigner. Un grand livre à découvrir.
Nicolas Béniès
« Les Juifs de Belleville », Benjamin Schlevin, traduit par Batia Baum et Joseph Strasburger, postface et appareil critique de Denis Eckert, L’Échappée, collection « Paris perdu »

Scoop : C’est la rentrée ! Cavaler seule et des jardins secrets semés d’orties

Les statistiques sont claires et presque sans appel : la parution des romans est revue à la baisse, tendance déjà constatée depuis la pandémie. Un peu plus de 450 au lieu des plus de 500 (550 en 2019). Un nombre qui reste au-delà des capacités d’un lecteur même hors-norme. Une majorité restera en jachère. Certains seront repêchés, et trouveront leur public.
Comment interpréter cette baisse relative programmée voulue par les éditeurs ? Certains critiques incriminent la baisse de la lecture mais force est de constater que l’attrait du livre comme objet ne se dément pas malgré tous les progrès du numérique. La conséquence plutôt de la baisse du pouvoir d’achat qui se traduit par une transformation profonde, affectant le genre de vie, des habitudes de consommation.

Commençons par un livre de poche (pas sur qu’il soit compris dans la statistique…)

Quelle est le féminin d' »entraîneur » ? Continuer la lecture

Une face cachée de la Libération, le racisme. Le récit de Louis Guilloux.

Mémoire oubliée

Les libérateurs américains acclamés distribuant chocolat, chewing-gum et autres cadeaux arrivent avec leurs préjugés. Beaucoup de témoins ont voulu oublier les pendaisons de jeunes soldats Noirs dont les corps s’affichaient devant des bâtiments administratifs. Le souvenir ne les retiendra pas. Ils sont tombés dans les oubliettes de l’Histoire. Le travail de mémoire est là encore essentiel.
Pendant tout la période qui suit le débarquement, il y aura beaucoup de temps d’attente que ce soit en Basse-Normandie ou, un peu plus tard, en Bretagne. Confinés, ces jeunes gens – il ne faut pas oublier que la grande majorité d’entre eux sortent de l’adolescence, que la guerre est leur première expérience – cherchent à se distraire, s’alcoolisent et commettent des actes répréhensibles, violences, bagarres, viols. Les réactions de l’armée comme des populations ne seront pas les mêmes suivant la couleur de la peau. Continuer la lecture

Yougoslave ?

Vrai-faux conte de l’ex-Yougoslavie

Kristian Novak fait partie de la nouvelle génération des écrivains croates, nés forcément dans la douleur après l’éclatement de la Yougoslavie qui a durement marqué les populations. Matija, le narrateur, a vécu son enfance dans un village reculé du Medjimurje – dans l’actuelle Croatie – dans lequel les bruits de la guerre sont assourdis mais arrivent tout de même à exercer leurs effets. Une terre noire boueuse grosse de fantômes, de non-dits, de silhouettes bizarres qui se reflètent dans la rivière, qui appellent les vivants à rejoindre les morts.
Un enfant de 5 ans raconte – avec les mots de l’adulte, une confusion voulue – ses émois, ses peurs, ses angoisses après la mort brutale de son père. Il le cherche. Il veut le faire revivre et, pour ça il est prêt à sacrifier son ami le plus proche pour satisfaire les esprits de la rivière qui détiennent son père. Le prix à payer, la solitude. Son esprit perturbé créera deux acolytes à la fois amis et ennemis pour en faire à la fois des confidents et des succédanés de père qui expliquent les actes qu’il voit mais ne comprend pas. Dont le viol de son ami. Continuer la lecture

Jazz, promenade littéraire et musicale avec Duke Ellington

Pour une approche de l’improvisation
Feux et folies du Duke

Alain Pailler réédite en le transformant « Ko-Ko » sous titré « Duke Ellington en son chef-d’œuvre » pour rendre compte du processus créatif qui peut, parfois, échapper à son auteur. Une thématique qui n’est pas propre au jazz mais le jazz, par l’attention au moment, peut réussir une œuvre universelle impossible à refaire.
Difficile à croire mais Duke – Edward Kennedy pour l’état civil, né en 1899 et mort en 1974 – n’a pas eu vraiment conscience, si l’on en croit ses propos réitérés à plusieurs reprises, que la prise éditée en cette année 1940 de « Ko-Ko » était, par le tempo ramassé, l’un de ses chefs-d’œuvre. Alain Pailler retrace la genèse de ce moment-synthèse du style précédent appelé « jungle » pour aller à la découverte d’autres univers. Le « Duke » construit, avec son orchestre, de nouvelles dimensions de la musique noire. Continuer la lecture

Regards sur les États-Unis, autobiographie de Maya Angelou et le reste

Vivre ! Libre !

Maya Angelou, née Marguerite Johnson dans une bourgade du Sud des États-Unis, vit, dans ce troisième tome de son autobiographie romancée – les souvenirs sont un roman -, dans la grande ville de la Côte Ouest San Francisco. Le titre, traduction littérale de l’original, fait défiler le programme de cette jeune femme, mère célibataire, dans le début des années cinquante – elle a moins de trente ans à la fin du périple – « Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël ». Un un laps de temps raccourci, elle se marie, se sépare d’un conjoint qui veut la confiner au statut de ménagère, devient disquaire, chanteuse, danseuse et, pour finir, est engagée dans l’opéra « Porgy and Bess » pour une tournée mondiale qui l’éloigne de son fils malade de l’absence de sa mère. Elle culpabilise forcément… . Toutes ces aventures, ces rencontres baignent dans Ia tonalité de la jeunesse, bien rendu par la traductrice Sika Fakambi. Continuer la lecture