Se faire entendre.
Comment convaincre un label d’enregistrer une musique sauvage qui se réfère à une période que beaucoup voudrait oublier, le Free Jazz des années 1960-70 ? Mission quasi impossible. Il faut donc contourner l’obstacle. Dave Rempis, saxophoniste ténor et alto, lié à la scène de Chicago, s’est fait connaître en conduisant des groupes ou en les co-dirigeant. Il a participé aux ensembles de Ken Vandermark, une des grandes figures du jazz à Chicago. Remis a aussi fréquenté les membres survivants d’Art Ensemble, Roscoe Mitchell en particulier et une grande partie de la scène « free » du Vieux Continent à commencer par Peter Brötzman. Un parcours qui le situe en dehors du courant principal (Mainstream) actuel. A la marge donc, mais une marge qui a tendance à rassembler de plus en plus de musicien-ne-s cherchant à trouver une voix originale. Même si les influences de John Tchicai, de l’Art Ensemble, d’Ornette Coleman, de John Coltrane et d’Albert Ayler sont perceptibles.
Cette marge n’est pas ignorée. Dave Rempis présente, à Chicago, des programmes et des concerts de jazz et de musique improvisée – comme si le terme « jazz » ne suffisait pas.
Pour se faire entendre, faire connaître ses compagnons, il a décidé de créer son propre label, en 2013, « Aerophonic Records ». Il a publié à la fin de l’an dernier deux CD. Le premier, « ICOCI », réunit un trio : Dave Rempis évidemment, Jasper Stadhouders à la guitare et à la basse électrique et Frank Rosaly aux percussions pour deux longues improvisations. Les deux Hollandais sont des habitués de la scène de Chicago et tous les trois se connaissent depuis longtemps. Cet enregistrement est le résultat d’un concert donné à Amsterdam en décembre 2017. Il faut aimer, pour apprécier cette musique, les glissements, les redites en spirale pour creuser les rêves et les significations, l’improvisation sur les gammes et non plus sur les accords, des structures en rupture avec le confort de l’écoute. Une ouverture vers d’autres fuites, d’autres possibles.
Le deuxième album, réalisé sur le même principe d’un processus d’improvisation, réunit un trio d’une autre nature. Rempis, toujours aux saxophones, alto et ténor, est en compagnie de Tomeka Reid au violoncelle, un instrument proche de la tessiture de la voix humaine, et de Joshua Abrams à la basse, deux autres artistes de la scène de Chicago. « Ithra » est le titre choisi pour une construction qui tient beaucoup à l’interaction des trois musiciens, à leur écoute respective pour forger des sons qui entretiennent le suspens, le mystère sur leur création. Les thèmes sont plus ramassés pour permettre à l’auditeur de participer, d’appréhender l’humour, l’ironie de cette musique comme ses influences, son ancrage dans les mémoires du jazz. .
La scène de Chicago continue d’illuminer le jazz d’aujourd’hui.
Nicolas Béniès
« ICOCI », Dave Rempis, Jasper Stadhouders, Frank Rosaly ; « ITHRA », Dave Rempis, Tomeka Reid, Joshua Abrams ; Aerophonic www.aerophonic.com