Roman, récit et travail de mémoire


« Seulement, la mémoire, il faut la faire vivre, ne pas la figer, elle doit surtout aider à comprendre »

Le titre est une citation de « Dessous la dure écorce », de Louise Pommeret, qui pourrait aussi servir, et peut être plus encore, pour « L’étoile manquante » de Laurence Lacroix-Arnebourg. Que ce soit en relation avec un père victime d’un travail empoisonnant, un cancer, et de paysages menacés du pays des sucs volcaniques pour balayer histoire et mémoire ou de vies oubliées dans le contexte de la chasse aux Juifs mis en place par le Régime de Vichy, il est question de notre héritage commun, de notre passé jamais dépassé pour construire un avenir. Les deux autrices savent faire vivre des personnages qui incarnent les nécessités du travail de mémoire. Les femmes, oubliées des histoires comme de l’Histoire, font montre de leur capacité de résistance souvent silencieuse pour organiser la survie. La lutte est nécessaire contre toutes les tentatives de falsification, contre tous ces projets dont le but ultime est de faire du profit sans tenir compte de notre environnement, de notre construction mémorielle.
Deux récits – plus juste que roman – qui viennent illustrer la nécessité de conserver vivants notre patrimoine et matrimoine. Il faut se plonger dans la saga d’une famille avant et après l’Occupation comme dans le combat contre la maladie et les promoteurs pour comprendre le passé et en faire une arme pour construire un futur.
N.B.
« L’étoile manquante », Laurence Lacroix-Arnebourg, Atlande ; « Dessous la dure écorce, Louise Pommeret, L’Aube éditions.

Colères ouvrières face au mépris de classe

Colères ouvrières et lutte pour la dignité
Pascal Dessaint, auteur de romans « noirs », a voulu comprendre une image récente de deux cadres d’Air France qui, lors d’une occupation des salarié.e.s du siège de l’entreprise avait perdu leur chemise restée dans les bureaux. Image commentée forcément défavorablement, fustigeant comme il se doit la violence sauvage de ces contestataires. Etait-ce, se demanda l’auteur, la première fois que ces débordements de colère désespérée contre la morgue patronale de droit divin avaient lieu ?
Remontée de la mémoire conservée dans des journaux comme l’Illustration une image – encore une mais un dessin cette fois – d’une défenestration d’un cadre des « Houillères & Fonderies de l’Aveyron » – dont le siège est à Paris -, Jules Watrin dans le contexte d’une grève des puits pour exiger à la fois une augmentation des salaires et du respect. La colère gronde devant l’intransigeance de la Compagnie qui ne veut pas céder, ce 26 janvier – il fait froid – 1886. La foule des grévistes veut la démission de Watrin, jugé responsable de toutes les misères. La direction réelle est hors d’atteinte des grévistes et sait envoyer au front ses pions pour se faire massacrer et, ensuite, s’en servir comme d’une arme contre les grévistes.
Zola vient de publier « Germinal ». Il est immédiatement accusé d’avoir fourni de « grain à moudre » intellectuel aux hordes anarchistes ouvrières. Comme le fera remarquer un journaliste du « Cri du peuple », les mineurs – femmes et hommes – n’ont guère le temps de lire… Continuer la lecture

Musiques, Pierre Schaeffer et une fantaisie de toutes les musiques

Passages du sonore au musical

Musique concrète ou musique acousmatique – emprunté à Pythagore pour perception auditive – a été marquée par le travail de Pierre Schaeffer au sein de la Radiodiffusion française qui invente cette nouvelle forme d’expression artistique. Un travail sur l’enregistrement puis sur toutes les techniques comme sur les bruits « naturels », une porte qui grince par exemple. Il sera rejoint par Pierre Henry et s’ouvrira à d’autres compositeurs comme Xenakis. Un double CD pour rendre compte de ces recherches qui ont permis de faire surgir d’autres manières de jouer avec les bruits et l’électronique.
NB
« Pierre Schaeffer & Pierre Henry Musique concrète 1956-1962 », livret de Olivier Julien, Frémeaux et associés

Fantaisie jules vernienne
Un groupe qui manie l’oxymore, « Free Human Zoo » – soit le Zoo des humains libres -, a quelque chose à dire de notre monde qui a tendance à délaisser la liberté tout comme l’égalité et la fraternité. Inspirée de Jules Verne et de « Vendredi » de Michel Fournier se déploie une nouvelle île mystérieuse – « The Mysterious Island. Gilles Le Rest, batterie, percu, compositeur et parolier associe musique et contes, références et hommages, toutes les cultures, tous les sons pour construire un récit d’un monde qui naît, vit et s’écroule. Une fable sur la crise climatique, sur un monde en train de disparaître.
NB
« The Mysterious Island », Free Human Zoo, ODUSSEIA/ L’Autre Distribution

A la recherche de Viktor Paskov

Comment peut-on être écrivain et musicien bulgare ?

Viktor Paskov est un des représentants de la littérature bulgare, qui a fait beaucoup d’émules, littérature qui reste à découvrir. « Allemagne conte obscène » baigne dans la désillusion combattue par une ironie grinçante et un humour triste et combatif, celui des exilés déçus par un pays d’accueil vu comme un Eden au départ. Continuer la lecture

Mémoire de 1999 (suite)

Le Duke, centième ! Action !

Edward Kennedy Ellington dit le Duke pour ses habits bien coupés aurait eu 100 ans le 29 avril. Il a été fêté aux États-Unis. C’est une reconnaissance. DownBeat, la première revue de jazz américaine lui a consacré sa couverture. C’est logique. Il avait construit un univers prenant place dans cette mosaïque appelée jazz. Le mystère Ellington demeure 25 ans après sa mort, en 1974 donc. Il avait réussi à marier des sons pour rendre des couleurs inédites et qui le sont restées. Wynton Marsalis, à la tête de l’orchestre du Lincoln Jazz Center – les albums sont disponibles chez Columbia, distribué par Sony Music – a beau multiplier les hommages et à jouer les partitions comme le Duke – et Billy Strayhorn son alter ego, qu’il ne faut jamais oublier – les avait écrites, il y manque ce quelque chose, ce je-ne-sais-quoi – pour citer Jankélévitch – qui fait l’essentiel. Boris Vian en était un des visiteurs de ce monde merveilleux. Dans « l’Écume des Jours », Chloé – le personnage – provient directement de l’univers ellingtonien et des grandes compositions des années 40. Ces jours de juin se fêtera le 40éme anniversaire de sa mort. Fayard en profit pour rééditer/éditer ses œuvres complètes. Trois volumes parus à ce jour, dont Les chroniques de jazz… Continuer la lecture

Denez apprend à naviguer sur une mer de larmes déchaînée

Le présent aux risques du passé.

« Ur Mor a Zaeloù », une mer de larmes, tel est le monde ? Oui si les êtres humains se donnent la possibilité de voguer sur cette mer, de retrouver le passé jamais dépassé mais inclus dans notre présent pour chanter les amours perdues, les joies retrouvées et la vie telle qu’elle ne va pas pour se révolter contre un ordre du monde fait de rejets et d’exclusion. Rappeler la famine de Kiev, les épidémies c’est dire que les plaies du passé peuvent resurgir en apparaissant comme neuves. Continuer la lecture

Lorsque les espoirs disparaissent, il reste l’espérance

Pour alimenter notre réflexion sur notre passé, notre présent et, peut-être notre futur. De la fête d’indépendance en Algérie – 1962 – aux printemps arabes aux déceptions politiques et philosophiques. Continuer la lecture

Voix du 20e siècle


Mickey Baker, l’inconnu célèbre

Mickey Baker ? Le nom ne vous dit peut-être rien ? Et le film « Dirty Dancing » (danse lascive) sorti en 1987 – et un remake en 2004 non plus, pour le thème « Love is strange » chanté par Mickey and Sylvia – Vanderpool pour son nom complet – au milieu des années 50 et qui servait au lancement de la mode disco ? L’auteur d’une méthode de guitare jazz d’une simplicité pour la technique et laisse la porte ouverte au feeling et à l’écoute pour appréhender cette musique ? L’arrangeur de tous les enregistrements réalisés dans les années 60 par tous les « yéyé » ? Pour cette dernière question, vous avez des excuses, son nom ne figure sur aucune pochette et pourtant son travail est immense. C’est lui, comme tous ses collègues, qui arrive à faire sonner la musique, à habiller une mélodie pour qu’elle prenne de la consistance et vienne à nos oreille en parlant à notre cerveau. Une voix de l’au-delà qui se raconte en composant un blues qui tisse les composantes de son existence mais aussi des États-Unis, de la France et de l’industrie phonographique.
« Alone » – seul – est le titre qu’il a choisi. Une vie se déroule et s’enroule à l’Histoire, aux formes de résistance des Africains-Américains – lui est métis – face au racisme, composante de cette société. Il décrit aussi la drogue, l’alcool pour s’accommoder de cette existence. Continuer la lecture

polar. Afrique du Sud et Australie

Les racines de l’Afrique du Sud

Deon Meyer officiellement auteur de polar est, en fait, le chroniqueur politique, social et culturel de ce pays étrange qui a vu un ancien détenu devenir président, Nelson Mandela. « La proie », avant dernier opus, racontait sans vraiment de filtres, la présidence de Jacob Zuma, un brûlot politique qu’il faut lire pour comprendre la situation actuelle. Bien avant Trump, Zuma savait réécrire la réalité à sa convenance. Continuer la lecture

Une référence ?

Comment battre le virus ?
Ludmila Oulitskaïa a écrit ce scénario, « Ce n’était que la peste », en 1988. Il part d’une histoire réelle à Moscou en 1939. Un biologiste, Mayer, travaille sur la souche de la peste. Et il contamine 800 personnes qui assistaient à sa présentation. Le NKVD – la police politique de Staline – intervient, confine, isole, tue si nécessaire pour éviter la propagation. Et y réussit ! Au prix de la légitimation de la répression et de toutes les remises en cause des libertés. La question posée à toutes les démocraties d’aujourd’hui. Faut-il, pour combattre le virus, bafouer les libertés ?
Nicolas Béniès
Ce n’était que la peste, Ludmila Oulitskaïa, traduit par Sophie Benech, Gallimard.