Histoire des expressions françaises

Trésors et méandres de la langue française

« C’est du pipeau ! » titre Stéphane Gendron pour nous inviter à un voyage dans les expressions françaises à partir du « jargon de la musique et des musiciens » comme l’indique le sous titre de ce faux-vrai dictionnaire. Le pipeau est « une flûte champêtre à 6 trous en bois ou en roseau qui, au Moyen-Âge, se nommaient pipes ou pipets » nous dit-il pour ensuite nous balader dans l’histoire des différentes expressions. Ainsi « c’est du pipeau », apparue dans les dernières décennies du 20e siècle provient de « ne pas se laisser prendre aux pipeaux de quelqu’un » issue d’un piège à oiseaux nommé pipeau, une sorte de faux nid. Continuer la lecture

Mistral/Fayet un couple inédit

(Re)découvrir Frédéric Mistral.

Mirèio -Mireille – est un poème épique, une ode à la Provence et à sa langue qu’il revisite et, comme tout poète qui se respecte, permet de lui donner un statut et une grammaire. Walt Whitman, avec « Feuille d’herbe’, avait été prescripteur, dans ce même moment du milieu du 20e siècle, de l’Anglais américanisé qui se séparait du britannique.
Mistral est habité, comme Marx et Engels qui écrivent « Le manifeste du Parti Communiste », par l’utopie révolutionnaire de 1848, vague qui touche toute l’Europe, un soulèvement qui transforme le regard et le monde. Lamartine écrira, à propos de la première édition du poème, « la grande nouvelle :un poète épique est né ».
Pourtant, Mireille restera longtemps inconnu du lecteur français. Joseph Delteil s’en plaindra : « Soyons francs, écrira-t-il, qui lit Mistral ? En France, à Paris, qui lit Mistral ? Or la place de Mistral n’est pas à Maillane, mais à Paris, à Moscou, à New York. Aujourd’hui, en 1928, un jeune Français bien né peut lire en français Goethe et Dante mais pas Mistral. Je signale ça comme un scandale. »
Les éditions Actes Sud proposent la réédition du poème original assortie d’une traduction originale de Claude Guerre qui explique à la fois ses choix et son amour de Mistral comme de la Provence dans une avant propos empli du soleil et de vents. L’écriture du traducteur est rempli de références à cette langue et culture un peu oubliées qui se redécouvrent nécessairement pour apporter à toutes les autres cultures la manière de Mistral de concevoir le monde en charriant sa révolte contre toutes les injustices ? Ce poème qui fait de la mésalliance le cœur de son propos définit un projet républicain pour lier toutes les origines tout en les respectant.
Il faut découvrir la langue de Mistral, après avoir lu la traduction, pour se laisser emporter dans ces contrées merveilleuses que le poète transforme. Vincent Van Gogh comme Renoir – et tous ceux classés « Impressionnistes » ou « fauvistes », des classements sans foi ni loi – influencent l’écriture du poème. Continuer la lecture

Pour alimenter la discussion démocratique sur le monde tel qu’il est et tel qu’il devrait changer

Nouveau rapport du club de Rome

« Earth for All, la terre pour tous » affirme la nécessité de construire d’autres mondes que celui du dit néo-libéralisme. Un monde condamné. « L’avenir de l’humanité, concluent les autrices et auteurs, dépendra de la réduction drastique des inégalités socio-économiques et d’une répartition équitable des richesses et du pouvoir. » La récente mobilisation des paysans en Europe a montré la nécessaire corrélation entre les solutions sociales, alimentaires et les mesures écologiques. Pour sauver le vivant, il est vital de proposer un changement de société, de ses paradigmes, de ses bases même.Ils et elles construisent deux scénarios : « Trop peu, trop tard », une catastrophe annoncée, un chemin emprunté par les gouvernements en Europe ou « Les pas de géant », seule manière de sortir des crises actuelles. Un appel à l’action – et à la dépense publique – pour offrir une chance aux générations futures. Il faut dire que le choix proposé n’en est pas vraiment un. Le premier scénario est en forme de catastrophe qui devrait être rejeté. Sans doute les projections seront contestées quelque fois à juste raison mais l’ensemble emporte l’adhésion. Il faut refuser les « vérités alternatives pour discuter des enjeux qui se résument dans la naissance d’un autre monde.
Nicolas Béniès
« Earth for All », Nouveau=u rapport du Club de Rome, Actes Sud

Une synthèse nécessaire

« Quand l’Occident s’empare du monde (15e – 21e siècle) » permet à Maurice Godelier d’offrir une vaste fresque de l’histoire de l’humanité et de revoir l’histoire de la modernisation en intégrant les dimensions actuelles comme « la disparition du mode de production socialiste » et les victoires du monde musulman contre l’Occident. Le tout est un manuel d’histoire nécessaire qui peut servir de base à tous les débats pour construire une autre société. La plongée dans l’histoire des civilisations permet de comprendre celui dans lequel nous essayons de vivre. Le développement du mode de production capitaliste, son élargissement, sa domination a été de pair avec l’occidentalisation considéré pendant longtemps comme synonyme de progrès. Les modes de production originaux ont été détruits par les modalités de fonctionnement du capitalisme que ce soit par le colonialisme, l’impérialisme ou par des formes plus perverses comme la financiarisation, ne laissant d’autre chois que celui du capitalisme. Depuis la chute du mur de Berlin, toute alternative a disparu emportant dans son sillage le marxisme tout entier et la possibilité même d’un autre mode de production. Pourtant, les crises actuelles posent la question d’une autre société pour permettre à l’avenir d’exister…
Une écriture fluide pour mettre en lumière le mouvement contradictoire de la construction du capitalisme souvent assimilé à l’Occident. Le sous titre, « Peut-on alors se moderniser sans s’occidentaliser ? » indique la dimension des questions traitées.
NB
« Quand l’Occident s’empare du monde (XVe – XXIe siècle », Maurice Godelier, CNRS Éditions

Retour de l’État dans l’analyse économique
Wolfgang Streek, sociologue de l’économie, propose, dans « Entre globalisme et démocratie », une grille de lecture pour sortir du néolibéralisme. La pandémie a fait la démonstration de la nécessité de (re)mettre l’État au centre de l’analyse pour traiter les crises multiples auxquelles sont confrontées les pays et le monde. L’économie est de nouveau politique pour traiter ce qu’il appelle « la crise du capitalisme démocratique ». Se manifestent une pléiade de scénarios gros des dangers visibles dont la montée de l’extrême-droite. Une leçon avec ce qu’il faut d’évidences et d’interrogations, ensemble qui aurait gagné à plus de concision. A la décharge de l’auteur, une grande partie avait été écrite avant la pandémie. L’intérêt renouvelé est de poser une nouvelle fois la question de la démocratie et des services publics. S’interroger sur les formes de l’État et du capitalisme est absolument à l’ordre du jour. Il permet de donner un contenu à la fois théorique et pratique au « désir d’Etat », pour reprendre le titre d’un article du monde qui notait les évolutions des écologistes notamment voulant donner un contenu différent à l’État.
NB
« Entre globalisme et démocratie. L’économie politique à l’âge du néolibéralisme finissant », Wolfgang Streek, traduit de l’allemand par Frédéric Joly, Gallimard

Idées Cadeaux (suite), littérature, Beaux-Livres et une enquête sur la Chine

Comment dit-on brigand au féminin ?
« Brigantessa », en Italien et, par ce roman de Giuseppe Catozzella, en Français. 1848, l’année des Révolutions et du « Manifeste du Parti Communiste » de Marx et Engels – grand texte littéraire secoué par le souffle de la Révolution – qui voit des révoltes surgir de tout côté dans la botte en se répandant derrière l’exigence de Garibaldi de l’indépendance. En contant le destin de cette femme, Maria Oliverio, l’auteur met en scène à la fois l’oppression des femmes obligées – ce ne sera pas la seule – de se déguiser en homme pour prendre son destin en main. Elle sera « Brigantessa », chef de bande et subira le sort de tous les vaincu.e.s. Une histoire « vraie » peut-être, un feuilleton sans nul doute. Idéal pour les longues soir&es d’hiver.
N.B.
« Brigantessa », Giuseppe Catozzella, traduit par Nathalie Bauer, Buchet-Chastel Éditions.

Beaux Livres
« Chagall Politique, le cri de la liberté », le titre du catalogue de l’exposition présentée d’abord au Musée de la Piscine à Roubaix (jusqu’au 7 janvier 2024), ensuite au Musée Marc Chagall de Nice ( du 1er juin au 16 septembre 2024) a de quoi interroger. La démonstration présentée par Ambre Gauthier et son équipe permet de proposer un angle de vue original de l’œuvre de Chagall. Pour mettre en lumière des détails mais aussi des documents inédits retrouvés dans les archives de Marc et Ida Chagall de manière à exprimer son combat humaniste.
N.B.
« Chagall politique », sous la direction de Ambre Gauthier, Gallimard

Et la Chine ?
« La Chine ou le réveil du guerrier économique » représente le fruit de trois années d’enquêtes de Ali Laïdi qui a interrogé, diplomates, chercheurs, responsables d’entreprises pour essayer de déterminer ce qu’il appelle le « modèle d’intelligence économique chinois ». Il date ses débuts de Deng Xiaoping, le moment de la transition vers le capitalisme conduit – mais l’auteur ne s’y arrête pas – par un Parti Communiste marqué du sceau du stalinisme. IL reste un livre très bien conduit, construit qui permet, au-delà d’un modèle vraisemblablement introuvable, de rendre compte de la volonté des dirigeants et des populations d’accéder au rang d’une grande puissance mondiale dont le développement cesse d’être dépendant des grandes puissances – dont les États-Unis – par le biais du commerce mondial pour s’orienter vers un développement autocentré en s’autonomisant des firmes multinationales.
N.B.
« La Chine ou le réveil du guerrier économique », Ali Laïdi, Actes Sud.

Littérature : Polar et Science fiction

La littérature se diversifie, lorgne vers le polar ou la science fiction lesquels affichent leur ambition d’être une des branche d’icelle. Le présent de l’édition donne quelques exemples. Continuer la lecture

De la Turquie et de la Russie, un roman écrit en prison et un polar en forme de saga

La Turquie en cellule
« Madame Hayat », le roman de Ahmet Altan écrit de sa prison, est un hymne à la liberté. Le portrait de femme, superbe, est amoureusement décrit. Les yeux du jeune homme sont emplis de ce portrait. Entre deux âges – curieuse expression – elle éclate du soleil de la sensualité. Beauté étrange, elle possède ce pouvoir d’attirer les regards. Continuer la lecture

Quelle rentrée !

La rentrée littéraire n’a jamais manqué à l’appel. L’an dernier, plus de 510 romans – et je ne parle pas des essais – se battaient pour trouver des « inventeurs », au sens de découvreurs. Cette année, à peu prés le même nombre cherche des lecteurs et lectrices pour se donner la vie. Une interrogation me taraude chaque année : qui peut lire autant de livres ?
Cette rentrée s’affiche aussi en poche.

Deux découvertes
Elles viennent des États-Unis via les Éditions Delcourt et Tusitala, « Jazz à l’âme » de William Melvin Kelley et « Paria » signé par Richard Krawiec.
Le premier, mort en 2017, fait l’objet d’une re-connaissance dans son pays. « A Drop of Patience », son titre original est une réflexion à la fois sur le jazz, via quelques emprunts aux biographies des grands musiciens comme Charlie Parker, sur la création comme des conditions dans lesquelles elle s’effectue et sur la renommée. Publié en 1965, il est fortement marqué par l’ambiance de ce temps. Pourtant, rien des aventures de Ludlow Washington, saxophoniste alto aveugle et noir, ne paraît décalé. Dans un premier temps, il interroge les personnes qu’il côtoie pour connaître la définition d’un « noir » et les réponses maladroites agitent le spectre du racisme. Uniquement.Seule la couleur de la peau, qu’il ne peut voir, est le problème.
Un grand roman sur l’Amérique et sur la vie bouleversée et bouleversante d’un révolutionnaire du jazz dans la période de l’après seconde guerre mondiale. Kelley a tendance à gommer les problèmes liés à la drogue et, pourtant, là est l’explication de la sortie de route du saxophoniste. Comme celle de Parker déchiré entre la conscience de son génie et le rejet de la société blanche. La question essentielle est bien là et la drogue ne fait qu’attiser la dichotomie entre la place centrale du génie et le rejet dans la vie de tous les jours. Miles Davis en fera lui aussi l’amère expérience. Seul, dans ces années 1960s,
« Paria » se situe dans une petite ville du Massachusetts qui baigne avec fainéantise dans l’océan des préjugés. Les enfants qui veulent plaire à leur parent sont obligés d’accepter ces préceptes. Y croient-Ils eux-mêmes ? La même histoire de racisme visant les noirs, mais pas seulement. Les émigrés polonais sont aussi parqués dans un ghetto spécifique. Exclus, ils excluent tout de même les Africains-Américains. Via une histoire d’amour d’adolescents, Stewart – Stewie – Rome, le narrateur, décrit la chape de plomb qui pèse sur ces sociétés et empêche de vivre. L’ironie, l’humour sont au rendez-vous pour cacher le désespoir, la blessure, l’assassinat. Qui a tué ? Le pourquoi est le plus intéressant et dévoile les ressorts collectifs d’un meurtre.
« Jazz à l’âme », William Melvin Kelley, traduit par Eric Moreau ; « Paria », Richard Krawiec, traduit par Charles Recoursé, réédités par 10/18

Un centenaire magnifique
Stanislas Lem (1921-2006), un des grands auteurs de science fiction notamment de « Mémoires trouvées dans une baignoire », avait créé le personnage du pilote Pirx pour servir de fil conducteur à ses nouvelles. Pour son 100e anniversaire, Actes Sud les a réunis en un seul volume et c’est un enchantement. Un vrai roman émerge, celui de l’ère cosmique, comme si la somme donnait naissance à un nouveau genre, le roman en pièces détachées. Un hommage qui dépasse l’hommage pour construire une nouvelle maison posthume. Un fantôme bien en chair serait l’image la plus juste. U n grand écrivain que Lem.
« Les aventures du pilote Pirx », S. Lem, traduit par Charles Zaremba, Exofictions/Actes Sud. Babel, la collection de poche d’Actes Sud, réédite, du même auteur, « Le congrès de futurologie » et « Solaris ».

Lutter contre les inégalités ?

Un essai de Walter Scheidel.

Il est de bon ton de rendre hommage, dans la lutte contre les inégalités, à la civilisation ou le sens de l’histoire suivant les idéologies, lesquelles idéologies sonnent un peu ringardes dans un monde qui ne sait plus la signification du concept de progrès. La confusion est grande entre l’idéologie du progrès, sous la forme actuelle de la nécessité du changement sans contenu et le progrès lui même, la notion de révolution, de changement fondamental.
Au-delà des constructions métaphysiques, les luttes sociales, la guerre expliquent largement les avancées sociales de la fin de la seconde guerre mondiale et la construction de l’État-providence. Allégrement et avec une gourmandise qui fait plaisir à lire, Walter Scheidel, historien et spécialiste de la Rome antique, dans « Une histoire des inégalités », bat en brèche tous ces lieux communs. Continuer la lecture

Chic ! C’est la rentrée… littéraire ! Partir à la découverte.

Histoire, Mémoire et Romans

La rentrée serait sous le signe de l’austérité. Moins de livres que l’an dernier, disent les spécialistes qui font état de plus de 530 romans et ne comptent pas les essais et autres publications. Même ainsi, le choix est inhumain. Il ne peut s’agir que d’un échantillon très limité provenant plus de l’instinct que de la rationalité. Pourtant, le travail de mémoire est le point de chute de la plupart des romans. Comme si la recherche du passé se posait comme vital face à un monde vacillant qui fait de l’accélération son seul credo. Continuer la lecture

Un parcours politique actuel

Synthèse de l’illibéralisme

Illibéralisme un terme qui fait fureur pour décrire l’arrivée au pouvoir par la voie électorale de dictateurs au petit pied qui battent en brèche tous les droits démocratiques et installent un pouvoir teinté de fascisme.
Le cas le plus évident est celui de Victor Orban, en Hongrie, inventeur du terme. Un terme qui décrit le vide idéologique actuelle et la volonté de ces gouvernants de remettre en cause les libertés et, derrière, tout l’héritage des Lumières. Il interroge, de ce fait, sur le libéralisme lui-même. Un concept qui fait référence aux Lumières et à la révolution française.
Amélie Poinssot en décrivant le parcours intellectuel et politique de Victor Orban, du sympathisant de Solidarnosc au départ à sa texture idéologique actuelle, raconte aussi les déboires d’un capitalisme à dominante financière incapable de répondre aux besoins essentiels des populations. Le néo libéralisme a construit des monstres qui envahissent notre espace politique et quotidien, dans le contexte d’une crise politique profonde qui appelle au renouvellement de toutes les formes de la démocratie.
« Dans la tête de Viktor Orban » est un voyage proche du fantastique dans les méandres de vide idéologique qui cherche à se remplir en puisant dans les fontaines des recettes nationalistes pour défendre des intérêts individuels. Un phénomène de clique qui est en deçà des conflits de classe mais peut les recouvrir. Orban ne défend pas une stratégie du Capital mais des capitalistes particuliers qui creusent la tombe du Capital. Le raisonnement est celui de tous les colonisateurs et de tous les court-termistes, « Demain est un autre jour », vivons aujourd’hui, creusons notre trou, tant pis pour les autres.
Un livre cri d’alarme. Qui va l’entendre ?
« Dans la tête de Victor Orban », Amélie Poinssot, Solin/Actes Sud